
Capture6 permettrait non seulement de capter les émissions de carbone, mais aussi de répondre à la demande mondiale croissante en eau. Le tout dans des endroits improbables : les usines de traitement des eaux.
Changement climatique, évolution des usages de l’eau et croissance démographique mettent en tension les ressources hydriques de la planète. Dans la quête d'eau douce, les usines de dessalement jouent un rôle central, notamment dans les régions arides et côtières. Le dessalement d'eau de mer constitue toutefois un danger croissant pour l'environnement. Non seulement le processus est extrêmement énergivore, mais également très polluant. Dans le désert californien, Capture6 développe un procédé qui pourrait agir sur deux enjeux : capter le carbone tout en dessalant l’eau de mer.
L'impact environnemental des usines de dessalement
On comptabilise à ce jour près de 22 000 usines de dessalement d'eau de mer dans le monde. Problème : selon une étude publiée dans la revue Science of the Total Environment, les usines de dessalinisation produisent davantage de saumure que d’eau douce : pour chaque litre d'eau douce destinée à la consommation humaine ou à l'industrie, une usine de dessalement rejette en moyenne 1,5 litre de « saumure » ( boue ultra-saline). La plupart des usines le font directement dans la mer ou des rivières, où la forte concentration en sel bouleverse les écosystèmes et augmente la température des eaux.
Des pays comme l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, contribuent à hauteur d'environ 55 % à la production mondiale totale de saumure chaque année. À cette pollution s'ajoutent d'autres dangers : une consommation excessive d'énergie et le rejet de produits chimiques nocifs (chlore ou cuivre) utilisés dans le processus de traitement. En capturant des milliards de tonnes de CO₂ chaque année tout en éliminant les rejets de saumure, le nouveau procédé développé par Capture6, pourrait permettre de lever les principaux obstacles au développement du dessalement.
Une nouvelle façon de capter le CO2 de l’atmosphère
Grâce à un processus à énergie positive, Capture6 promet d'allier des solutions conjointes d’élimination et de décarbonation tout en augmentant l’approvisionnement en eau potable. Comment ? « Son processus intègre une technologie de capture directe de l'air (DAC) aux installations de traitement de l'eau pour éliminer de manière permanente le CO₂ de l'air tout en récupérant l'eau douce des déchets de saumure salée des installations de traitement de l'eau. »

Au lieu d'utiliser des filtres, Capture6 fabrique un solvant à partir de la saumure produite par les usines de dessalement. Solvant qui permet de capturer non seulement le CO₂, mais aussi des produits chimiques comme le lithium, l'hydrogène ou encore l'acide chlorhydrique, pour former un minéral carbonaté. Minéral pouvant ensuite être utilisé pour fabriquer des produits chimiques verts, contribuant ainsi à l’économie circulaire et à la décarbonation industrielle. « Notre système d'élimination du carbone a été conçu dès le départ pour faciliter la décarbonation, et pas seulement pour éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère », explique Ethan Cohen-Cole, PDG de Capture6.
Récupérer l'eau douce des déchets de saumure
Selon lui, cette technologie générerait également davantage d’eau potable : « Une fois traitée et nettoyée, la saumure peut revenir ensuite jusqu'à 75 % sous forme d'eau douce ». Le procédé permettrait également de réduire les émissions de CO₂ et les risques liés au transport des déchets de saumure sur d'autres sites. En outre, le système fonctionnerait également à des températures ambiantes, économes en énergie, offrant ainsi davantage de possibilités d’utiliser les énergies renouvelables comme source d’approvisionnement. « La technologie est polyvalente, permettant diverses configurations d'entrée et de sortie, et elle s'intègre en synergie avec plusieurs industries », indique Capture6. Cette nouvelle technologie pourra ainsi être utilisée dans d’autres industries, comme l’exploitation minière ou les usines de traitement des eaux usées.
Résilience climatique et la décarbonatation industrielle
Puisque sa croissance ne dépend pas des crédits carbone, l'entreprise estime qu'elle pourra se développer beaucoup plus rapidement que d'autres acteurs du secteur. En janvier 2024, l'entreprise a conclu un protocole d'accord avec K-water (service public des eaux de Corée du Sud) et BKT (fabricant de station de traitement des eaux) pour développer le projet Octopus, une installation pilote. L'entreprise a également annoncé en juin une collaboration mondiale avec Veolia Waters Technologies & Solutions. Parmi les autres projets en cours, le projet Monarch en partenariat avec la compagnie des eaux Californienne Palmdale Water District (PWD) pour construire une installation commune afin de produire des ressources en eau douce et augmenter simultanément l'élimination du carbone.
La captation de carbone, une fausse bonne solution ?
Le bilan 2023 du Global Carbon Project est sans appel : les activités humaines (industries, transports, chauffage…) émettent près de 40 milliards de tonnes de CO₂ chaque année. Selon le GIEC, il n’est plus possible de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C en réduisant uniquement les émissions. Capter et stocker artificiellement le carbone (en complément des puits de carbone naturels) est donc indispensable. « Selon la plupart des experts, si les pièges de carbone naturels peuvent réduire de 80 % les émissions résiduelles d’ici à 2050, le CCS (Carbon Capture and Storage) sera indispensable pour les 20 % restants », relève Jacques Pironon, directeur de recherche au laboratoire GeoRessources4 de Nancy.
Alors qu'il est urgent de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, de nombreuses industries se tournent et détournent le captage et la séquestration du carbone. Objectif : continuer à polluer tout en prétendant faire partie de la solution climatique. Selon Earth Justice (organisation à but non lucratif de droit de l'environnement d'intérêt public), l’utilisation du CCS devrait être « limitée pour réduire les émissions des secteurs industriels actuellement difficiles à électrifier, à condition qu'ils prennent en compte les questions de santé, de sécurité et de justice environnementale. »
« De nombreuses solutions de captage direct de l'air sont utiles à l'industrie pétrolière et gazière de nombreuses manières et présentent un potentiel de greenwashing en permettant à l'industrie des combustibles fossiles de polluer », déclare Danya Hakeem, vice-présidente du portefeuille chez Elemental Excelerator, organisation à but non lucratif qui a investi dans la startup. « Cette solution est totalement différente.»
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