
Distanciation sociale, quarantaine, confinement... le Covid-19 nous apprend à échanger autrement. D'autres modalités de dialogues peuvent-elles nous aider à affronter la crise ? C'est ce qu'envisage le nouveau numéro de la revue de L'ADN.
Comment on se parle ? C'est la question que soulève le nouveau numéro de la revue de L’ADN. Nous nous la sommes posée avant. Avant la distanciation sociale, avant la quarantaine, avant donc que nous soyons tous confinés chez nous. Mais le sujet n’a rien perdu de son actualité. Bâtir nos échanges sur d’autres modalités est sans doute l’une des clés pour sortir de la crise du Covid-19 par le haut.
Passer de l’ère du clash à l’art de la dispute
L’ère du clash, on connait bien, on en vient. On peut parier que le contexte tendu d'aujourd'hui ne nous épargnera ni les scandales, ni les affrontements demain. Sans les sanctifier, nos interlocuteurs nous amènent à envisager nos dramas autrement.
Tandis que le philosophe Michaël Fœssel nous invite à pratiquer la dispute – « parler au lieu de se battre », le politologue Clément Victorovitch nous rappelle que nos divergences sont aussi l’un des ferments de nos démocraties : « La définition de la politique, c’est le choix. Et la définition du choix, c’est l’existence d’un conflit. » Quant à Charles Rojzman, psychosociologue, philosophe praticien et écrivain français, persiste dans cette voie. Il prétend même que regarder nos conflits et nos peurs bien en face est le seul moyen de les régler. Il en a fait le socle de sa "thérapie sociale" qu'il a mis en oeuvre, notamment, dans des contextes de guerre. « La peur est un sentiment réel et utile puisqu’elle nous prémunit du danger. Notre société nous intime de ne plus avoir peur de l’autre, de nous emplir de sa richesse : comme si l’autre était quelqu’un de forcément bon et généreux. Oui, réhabilitons la peur. Réhabilitons le conflit. Sans conflit, sans espace de conflit, notre société se fragmente dans la violence. Le conflit est une joute verbale nécessaire et légitime, quand il le faut. »
Réapprendre la complexité et la nuance
Affronter une crise sanitaire, c’est apprendre que rien n’est simple, que tout est dans tout, et qu'on n'est jamais à l'abri d'un changement radical de situation... Avec le coronavirus, nous réalisons très concrètement combien les réalités sont complexes et entremêlées. Pour se débrouiller dans un tel contexte, le manichéisme grossier n'apporte pas de solutions. Nous sommes donc sommés de composer avec la nuance qui est, comme le souligne Marylin Maeso, autrice du livre Les conspirateurs du silence, « un acte révolutionnaire, un travail sur soi-même, très loin de la tiédeur. »
Échanger avec toutes les communautés
Moralité de ce premier semestre 2020 ? Qu'on le veuille, ou non, ce qui se passe à Wuhan ne reste pas à Wuhan. Démonstration, si nous en doutions encore, que nous sommes tous reliés, interdépendants. Cela oblige à des échanges dont on n'avait pas l'habitude. C'est le cœur du métier d'Anneline Letard, designeuse au Ceebios. Elle nous raconte comment faire travailler ensemble des experts d'horizons très différents pour qu'ils conçoivent des solutions à des problèmes nouveaux. Un métier d'avenir.
S'exercer à être plus authentique
Traverser une crise oblige à tenir compte de l'autre – ce qu'il a, ce qu'il est, ce qu'il vit. Entre individus, le fameux et très éculé « comment vas-tu ? » prend plus de poids. Même les organisations n'ont plus ni le temps, ni l'envie de raconter des histoires, fussent-elles très joliment storytellées. On sort de l'ère du pitch. On entre dans celle de l'authenticité.
Aligner le dire et le faire
Les marques ont beaucoup mis en avant leur raison d'être. Il s'agissait de déclarer ce qu'elle croyait être leur mission. Par temps de crise, ces éléments de langage perdre tout leur sens s'ils ne sont pas suivis d'effets. Comme nous la rappelle Thomas Kolster, fondateur du mouvement Goodvertising, professionnel de l’image de marque et du développement durable, « les dégradations sociales et environnementales auxquelles nous faisons face sont dévastatrices, il y a une urgence incroyable à agir. » Plus que de dire ce à quoi l'on croit, il est temps de montrer ce que nous pouvons faire.
À lire dans ce numéro :
Michaël Fœssel : « Habiter le monde plutôt que la bulle »
Clément Viktorovitch : La rhétorique pour tous !
Charles Rojzman : Pour sortir de la violence, réhabilitons le conflit
Marylin Maeso : « Une société du soupçon »
Profession : « Sensitivity reader »
La diplomate de l’innovation
Pitch overdose
Thomas Kolster : « Demain, des marques coachs ! »
Et aussi :
Frédéric Beigbeder : Le stade « pouet pouet » de la démocratie, Haley Morris-Cafiero : Danse avec les trolls, Jen Schradie : Internet, une révolution conservatrice, et Lison Daniel, des caractères, qui répond au questionnaire de L’ADN...
Pour vous procurer le numéro - Comment tu me parles - de L'ADN, cliquez ici.
Le dialogue est-il vraiment en train de changer?
Ecoutons-nous vraiment plus les autres? Ou bien observe-t-on un repositionnement de chacun sur ce qu'il croyait déjà avant la crise?
Je suis sollicité dans 5 groupes de réflexion pour le changement après COVID. Les groupes ont des profils très différents. Dans chaque groupe, les individus comprennent le besoin et l'efficacité de partager une mission (sauver des vies humaines) et un but (faire reculer le virus) en permettant à chacun d'y participer. Pour ce qui est de la suite des crises, le traitement collectif leur parait illusoire. "ce qu'il faut c'est que les autres changent".
Prenons un petit cas pour l'illustrer. Il y a quelques jours le patronat déclarait qu'il faudrait travailler plus. Les syndicats ont vivement réagit. On perçoit que ce sera après comme avant et que oui on aura une crise majeure (pas en raison des causes exceptionnelles mais en raison de notre incapacité à regarder autrement). En effet, dans l'exemple ci-dessus on peut dire que la seule vraie valeur ajoutée et celle que crée le travail. Il faudra donc travailler plus. C'est donc une occasion de mettre plus de monde au travail. Peut-être faut-il le faire financer par la communauté, payer les gens pour leur travail plus tôt que de faire travailler les uns pour payer les autres qui chôment. Peut-être les lecteurs de ce message auront-il encore une autre idée pour que chacun en sorte gagnant.
On aura changer la manière de se parler si dans l'autre on voit une magnifique occasion de partager un projet commun.
Pardon pour les deux petites fautes que j'aurais aimé corriger
"la seule vraie valeur ajoutée est celle du travail"
"On aura changé la manière".
Emmanuel