Elle a dû aller jusqu’en Inde pour parachever son idée de l’entreprise agile. Marion Darrieutort nous parle du shift entreprise par son agence et se raconte un peu, elle aussi.
Qu’est-ce qui vous a guidé dans cette transition ?
Marion Darrieutort : J’ai réalisé toute ma carrière dans des agences de PR. Elan Edelman a représenté un premier shift puisque nous sommes déjà passés il y a quelques années des PR à l’influence. Nous avons été les premiers à revendiquer ce statut à une époque où le mot influence voulait encore dire propagande et manipulation ! Aujourd’hui nous amorçons un nouveau saut, un nouveau repositionnement pour devenir une agence conseil en stratégie et communication. J’ai toujours été guidée par la passion du métier et par le fait de savoir que les besoins de mes clients évoluent sans cesse. J’ai changé de poste, créé mon agence, vendu mon agence et même fusionné mon agence pour répondre au mieux à ces intérêts. C’est pour ces raisons que nous nous revendiquons aujourd’hui comme une entreprise agile. Il faut être capable de se réinventer, de se repositionner pour se dire « voilà comment je réponds aux nouveaux enjeux du marché ».
Être agile, c’est reconnaître que c’est le sens de l’histoire, c’est une adéquation avec l’air du temps, avec la société dans laquelle on vit !
- Marion Darrieutort, CEO d'Elan-Edelman
Qu’est-ce qu’un modèle d’entreprise libérée et agile pour vous ?
M.D. : Une entreprise agile c’est déjà une entreprise qui est capable de faire évoluer ses services pour mieux répondre à ses clients. Une entreprise agile c’est aussi une entreprise qui est capable de faire évoluer son organigramme, son fonctionnement pour apporter plus de vitesse et de décloisonnement.En fait, elle a deux jambes : l’une pour l’organisation, l’autre pour la proposition de valeur. Être agile, c’est reconnaître que c’est le sens de l’histoire, c’est une adéquation avec l’air du temps, avec la société dans laquelle on vit !
Tu es à la tête d’une entreprise et du jour au lendemain, tu réalises que pour qu’une entreprise libérée fonctionne, le dirigeant doit perdre son pouvoir.
Comment avez-vous amorcé le changement au sein d’Elan Edelman ? Y’a-t-il eu un élément déclencheur ? Une prise de conscience ?
M.D. : Depuis la fusion entre Elan et Edelman, nous avons doublé de taille. Il y avait 70 personnes dans chaque entité et du jour au lendemain, nous sommes devenus 140. C’était la première fois que je faisais une fusion. C’est difficile une fusion. C’est de l’humain, les gens ont peur. Alors qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai continué à utiliser les méthodes managériales que j’avais toujours utilisées, celles que l’on m’avait apprises. Mais tout ce que je faisais, j’avais le sentiment que ça ne marchait plus. Pourtant, je n’avais rien changé, les gens n’avaient pas changé. Tout d’un coup, je me prenais mur sur mur, littéralement. Ça a été une grosse remise en question et je n’ai pas peur de le dire parce que nous ne sommes ni des superwomen ni des supermen ! Et surtout, ce que je retiens, c’est que l’échec est très apprenant.
Les méthodes que j’appliquais étaient descendantes, avec une pyramide, une hiérarchie, une structure cloisonnée. J’ai alors commencé à m’interroger sur l’entreprise libérée. J’ai rencontré des gens, lu les écrits de Isaac Getz, j’ai même pris un coach, un monsieur qui nous a accompagnés dans cette transformation culturelle. C’est à ce moment que j’ai commencé à changer mes méthodes de travail. Il est extrêmement difficile de changer. Tu es à la tête d’une entreprise et du jour au lendemain, tu réalises que pour qu’une entreprise libérée fonctionne, le dirigeant doit perdre son pouvoir.
L’entreprise agile signifie aussi que l’information ne doit plus être un pouvoir.
