
Recul des droits, millefeuille hiérarchique, présentéisme… Le mal-être au travail s’intensifie, et ce n’est pas une coïncidence.
Phagocytés par des formes de management violentes et absurdes, soumis à des jours de carence alors que les arrêts maladie explosent, et contraints de faire toujours plus avec moins de moyens, les travailleurs ne voient pas arriver le lundi matin le cœur léger. D’après une récente enquête, 1 salarié sur 2 s'estime en détresse psychologique. Qui aurait pu prédire ? Dans son nouvel essai Vous ne détestez pas le lundi, vous détestez la domination au travail (publié début octobre aux Éditions Les Liens qui libèrent), Nicolas Framont, sociologue et rédacteur en chef de Frustration Magazine, défend une culture de la révolte collective susceptible de soulager les maux individuels. Pour cela, il démantèle les mythes du travail, entre méritocratie, responsabilités supérieures des dirigeants et psychologisation de la souffrance.
De quoi se plaint-on finalement ? Cela va si mal que ça au travail ?
Nicolas Framont : Les conditions de travail se sont dégradées en France ces 30 dernières années. Deux facteurs en cause : l’installation du chômage de masse, épée de Damoclès qui impose de revoir les revendications à la baisse, et le détricotage du droit du travail en cours depuis le début des années 2000. Un exemple flagrant de cette dégradation : le travail de nuit a doublé depuis les années 90. Il faut aussi prendre en compte toutes les affections psychologiques liées à l’intensification du travail (en faire plus avec moins) et à l’installation de mécanismes d’emprise. Il ne suffit plus de faire son travail, il faut montrer qu’on l’aime, qu’on adopte le bon « mindset », et qu’on enchaîne les heures supplémentaires avec le sourire, le tout dans un contexte de multiplication de la hiérarchie, y compris chez les cadres. Au prétexte d’éviter la conflictualité, la négociation au travail s’est depuis les années 70 institutionnalisée. Cela s’est traduit par l’émergence de termes valises : « partenaires sociaux », « collaborateurs », et surtout « dialogue social », comme si les représentants des salariés et du patronat discutaient à égalité pour se trouver des objectifs communs. Sous le capitalisme, il n’y a pas d’ « objectifs communs » possibles. Le capital ne souhaite qu’une chose : que les travailleurs travaillent plus, pour moins cher ; les travailleurs veulent l’inverse.
Un procédé classique consiste à renvoyer au passé des éléments encore présents. « Ce n’est plus Zola ! », entend-on. En quoi cette affirmation serait-elle fallacieuse ?
N. F : Cela est moins visible chez nous, mais la division internationale du travail mise en place par le capitalisme génère toujours de grandes souffrances dans les pays du Sud, en faisant par exemple travailler des enfants. Dans les pays du Nord, des gens se tuent encore au travail à la suite de nouvelles formes d’exploitation, notamment dans le secteur des services. En France, les accidents du travail augmentent (livraison, bâtiments, agriculture…), notre pays étant le plus accidentogène d’Europe. On assiste aussi à des régressions évoquant Zola, comme la généralisation de l’apprentissage qui induit pour des enfants de 15 ans de travailler dans de mauvaises conditions physiques et financières. Par ailleurs, la souffrance psychique au travail est en augmentation.
Pour protéger la « valeur travail », on fait souvent appel au mythe des « grosses responsabilités » des dirigeants. En quoi consiste selon vous cette chimère ?
N. F : L’idée que la méritocratie n’existe pas fait son chemin, mais il faut, je pense, aller plus loin. Plus que remettre en cause le mérite de dirigeants souvent incompétents à occuper leur place, il faut remettre en cause l’existence même de cette place. Rien ne justifie de telles positions de domination. Leurs responsabilités supposées ne sont pas si importantes que ça, voire inexistantes. C’est flagrant chez les grands patrons français, qui, à l’instar de Thierry Breton, voguent d’une entreprise à l’autre, sont systématiquement augmentés en dépit de leur performance financière, et finissent commissaires européens après un bilan catastrophique. La responsabilité implique de subir les conséquences de mauvaises décisions. Or, ce n’est jamais le cas.
Cours de yoga, formations pour apprendre à gérer son stress et son temps… Ces méthodes sont-elles fiables pour répondre à la souffrance au travail ?
N. F : Renvoyer à la responsabilité individuelle est un mécanisme de protection du système. En plus d’être très lucratives, ces formations légitiment des exigences et des objectifs impossibles. Dans un monde où le salariat est mondialisé et atomisé, on tend à nous faire croire que le travail serait une expérience personnelle. Il faut se détacher de cette idée : le travail doit redevenir une expérience collective. Force est de constater que le syndicalisme ne convient pas à de nombreuses personnes : seuls 10 % des travailleurs en France sont syndiqués, encore moins dans le secteur privé. Pour ma part, je défends la désinstitutionnalisation de l’action collective. Les réunions policées sont stériles, car elles font perdurer une illusion : celle qu’un débat d’idées, mené de bonne foi et en bonne intelligence, permettra d’adopter la meilleure décision pour tout le monde. C’est faux : depuis les années 70, les droits des travailleurs, pris dans un rapport de force, reculent majoritairement dans les entreprises où les revendications ne s’accompagnent pas de conflits et de grèves. Il faut repolitiser le rapport au travail pour sortir du sentiment de solitude qui nous paralyse, en créant des espaces où parler du travail. Je pense par exemple à TikTok, au forum anti-travail sur Reddit et au Neurchi de Patrons à éclater au sol sur Facebook, où l’on pratique l’entraide. Ces réseaux redynamisent la culture de la contestation au travail et représentent un point d’appui à l’initiation d’une « sécession ». La sécession d’un discours de glorification du travail, de la soumission et des hiérarchies. Il faut se désintoxiquer de tout ça.
