
Ce bout du monde marseillais concentre sur un espace minuscule les conflits des nouvelles cartographies de nos espaces. Et pose la question de comment y faire face.
« Je n’ai jamais visité un cabanon de pêcheurs aussi bien refait » ! s’exclame une jeune tiktokeuse spécialisée dans les biens d’exception. Face à elle, l’architecte de la rénovation détaille les prestations « full luxury » de ce petit “cabanon d’architecte” : béton ciré, chambres en suite, micro piscine extérieure. « On a l’impression d’être à Mykonos ! », s’enthousiasme-t-il. Sauf que pas du tout, nous sommes aux Goudes, dans le 8e arrondissement de Marseille. Le bout du « monde » pour les locaux, et « l’endroit où il faut être en été » selon l’archi de la vidéo.
Depuis une dizaine d’années, ce petit quartier de 500 habitants, aux portes du parc national des Calanques est frappé d’une hype croissante. Des « shorts » le long de la « plus belle route de Marseille » aux vidéos du « plus beau coucher de soleil de la ville » : le quartier est le nouveau must-go des « escapades authentiques et bohèmes ». Les guides lifestyle s’émerveillent, les institutions branchées s’y installent. Et sur AirBnb, les annonces pour passer une nuit dans un « cabanon » rénové à la grecque pullulent.
Triple attraction
Le succès de cette offre, inspirée des Cyclades et largement teintée d’appropriation culturelle, n'est pas sans conséquences pour ce micro-quartier enclavé. Stationnements sur-saturés, embouteillages dantesques... Une virée dès fin mars suffit pour sentir monter la vague touristique. Terrasses déjà presque pleines, touristes sortant des cabanons en bord de mer, boîtes à clés « AirBnB »… Sur le petit port, Didier, qui travaille à l’entretien des bateaux, lâche, direct : « C’est devenu l’enfer, ici. Si cela ne tenait qu’à moi, je serais déjà parti ». Pour ce Marseillais « né aux Goudes », fidèle aux exigences de sa compagne, les nuisances n’ont fait que s’accumuler ces dix dernières années. Incivilités liées aux fêtes sur les plages, pénurie de logement, enclavement... « En été, c’est simple, on sait que passé midi, on ne peut pas sortir du quartier ! ». Des difficultés dont témoigne également Juliette, installée en 2017: « On doit absorber une triple attraction: le tourisme international, national, et régional ». Deux derniers phénomènes montés en puissance « suite au déconfinement, lorsque l’interdiction des plages a lancé un appel d’air sur les Goudes et ses calanques » analyse la néo-goudoise.
Mise en abîme touristique
La réalité n’est pas violente que pour les riverains. Les anecdotes de touristes échaudés font désormais partie de la nouvelle mythologie du lieu. Clients de restaurants faisant demi-tour dans les embouteillages, vacanciers séduits par la promesse d'un “paradis préservé” surpris par la sur-fréquentation. Sur TripAdvisor, certains commentaires sont « cash »: « Quand on a visité les petits villages et ports côtiers de Lisbonne ou Porto, se promener ici manque affreusement de charme ». L’ex-directeur du CIQ, Michel Brezza, ne jette pas la pierre aux visiteurs: « On crée un parc national mais pas les infrastructures d’accueil pour les touristes. Cela crée forcément des tensions et des frustrations !»
Pour autant, les Goudes ne rejouent pas simplement le film de la gentrification et de la massification touristique de toutes les grandes métropoles européennes. Lieu traditionnel de villégiature d’un Marseille populaire, son évolution met en abîme la question du tourisme. Et illustre la « carte-postalisation » de nos destinations, cette transformation progressive de lieux authentiques en décors standardisés, étudiée par le chercheur en géographie du tourisme Rémy Knafou. Car ici, la « premiumisation » de ce « village de pêcheurs »- où il ne reste pourtant qu'une poignée de bateaux professionnels - véhiculée par ses cabanons à 300 euros la nuit et son offre hôtelière de niche en mode French Riviera, ne pourrait pas être plus éloignée de son identité originelle
Mémoire du bout du monde
Rewind: XIXe siècle. Sur ces calanques faiblement peuplées et facilement desservies par voie maritime, s’installent des usines de soudes, de plomb et de soufre. Une crise industrielle plus tard, les usines ferment, mais le tram (depuis remplacé par le tout-automobile, merci les 60’s) a désenclavé le quartier. Dans le petit port de pêche, les familles historiques construisent des abris rudimentaires, les fameux cabanons. Le spot se peuple de Marseillais issus de classes ouvrières venues y passer leurs dimanches, plus tard, leurs congés payés.