- Marion Darrieutort, CEO d'Elan-Edelman
Cette remise en question, je l’ai matérialisée en partant trois semaines en Inde, en juillet 2016. Je suis allée dans un ashram, j’ai fait une cure de silence avec tout ce que cela implique (rires). Il fallait que je me réinvente. Ce que j’ai compris, c’est que pour libérer l’entreprise, il faut libérer le patron. Pendant, cette période, j’ai laissé gérer mes équipes en leur disant : « Je vais partir, parce que je ne sais plus comment on fait, j’ai perdu la recette magique, je vous laisse les clés et je suis certaine que ça va marcher. » Lorsque je suis revenue, ils avaient pris le pouvoir. Ça été une belle leçon d’humilité. Réaliser que personne n’est indispensable fait beaucoup de bien à l’égo ! C’est comme ça qu’a démarré l’aventure. Et à son point de départ, finalement, il y avait la volonté de comprendre.
Marion Darrieutort, PDG Elan Edelman, Vice-Présidente Entreprise & Progrès
Concrètement, qu’avez-vous mis en place en interne ?
M.D. : Nous avons commencé par supprimer le Com’ex et le Codir pour créer un Monday Meeting et une Leadership Team à la place. Cette dernière est composée de seniors bien sûr, mais aussi de jeunes gens qui ont trois niveaux hiérarchiques de différence avec moi si on se réfère à cette fameuse pyramide. Ce sont des personnes en qui j’ai entièrement confiance, nous nous voyons tous les lundis matin. Le compte rendu de ces Monday Meetings est ensuite envoyé le mardi à toute l’agence. C’est d’ailleurs le deuxième sujet auquel nous nous sommes attaqués : la transparence. Aujourd’hui, nous devons être capables de tout partager sans filtre, même les démissions, même la perte d’un client ou lorsque les chiffres sont moins bons. Je tenais à cette transparence parce que l’entreprise agile signifie aussi que l’information ne doit plus être un pouvoir.
En termes de RSE, de communication interne et externe, tout est pris en charge par des équipes transverses de consultants. Ils se débrouillent de leur côté et nous informent de ce qu’ils vont faire sans nous faire valider quoi que ce soit. L’énergie vient d’en bas et ce sont les mieux placés pour représenter l’agence !
Nous avons aussi créé le Shadow Com’ex. Il est composé de six jeunes qui ont de deux à cinq ans d’expérience et dont le mandat, non renouvelable, ne dure qu’un an. Leur mission ? Me challenger. Je leur confie les sujets les plus stratégiques de l’agence et ils me donnent leur avis ! Ce sont des gens qui sont capables de me contredire lorsque je fais fausse route, même si ça ne fait pas toujours plaisir à entendre !
Aujourd’hui, nous mettons aussi en place la charte Flexiwork pour délivrer plus de flexibilité au travail. Ses clauses imposent que la fermeture de l’agence soit fixée à 21h, que tous nos collaborateurs aient droit à la déconnexion et qu’il n’a y ait jamais de réunion avant 9h ou après 18h.
Vous en ressentez les effets aujourd’hui ? Qu’est-ce que cette transition vous a apporté ?
M.D. : C’est encore relativement récent mais je sens que nous avons regagné en agilité et en performance, c’est-à-dire que nous avions des points de blocage et nous avons tout d’un coup libéré certaines énergies. Lorsque l’on confie des responsabilités à des plus jeunes, un climat différent, libérateur s’installe. Nous avons eu des retours très positifs de la part de nos clients. Beaucoup nous ont dit qu’ils souffraient eux aussi du cloisonnement et des silos. Aujourd’hui nous leur parlons de ce que nous faisons, nous partageons notre modèle.
Pour l’anecdote, le groupe Edelman a vu ce que notre agence faisait en France, et pour être honnête, je ne leur en avais pas parlé par peur que l’on me demande d’arrêter. Lorsque nos collaborateurs américains ont découvert l’existence du Shadow Com’ex, le numéro 2 du Groupe a pris un billet d’avion et nous a rendu visite à Paris en demandant à rencontrer les membres du comité sans moi.
