Marques : la course aux langages engagés

Marques : la course aux langages engagés

Avec Namibie
© Nick Fewings

Responsabilité, sobriété, utilité sociétale et terrain de légitimité : les marques cherchent à donner du sens à leurs activités, tout en utilisant les mots justes pour transmettre leurs valeurs auprès du grand public. Pourtant, les discours édulcorés sont légion et la fatigue des consommateurs vis-à-vis de recours émotionnels caricaturaux se fait de plus en plus sentir.

Dans un tel contexte, comment les marques peuvent-elles faire pour ne pas finir noyées dans la masse des discours ? Comment trouver sa singularité et déjouer les pièges d’une communication engagée qui ne touche pas son public ? Ces questions ont été abordées lors d’une conférence-débat organisée par L’ADN et Namibie, en croisant les regards d’invitées qui nous ont partagé leurs expériences respectives.

Un langage en perpétuelle évolution 

Un premier constat : le langage évolue perpétuellement et nos manières de communiquer aussi. Chaque jour, cinq milliards d’émojis sont envoyés via les réseaux sociaux et nos applications de communication – on compte d’ailleurs deux milliards d’utilisateurs de WhatsApp. 

Au sein des entreprises, l’étude de Bluenove sur « L’Impact de l’Open Space » confirme aussi une donnée étonnante : les communications directes entre collègues ont diminué de 72 % lors du passage du bureau traditionnel à l’open space, tandis que l’on se parle 56 % plus souvent par messages numériques. 

Des mots lisses, des mots zombies 

Dans ce contexte, comment les marques doivent-elles manipuler les mots ? Leur sens évolue-t-il aussi ? Élodie Laye Mielczareck, sémiologue et autrice de l’ouvrage Anti Bullshit, détaille son concept de « mots zombies » : plus un terme est utilisé, plus il perd de sa charge sémantique et de son impact. 

« Il est important et logique que l’on utilise les mêmes mots, notamment pour se comprendre, mais il arrive un moment où cela entame la vitalité de la langue. On a ainsi des mots qui sont comme trop-pleins, comme le mot "démocratie" où chacun met ses propres projections. D’autres sont complètement détournés de leur sens premier, comme le terme "radical," qui rappelle immédiatement la radicalisation – alors qu’il s’agit étymologiquement de "revenir à la racine de". Cette utilisation des mots participe à une communication "zombie", qui manque de souffle et d’incarnation », explique la chercheuse. 

Les marques font-elles face à ce phénomène ? L’utilisation de certains termes s’est tant multipliée dans les opérations de communication qu’ils semblent avoir perdu de leur sens, tandis que les marques lissent, parfois à outrance, leur discours. « On puise dans de grands concepts qui manipulent beaucoup de choses. Bienveillance, empathie, etc. Des buzzwords positifs car ils montrent que les choses avancent », explique Sophie Gay, CEO de Namibie. « La question : comment qualifier et angler ces grands concepts pour que les marques, les annonceurs, se les approprient en vérité et sincérité ?  »

Bienveillance des discours 

Selon Louise Laclautre, consultante stratégique et identité verbale chez Namibie, trois thématiques reviennent pour toutes les marques : elles souhaitent avoir une tonalité, un discours bienveillant, optimiste et humain. Pourquoi et comment y parvenir ?  

« Il y a une nécessité pour les marques de créer plus d’horizontalité avec les publics, dans une recherche d’authenticité ce qui est parfois plus facile pour les startups, qui se sont construites sur cette transversalité dès le départ. Mais pour les autres, la question est : comment inclure de la RSE dans son discours sans tomber dans l’écueil de l’opportunisme ?  », s’interroge Louise Laclautre. 

Le discours devient un véritable enjeu de crédibilité pour les marques. On remarque un tropisme fort, ces dernières années, autour de la « simplification » : celle de la charge client et celle de la charge mentale des consommateurs. On cherche perpétuellement à simplifier la vie des consommateurs. En parallèle, chez les startups, on note une sorte de course à la licorne, à cette recherche de discours disruptif. « Le fameux "parler vrai" finit par être le même pour tout le monde et devient un "parler fake" », note Louise Laclautre. 

