Et si la Tech for good n’était que la partie visible d’un questionnement plus vaste sur la technologie responsable ? Pour Mathieu Baudin, historien et directeur de l’Institut des futurs souhaitables, en matière de prospective, il convient d’adopter un point de vue plus large : celui de la Tech for what. Explications.
La Tech for good ne changera pas le monde, mais la Tech for what le pourrait bien. Depuis quelques années, la tendance est au tout good : Tech for good, Finance for good, Sécurité for good, Education for good. Pourtant, cette tendance a priori vertueuse a ses limites et pourrait bien être détrônée par un nouveau concept : celui de la « Tech for what ».
« Globalement, le “for good” actuel, c’est un peu le “for change” d’il y a cinq ans et le “sans frontière”, des années 1980, explique Mathieu Baudin, historien et directeur de l’Institut des futurs souhaitables. C’est la nécessité de sortir du cadre habituel puisque ce cadre, avec lequel on a toujours fait, ne suffit plus à garantir l’avenir. » En clair, la maison brûle et nous ne regardons plus ailleurs.
Les limites de la Tech for good
Née sur ce constat qu’il était urgent de changer les choses pour ne pas hypothéquer l’avenir, la Tech for good s’est développée sur un credo simple : comment la tech peut-elle faire le bien ? Problème : la notion de bien et de mal est relative. « For good pour quoi, pour qui ? Pour tout le monde ? Pour seulement certains ? J’ai un peu de mal avec cette terminologie “for good”. Les pires guerres qui ont été menées dans le monde l’ont été parce que les parties opposées se considéraient toutes les deux dans le camp des gentils et des bons », rappelle Mathieu Baudin.
Dans la fusée à étages de notre prise de conscience du monde, la Tech for good n’est donc que la première partie, celle qui pointe les problèmes et commence à s’interroger sur l’impact social, sociétal et environnemental de certaines pratiques. Mais pour Mathieu Baudin, cela ne va pas assez loin : « Si le Dalaï-lama et Mère Theresa jouent au Monopoly, la fin est toujours la même. Donc ce n’est pas un problème de joueurs mais un problème de jeu. Or, le “for what” questionne le jeu, là où le for good fonctionne plutôt pour le joueur. »
Redonner du sens à la technologie
Concrètement, la Tech for what renvoie la technologie à son sens. À quoi sert la technologie ou telle innovation ? Ce nouveau mode de pensée laisse présager deux choses : une plus grande exigence envers les futures technologies développées, qui devront prouver le bien-fondé de leur impérieuse nécessité, et la réhabilitation du temps long. Un mouvement de fond qui concerne également les marques et les entreprises, priées d’apporter la preuve de leur responsabilité sociétale.
Pour Jean-Michel Baticle, Président Europe de l’Ouest et du Sud pour CGI, les géants de la tech doivent projeter leurs actions sur le long terme en adressant les enjeux majeurs du futur : « C’est pour cette raison que nous avons à cœur de développer l’écoconception de nos solutions numériques car nous savons que ces dernières seront en fonction près de 15 ans chez nos clients. Aujourd’hui, nous souhaitons aussi les challenger dans notre processus de proposition en déterminant avec eux leurs réels besoins avant même la conception des solutions ».
Le risque ? Passer à côté de l'Histoire
« Dans l’Histoire, il n’a pas fallu attendre que la masse ou que les puissants arrivent dans l’aventure pour que ça change. Un petit groupe motivé de gens a su faire basculer le destin à plusieurs reprises. Il ne faut pas attendre que les gros s’y mettent parce que les gros s’y mettront quand ils seront dépassés ou risqueront de l’être, prévient Mathieu Baudin. Il ne faut pas non plus attendre du politique le changement. Soyons nous-mêmes le changement et ils seront bien obligés de s’adapter sous peine d’être ringardisés ou de passer à côté de l’Histoire. »
Demain ne fait plus peur, demain est la promesse d’une nouvelle aventure où tout est à repenser, tout est à refaire. Dans cette nouvelle étape de notre civilisation, le temps est un nouvel allié. « Nous vivons dans une société qui va très vite, dans laquelle on pense court-terme. Mais cela n’a pas toujours été le cas ! Les grands ingénieurs de la Belle Epoque construisaient pour que cela dure, souligne Mathieu Baudin. Il est urgent de réhabiliter le temps long dans la décision présente pour penser notre projet collectif pour demain et concentrer l’effort technologique sur les choses qui ont du sens. »
À LIRE AUSSI :
6 projets inspirants pour (vraiment) changer le monde
Impact investing, design éthique… Parlez-vous Tech for good ?
Réconcilier écologie et numérique, il y a du boulot mais c’est possible
Participer à la conversation