Arrêtez de vouloir en permanence dégoûter les gens de travailler. Entre le jours fériés, les RTT, les vacances les Français n'ont jamais si peu travaillé, et autant qu'ils le fassent avec entrain. Personne ne force personne, le travail est un contrat.
Dites, l'ADN, je comprends bien la nécessité de générer du clic et d'attirer l'attention. Mais cela justifie-t-il pour autant de relayer, sans recul ni mise en perspective, les thèses marxisantes et datées de Nicolas Framont ? Ce jeune sociologue, revendiqué d'extrême gauche et visiblement frustré – comme le laisse deviner le nom de son média –, nous ressert une rhétorique de lutte des classes tout droit sortie des années 50.
Le problème n'est pas tant qu'il exprime une opinion, mais qu'elle soit relayée sans que son positionnement politique soit clairement explicité. En effet, ses arguments se résument essentiellement à « tuons les méchants bourgeois », une approche simpliste et manichéenne. Il serait donc nécessaire, en tant que média, de prendre un peu de hauteur et de questionner cette vision biaisée du monde, notamment d’un point de vue économique.
De plus, quelle est la légitimité de Nicolas Framont à parler de l'entreprise et des relations de travail? À ma connaissance, son parcours professionnel ne dépasse pas les murs de l'Université française – elle-même financée en grande partie par les impôts, donc par ces entreprises qu'il critique tant.
Lorsqu'un média décide de donner la parole à des personnalités aux positions aussi extrêmes, il me semble indispensable d'offrir aux lecteurs une mise en perspective, voire une analyse critique. L'objectivité journalistique exige de contextualiser et de nuancer les propos qui sont tenus, surtout lorsqu'ils proviennent de personnes prônant des idéologies aussi radicales.
Impressionnant cet article ! la journaliste passe son temps à critiquer le patronat et les patrons (en confondant patrons et salariés directeurs de grands groupes)
si le fait d'être "patron" était si facile, il y en aurait beaucoup plus !. Devenez patron et prenez des salariés, vous apprécierez alors toute la complexité de la situation !
une petite "patronne" qui travaille beaucoup
Oui le travail est un contrat, pendant ton travail tu es "au service de", tu n'es plus en position de libre arbitre, c'est un contrat de subordination, auquel on doit trouver un intérêt, un retour. On est pas des copains, des collaborateurs, non, mais des employés, même en étant petit patron sous-traitant par ex.
Non ( @Boop) les Français ne sont pas toujours en vacances et des glandeurs, on a une des productivité/heure les plus élevée, et on est pas réellement au 35h. Pourquoi le mal-être au travail augmente, pourquoi tant d'accident etc ? Tout va bien ? Sûr ?
Oui il y a une différence entre grand et petits patrons ( @Anonyme : pourquoi êtes vous plus imposée que les grands groupes ? Pour qui travaillez vous in-fine : sous-traitance ou uberisé ou réellement indépendant ? etc)
@Arianne M : Oui, il faut re-politiser collectivement la question des rapports au travail. Surtout quand je vois ce que vous écrivez !
"Le problème n'est pas tant qu'il exprime une opinion, mais qu'elle soit relayée sans que son positionnement politique soit clairement explicité. En effet, ses arguments se résument essentiellement à « tuons les méchants bourgeois », une approche simpliste et manichéenne. Il serait donc nécessaire, en tant que média, de prendre un peu de hauteur et de questionner cette vision biaisée du monde, notamment d’un point de vue économique.
De plus, quelle est la légitimité de Nicolas Framont à parler de l'entreprise et des relations de travail? À ma connaissance, son parcours professionnel ne dépasse pas les murs de l'Université française – elle-même financée en grande partie par les impôts, donc par ces entreprises qu'il critique tant.
Lorsqu'un média décide de donner la parole à des personnalités aux positions aussi extrêmes, il me semble indispensable d'offrir aux lecteurs une mise en perspective, voire une analyse critique. L'objectivité journalistique exige de contextualiser et de nuancer les propos qui sont tenus, surtout lorsqu'ils proviennent de personnes prônant des idéologies aussi radicales."
Et vous d'où parlez-vous, qui êtes vous, quelle expérience en sociologie, en sociologie ou psychologie du travail, quels diplômes en "management", quelle expérience en analyse statistique ou en sciences humaines, quelle légitimité à parler de l'université (payée par les impôts (donc par les citoyens, je rappelle que le travailleur est plus taxé que l'entreprise et c'est Christine Lagarde qui le dit), que les grandes entreprises arrêtent de taper sur l'état qui les subventionnent à grand coup de CICE, CIR etc, sans contrôle ou contreparties (avec NOS impôts). Soyez réellement capitalistes (passez vous de l'état de ses infrastructures (routes, trains, canaux, réseaux d'énergie et de communication...), de ses aides, arrêtez de répondre à la commande publique qui nourrit le BTP par ex, etc et respectez les Lois, on verra ce que vous deviendrez !
Bref, mettez en perspectives, contextualisez, soyez objective, et nuancez vos propos...
jn Saussol
Ingénieur diplômé de l'université, 25 ans d'expérience pro dans l'aménagement du territoire
Enfin un article qui fait du bien. Bravo !