Dans ce contexte, la solution est avant tout de « dépasser ces concepts assez hors-sol et consensuels pour les mettre à l’épreuve de la réalité et de la sensibilité, tant des publics internes que des publics externes », continue Louise Laclautre. Au sujet de la bonne utilisation des concepts, Bamby Combaluzier, Chief Product Officer de la startup Qiet, affirme : « On doit être clair sur sa base : pourquoi est-on sur tel marché, pourquoi crée-t-on un produit ou un service, quelle est notre mission ? Pour éviter de dupliquer ce qui existe et se définir une personnalité propre. Le langage en découle. »

Startup, les nouveaux langages

Bamby Combaluzier constate aussi une différence d’utilisation entre les startups et les entreprises plus établies. Les jeunes ont, ces dernières années, popularisé un langage et une manière de communiquer qui leur est propre. Il y a plusieurs raisons à cela : on note d’abord une différence générationnelle, souvent plus jeune dans les startups. 

Mais aussi dans l’esprit : la quête et la vision entrepreneuriale se veulent au cœur de la raison d’être des startups. « Le résultat, c’est un langage en interne qui devient important pour fédérer et créer une dynamique. On se veut beaucoup plus souple, plus tendance, notamment en externe », souligne-t-elle. 

En externe, justement, on peut souligner la volonté qu’ont eu les startup de « disrupter » la relation client. « Les problèmes de service client sont souvent associés au rejet des marques. Tandis que les startups utilisent des codes de langage actuels, le tutoiement, une tonalité de proximité pour disrupter la relation client », explique Bamby Combaluzier. L’enjeu actuel est de se différencier : les mêmes codes, autrefois différenciants, sont devenus communs. 

Pour un langage inclusif

Le choix des bons mots est-il important pour les entreprises ? Si Élodie Laye Mielczareck souligne l’intérêt évident des néologismes qui créent de « nouveaux paradigmes », Alicia Birr, Head of Consumer Insights chez Google France, tient à relever l’importance du langage inclusif dans une perspective de langage engagé. 

« Quand on parle au masculin, notre cerveau voit spontanément des hommes, pas des femmes. Pour les entreprises, cela a un impact. Si on cherche un “concepteur / rédacteur” dans une offre d'emploi sans mettre le mot aussi au féminin ou avec une forme neutre, cela va attirer plus d’hommes (...) comme le démontrent les études scientifiques, explique-t-elle. Finalement, il y a une contradiction fondamentale à avoir cet objectif de diversité, mais en même temps utiliser un langage qui lui-même serait complètement au masculin dit générique. »

Le langage inclusif est une manière accessible et peu coûteuse d’aligner les valeurs que les entreprises ont aujourd’hui, note-t-elle, à savoir a minima l’égalité hommes-femmes. Louise Laclautre abonde en ce sens : « La première étape de l’inclusivité, c’est ne pas être exclusif. Mais si on veut se positionner sur l'inclusivité, il faut savoir jusqu'où je place le curseur et qu'est-ce qui va être incompatible avec mon public, à quoi il va être sensible. »

In fine, comment créer son propre langage engagé ? Il faut éviter de dupliquer ce qui existe en résistant aux sirènes de la mode et des impératifs immédiats, pour se concentrer sur ce qui compte vraiment pour sa marque, son identité, ce qu’en attendent les clients et créer une véritable proximité avec eux.

« On a envie de pousser les marques dans ce que l’on appelle une résistance positive », conclut Sophie Gay, fondatrice de Namibie. « (…) C’est-à-dire ne pas sombrer face aux mots vidés, aux langages vidés, pour ne pas céder à la facilité. L’inventivité et la créativité sont nos instruments mais au cœur de tout cela, il y a le fait de ralentir : réinjecter une forme de patience. Privilégier "l’anti-swipe", si l’on utilise le champ lexical des applications de rencontre. Privilégier le temps long pour se montrer tel que l’on est vraiment. » Aller vers la sincérité en restant humble et soi-même, c’est peut-être ça un véritable langage engagé.

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