
Dans l’industrie musicale, la K-pop a atteint des sommets de popularité. La musique pop chinoise pourrait-elle à son tour emballer le public occidental ?
Avril 2022, Coachella. Le sémillant Jackson Wang monte sur la scène du plus hype des festivals de musique américain. Retenez bien ce nom, Jackson Wang. Ancien escrimeur de l'équipe nationale de Hong Kong, ancien membre du Boys Boy coréen Got7, cet artiste polyvalent qui s’est lancé en solo en 2019 est aussi le premier Chinois à avoir foulé la scène d’un festival occidental. Et le jeune homme de 27 ans, né à Hong Kong, le clamait alors fièrement : « I am Jackson Wang from China ! ».
La formule avait déclenché une très vive polémique chez ses fans asiatiques. Est-ce que le Hongkongais, citoyen d'une région administrative spéciale de la République populaire de Chine particulièrement attachée à sa relative autonomie, profitait de sa visibilité internationale pour affirmer son allégeance à Pékin ? Ce débat peut nous paraître lointain. Il cristallise pourtant toutes les tensions qui entourent la C-pop. Alors que Pékin semble vouloir étendre à l’international sa musique pop, le pouvoir ne semble pas enclin à desserrer le contrôle de ses artistes. La C-pop pourrait-elle quand même se développer ? C'est possible, mais elle le fera depuis d’autres territoires. Une histoire qui illustre bien le soft power à la chinoise.
La C-pop, cette énorme boule à facettes
Contrairement à ce que son nom suggère, la C-pop n'est pas un genre monolithique. D’abord, parce qu’elle embrasse un territoire immense : la Chine bien sûr, mais aussi Hong Kong, Taiwan, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie. La C-pop mélange de nombreuses influences culturelles. Pour circonscrire le phénomène, il faudrait a minima distinguer trois styles : la mandopop (qui produit des chansons principalement chantées en mandarin), la cantopop (chantées en cantonais de Hong Kong et qui comprend du jazz, du rock aussi bien que de l’électro) et la Tpop, la pop taiwanaise. En dehors de toute extension vers l’ouest, la C-pop représente un potentiel colossal de plus d’1,5 milliards de fans et s’il reste encore un énorme de gisement de développement, le marché est déjà classé cinquième mondial en 2024, avec une croissance de ses revenus de 9,6 %.
Le genre reste très marqué par ses origines, à savoir des ballades ultra-sirupeuses. Mais, depuis deux décennies, la nouvelle génération intègre les influences de la pop occidentale. En juillet 2025, Jackson Wang, reçu chez Skyrock, cite les artistes qui lui ont donné le goût de la musique, et parmi eux, essentiellement des rappeurs américains : Queen Latifah, Fabolous et Mos Def.
La C-pop, passion émergente de la GenZ
Pourquoi la GenZ occidentale commence à aimer la C-pop ? Avant tout parce que cette génération est exercée à la culture asiatique. En matière de musique, la K-pop, et dans une moindre mesure la J-pop (la pop japonaise), font partie de leur paysage. Le genre coréen est devenu archidominant ; en 2023, il concernait 19 des 20 albums les plus vendus au monde. Désormais, la C-pop constitue pour les fans de K-pop une curiosité à explorer. « Depuis 2 ans, je suis très calée K-pop [...] Mais plus le temps passe, plus je tends à vouloir rajouter plein de nationalités et de diversité dans ce que j'écoute ! », confie le youtubeur Gpasltemps dans une vidéo où il énumère ses artistes chinois préférés. Comme tous les amateurs de C-pop, il observe, et se réjouit, de la diversité de cette catégorie. Il y a Coco Lee, interprète défunte de la BO du dessin animé Mulan et de Tigre et Dragon, Jolin Tsai, la nouvelle reine de la mandapop, peut-être la chanteuse la plus titrée du monde chinois, Sammi Cheng, la diva de la cantapop, avec 80 albums au compteur et pas loin de 200 récompenses, pour sa carrière de chanteuse et d’actrice, les mélodies moins sucrées d’Akini Jing, première artiste chinoise à entrer dans le Top 40 du classement Billboard Dance Club en 2018 ou Lexie Liu, la plus it-girl des pop stars chinoises au style éclectique.
Un écosystème méconnu mais titanesque
Mais le développement de la musique C-pop n’est pas le fruit de la curiosité de quelques fans, il reflète l'explosion du marché de l’entertainment chinois qui, depuis 2010, a été largement soutenu par le gouvernement central chinois. « Il faut résister aux forces hostiles qui tentent d'occidentaliser notre culture, et il faut exporter la culture chinoise » , affirmait en 2012 Hu Jintao, alors président de la République populaire de Chine. Et cette politique volontariste commence à payer.
Prenons le cinéma. Un cap historique a été franchi en 2020. Cette année-là, la Chine a dépassé les États-Unis en termes de recettes totales de son box-office. En quelques années, sous l’effet de quotas stricts imposés aux films internationaux et de mesures encourageant les productions locales, le pays est passé d'acteur mineur à deuxième marché cinématographique mondial. Le succès de blockbusters tels que Wolf Warrior 2 et The Wandering Earth a démontré que le cinéma local pouvait rivaliser avec les productions hollywoodiennes en attirant un large public international.