Là, je me suis dit que c’était la fin, que je n’allais pas pouvoir continuer. Il a fini par sortir de la salle et m’a dit qu’il avait adoré l’idée. Depuis, je pense que la France est devenue un laboratoire pionnier sur les modèles organisationnels pour le groupe qui est présent dans 65 villes du monde et regroupe 5000 collaborateurs. Et c’est extrêmement valorisant ! Nous ne sommes pas les plus puissants, mais si nous pouvons être inspirants, c’est encore mieux !
Ce repositionnement s'est traduit par un résultat opérationnel multiplié par six pour l'année dernière et nous avons aussi pu attirer des talents qui se reconnaissent dans un modèle plus moderne et dans l'air du temps.
Lorsque l’on décide de mettre en place un modèle d’entreprise, libéré ou non, personne n’est là pour vous prévenir que la transition culturelle est telle que certaines personnes ne s’y reconnaitront pas, que certaines partiront. Il faut l’assumer.
Avez-vous été confrontée à des dissensions, des réticences en interne avant et pendant la mise en place de ce nouveau modèle ?
Oui bien sûr. J’ai à la fois été confrontée à des personnes qui rêvaient leur carrière comme verticale et à d’autres qui ont construit leur projet professionnel dans le but d’appartenir à des instances. Il y a certaines personnes pour lesquelles le changement a été compliqué, surtout après la suppression du Com’ex et du Codir. Le système de valeurs s’est écroulé et quelque part, ça m’a aussi un peu perturbée. Je me suis souvent demandée si ce que je faisais était une bonne idée, même si je savais que je ne voulais plus travailler comme ça. Je ne voulais plus de ce système de bons points, de filtration de l’information.
En réalité, je ne pensais pas que ce serait aussi difficile. Lorsque l’on décide de mettre en place un modèle d’entreprise libérée ou non, personne n’est là pour vous prévenir que la transition culturelle est telle que certaines personnes ne s’y reconnaitront pas, que certaines partiront. Il faut l’assumer. On ne m’avait pas dit à quel point la remise en cause du dirigeant est forte, et je pense qu’un modèle comme ça n’est pas fait pour tout le monde. Il faut être préparé. Quand on décloisonne, quand on libère la parole, on ouvre et s’expose aussi de la contestation. Et il y a des jours où on n’a pas envie d’y faire face. C’est aussi ça la vie d’entreprise libérée, ce n’est pas tout le temps tout beau et tout rose ! En revanche l’agilité est le sens de l’histoire, l’important est d’agir pour décloisonner !
Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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Ce témoignage corrobore les retours d'expériences les plus sincères des "boss" versé(e)s en agilité profonde. Détermination et abandon mêlés sont, de la part du dirigeant, en Holacracy aussi, les premiers postulats du succès de l'adoption du nouveau paradigme. L'assentiment de l'actionnaire , L'inscription dans la durée et le tutorat sont les autres pré-requis essentiels et cet article le laisse deviner.
Ce témoignage corrobore les retours d'expériences les plus sincères des "boss" versé(e)s en agilité profonde. Détermination et abandon mêlés sont, de la part du dirigeant, en Holacracy aussi, les premiers postulats du succès de l'adoption du nouveau paradigme. L'assentiment de l'actionnaire , L'inscription dans la durée et le tutorat sont les autres pré-requis essentiels et cet article le laisse deviner.
Ce témoignage corrobore les retours d'expériences les plus sincères des "boss" versé(e)s en agilité profonde. Détermination et abandon mêlés sont, de la part du dirigeant, en Holacracy aussi, les premiers postulats du succès de l'adoption du nouveau paradigme. L'assentiment de l'actionnaire , L'inscription dans la durée et le tutorat sont les autres pré-requis essentiels et cet article le laisse deviner.
Ce témoignage corrobore les retours d'expériences les plus sincères des "boss" versé(e)s en agilité profonde. Détermination et abandon mêlés sont, de la part du dirigeant, en Holacracy aussi, les premiers postulats du succès de l'adoption du nouveau paradigme. L'assentiment de l'actionnaire , L'inscription dans la durée et le tutorat sont les autres pré-requis essentiels et cet article le laisse deviner.
Témoignage sincère et inspirant, bravo Marion Darrieutort !