Le Covid-19 a révélé une certaine défiance envers la vaccination

« C’est lorsqu’il n’y a plus de réponses dans l’immédiat que les croyances émergent »

Avec Leem
© Diana Polekhina / Unsplash

Depuis un an, les débats se polarisent autour de la question de la recherche et des vaccins. Avec une certaine défiance envers la parole scientifique et un nouvel écho pour ses détracteurs. Comment restaurer la confiance et renouer le dialogue ?

Fake news, complotisme, communauté antivaccin… La pandémie de Covid-19 et la campagne de vaccination en cours ont révélé une forte défiance d’une partie de la population envers la parole scientifique et médicale. Que peut la science pour enrayer ce phénomène ? Nous avons posé la question à Clarisse Lhoste, présidente du laboratoire pharmaceutique MSD France et de la Commission Communication du Leem, qui participe à l’évènement #Rienàcacher organisé par le Leem ce vendredi.

Il existe une certaine défiance envers la parole scientifique aujourd'hui, particulièrement mise en lumière avec la crise du Covid-19. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Clarisse Lhoste : Je note deux tendances paradoxales. D’un côté, une très forte confiance dans les médecins et les chercheurs. Tout le monde s’est tourné vers eux pendant la crise du Covid pour trouver des solutions. La confiance est donc là et c’est extrêmement important de le souligner.

D’un autre côté, on voit effectivement une défiance mais qui selon moi porte surtout sur la validité des données présentées. Sous l’impulsion de différentes fakes news ou théories complotistes, il y a une remise en question des données produites en leur opposant de données contradictoires pourtant non validées. Et si on n’est pas expert du domaine, c’est vrai qu’il est difficile de faire la part du vrai et du faux.

Cette défiance se traduit aussi par un discours antivax de plus en plus visible, non ?

Il y a une hypermédiatisation de certains détracteurs, mais ils restent minoritaires selon moi. Ils prennent une part de voix extrêmement forte, notamment avec les réseaux sociaux qui leur donnent une caisse de résonance qu’ils n’avaient pas avant.

Il y a clairement une évolution positive des avis sur la vaccination en général.

Néanmoins, je pense que la confiance envers les médecins et la recherche demeure. En cinq ans, l’hésitation vaccinale en général, pas que Covid, est passée de 40% à 25%. Cela signifie que les personnes qui hésitaient à se faire vacciner il y a cinq ans sont moins nombreuses aujourd’hui, tous vaccins confondus. Pour le vaccin contre le Covid-19, l’hésitation vaccinale était de 40% en octobre 2020 selon des chiffres Ipsos, contre 20% aujourd’hui. La majorité de la population s’est renseignée et est aujourd’hui favorable à la vaccination. Il y a clairement une évolution positive des avis sur la vaccination en général.

La santé est-elle plus propice aux croyances ?

Les progrès extraordinaires de la science et de la recherche font qu’il y a souvent une réponse à un problème de santé. C’est lorsqu’il n’y a plus de réponses dans l’immédiat que les croyances émergent. Perdre la santé fait peur et face à cela, on n’accepte pas de rester dans l’incertitude, quitte à se bricoler son propre remède ou aller chercher des réponses ailleurs que dans le monde scientifique, souvent sur Internet. Et là, on peut lire que la purée d’avocats est un remède miracle pour tout !

Justement, la propagation de fausses nouvelles et de théories du complot prospère sur Internet. Est-ce un espace que la science délaisse trop ?

Peut-être que dans le passé, cet espace a été délaissé. Mais la période Covid a révélé la force des détracteurs et leur puissance de nuisance. Cependant, de nombreux leaders scientifiques prennent la parole aujourd’hui sur les réseaux sociaux pour défendre la science et convaincre le public de son bien-fondé. Avant le Covid, plusieurs institutions scientifiques françaises ont mené des actions en ligne pour lutter contre les fake news.

La période Covid a révélé la force des détracteurs et leur puissance de nuisance.

Le Leem a été très précurseur en lançant dès 2016 une rubrique dédiée aux fake news sur son site. L’Inserm a lancé la série Canal Détox en 2018. L’institut Pasteur a également dédié une page aux fake news sur son site. Plus récemment, le ministère de l’Enseignement supérieur a lancé sa propre plateforme de lutte contre les fake news avec " La parole à la science. Démêlez le vrai du faux ". On voit donc que les choses bougent et que tout le monde a compris l’importance de prendre la parole sur ce sujet.

Comment réhabiliter la parole scientifique, qui est une parole parfois très technique, auprès du grand public ?

Avec beaucoup de pédagogie et de transparence ! Ces deux mots sont les plus importants pour rétablir la confiance et permettre au grand public de bien comprendre les enjeux de la science. Il faut expliquer ce qu’est la démarche scientifique, comment fonctionne la recherche et quelles sont ses limites aussi parfois. Je crois qu’être transparent consiste aussi à dire quand on ne sait pas ou quand la recherche bloque.

Être transparent consiste aussi à dire quand on ne sait pas.

Un chercheur qui présente une étude en expliquant que ce n’est qu’un début et qu’il faut creuser davantage, cela ne pose pas de problème. En revanche, si ce même chercheur pose son étude incomplète comme une vérité, cela crée la confusion dans l’esprit des médias et du public.

La science avance à tâtons : on pose une hypothèse, on la teste, on itère et on avance. C’est important de le rappeler, et c’est encore plus important de le faire en dehors des crises car pendant les crises, personne n’accepte l’incertitude ou le « on ne sait pas ». Il est important de construire dans la durée cette parole scientifique et d’expliquer, dès le plus jeune âge, le fonctionnement de la science.

Quel est l’objectif de l’évènement #Rienàcacher organisé par le Leem le 25 juin ?

Il y a beaucoup de fake news sur l’industrie pharmaceutique, de défiance et d’incompréhension au final car c’est un secteur très technique et d’une grande complexité. Dans le passé, nous n’avons peut-être pas fait suffisamment de pédagogie sur le fonctionnement des laboratoires et de la recherche. Nous avions donc envie d’aller à la rencontre du public pour expliquer ce que l’on fait. Nous allons répondre à toutes les questions des internautes et du grand public, en toute transparence. Nous voulons nouer un véritable dialogue, sans fard.

La question du dialogue est primordiale pour mieux se comprendre, en particulier dans ce contexte de polarisation des débats autour de la santé. Comment la science peut-elle renouer le dialogue et apaiser les débats ? (le peut-elle d’ailleurs ? )

La science repose sur des faits. Elle nécessite donc d’avoir confiance dans les faits. Nous arriverons à rétablir le dialogue lorsque nous aurons renoué la confiance dans les faits et dans les données générées. Car à partir du moment où il y a des données, il y a moins de place pour l’émotion.

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