Mais le cinéma n'est qu’une des parties émergées de l'iceberg. Tencent, géant technologique chinois, est devenu l’un des plus gros éditeurs de jeux vidéo au monde. Et là encore, l'entreprise déborde les frontières chinoise. Elle détient notamment des participations dans Riot Games (créateur de League of Legends), Epic Games (Fortnite), Supercell (Clash of Clans) et Ubisoft.
Par ailleurs, toutes les productions chinoises ont été dynamisée grâce à plateformes de streaming comme iQIYI, Tencent Video et Youku qui ont assuré des succès internationaux à des séries comme The Untamed, The King's Avatar ou Le Problème à trois corps. Dans ce dispositif, TikTok joue un rôle crucial pour élargir l’audience des artistes chinois, notamment ceux de la C-Pop.
« Survival idol » : la grande machine à produire des hits
Comment la C-pop est peu à peu sortie de son marché intérieur ? Ce sont les émissions de TV réalité, les très puissants « survival idols », l’équivalent de nos télécrochets genre Star Academy, qui ont fait le boulot.
Ce type d’émissions s'est développé au début des années 2000. La version chinoise d’American Idol, Supergirl Idol, a connu un succès phénoménal en 2005 en attirant jusqu’à 400 millions de téléspectateurs, soit près d’un tiers de la population chinoise. La gagnante, Li Yuchan a recueilli 3,5 millions de votes par SMS, devançant de peu son principal rival (3,2 millions). Elle est devenue si populaire qu’elle s’est hissée à la 6e place du classement Forbes des célébrités chinoises les plus en vue et les plus riches.
Mais face à ce succès phénoménal, en 2007, le gouvernement chinois a montré les premiers coups de frein. Il a qualifié l'émission de « vulgaire » et l'a interdite. La même année, Happy Boy Voice fut aussi critiquée par le gouvernement pour avoir montré des fans hystériques et des candidats éconduits en larmes. Les producteurs furent sommés de diffuser davantage de chansons « saines » et de supprimer toute « vulgarité, bizarrerie et mauvais goût ». Pékin a justifié cette série de décisions en arguant de la baisse de la qualité des programmes tandis que certains observateurs pensent qu’il s’agissait de ne pas habituer les téléspectateurs aux votes pour leurs candidats, une pratique qui pourrait encourager des velléités démocratiques. À cette époque, on comptait jusqu'à 50 télécrochets de type American Idol diffusés simultanément sur les chaînes de télévision par satellite et des dizaines d'autres sur les chaînes traditionnelles.
Le tournant international de la C-pop
Le 2 septembre 2021, à la suite de débordements lors de l'émission Youth With You – une sombre histoire de lait déversé dans les égouts pour que les fans obtiennent des codes de vote, l'Administration nationale de la radio et de la télévision chinoise a tout bonnement interdit la diffusion de ce genre de programme sur les chaînes de télévision et les plateformes de streaming.
Face à ce nouveau niveau de contraintes, le marché a organisé la parade : produire à l'étranger. Cette année-là le géant du jeux vidéo Tencent a acquis les droits de Produce 101, une émission de téléréalité sud-coréenne (ISEAS). Rebaptisée Chuang (créativité, en chinois), l'émission a déclenché une vague de programmes qui alternent depuis entre la révélation de boys bands et de girls bands. Le succès a été énorme, sur le marché chinois mais également sur toute la zone asiatique : la finale de Chuang 2021 a cumulé 4,77 milliards de vues, et les fans ont collecté 40 millions de yuans (6,16 millions de dollars) en une seule journée.
Ces émissions ont donné naissance à des groupes qui ont rencontré un succès considérable et mondial. Le plus emblématique, INTO1, a été formé lors de la finale de Chuang 2021. Le boys band composé de 11 membres venus de Chine, du Japon, de Thaïlande mais aussi des États-Unis étaient clairement international. Into1 a sorti quatre albums en deux ans avant de se dissoudre en 2023 comme prévu contractuellement. Leur premier single Into the Fire a accumulé plus de 2,7 millions de vues sur YouTube, et le groupe s’est produit durant les Jeux olympiques de Tokyo 2020 puis pour ceux de Pékin 2022. En 2023, Tencent a annoncé qu’il déclinerait la franchise Chuang en Thaïlande sous le nom de Chuang Asia (ISEAS). Et c’est Jackson Wang, le chanteur de Coachella, qui en est le coproducteur. D’années en années, le chanteur gagne toujours plus de visibilité. De passage à Paris, il rendait une visite à Pharell Williams et posait pour la marque Louis Vuitton.

Dans ce contexte d’expansion, la C-pop va-t-elle devenir la nouvelle K-pop ? C’est encore de l’ordre du pari. Ce qui est certain, c’est que les deux écosystèmes s’apportent une visibilité mutuelle et qu’ils sont l’un et l’autre portés par des gouvernements qui misent sur le soft power de la pop culture.







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