Mémoire de ce « bout du monde », René, 74 ans, archive précieusement les images de cette époque. Le retraité a passé plus de 40 étés aux Goudes. Il se souvient « des vacances au cabanon sans WC, des parties de pêche avec (s)on père sur sa bette à rames, des omelettes d’orties, des soupes de poisson ». De la petite jet set de passage, Achille Zavatta, Henri Salvador assis à la même table que les vacanciers. Plus tard, du « temps des copains », de la rencontre avec sa femme, voisine de cabanon. De celui qu’il a ensuite loué « à l’année ou pour trois mois pour pas grand-chose » et où il a continué d’amener ses deux filles jusque dans les années 90. « À partir de là, on a commencé à déchanter », se rappelle-t-il. D’abord les habitués qui, petit à petit, désertent, puis l’ambiance qui change avec de nouveaux arrivants. « Ces mecs qui achètent des bateaux et se croient sur la Côte d’Azur. Une ambiance de frime et de « faux-pognon », à mille lieues de ce qu’on connaissait », détaille sa fille, Stéphanie.
René et sa famille espacent alors les étés au cabanon. L’an dernier, ce gardien de mémoire locale a vendu le bateau qu’il conservait dans le port, lassé par les contrôles dans les zones protégées du parc naturel, et de la lourdeur des processus essentiellement numériques, pesant sur les petits pêcheurs. « Le parc des Calanques nous a fait une publicité terrible. Mais ce qui a le plus changé le quartier, c’est l’appât du gain » conclut-t-il, nostalgique.
Balnéarisation du tourisme
Le cours de l’immobilier ne le contredit pas: sur les cinq dernières années, le prix du mètre carré a explosé aux Goudes: + 51%. « Avec 700k euros, ils ont le pack complet: appartement, terrasse, bâteau » témoigne Didier le mécanicien du port au sujet de sa nouvelle clientèle. Un constat nuancé, par Michel Brezza: « Les gens s’installent, c’est comme cela, ce n’est pas une réserve ici ! Si moi demain j’ai 700k et que j’ai envie d’investir à Paris, pourquoi je ne pourrais pas? On dit qu’on perd nos us et coutume, et c’est vrai… mais dans ce cas, il ne faut pas vendre. Nous, cela fait quatre générations qu’on est là et on ne partira pas ».
Une exception dans un quartier où la spéculation touristique n’est pas le fait que de “Lyonnais et de Parisiens”. Interrogé récemment sur le sujet, l’adjoint au logement à la mairie de Marseille, Patrick Amico, estimait que la moitié des locations sur les plateformes en 2022-2023 concernaient des résidences secondaires appartenant « principalement à des propriétaires des Bouches-du-Rhône ». Une « balnéarisation du logement » à laquelle le maire de Marseille, Benoît Payan (Divers gauche) a décidé de mener la vie dure via une réglementation « anti AirBnb » locale particulièrement sévère. Interdiction de louer toute résidence secondaire sur la plateforme à moins de mettre un bien similaire sur le marché de la location longue durée, et une limite ramenée à 90 jours par an pour la location de résidences principales aux touristes. Aux Goudes, la mairie de secteur déclare « accorder une vigilance particulière sur les permis de construire et les locations saisonnières ». Des expérimentations pour régler les problématiques de circulation sont également en cours : augmentation des fréquences et volume des bus, parking relais, installation de vélos électriques, navettes maritimes... Voilà pour le logement et le transport. Qu’en est-il des imaginaires ?
Retour de bâton de la pollution
« Les lieux sont souvent performants pour faire venir des touristes mais […] le monde du tourisme est moins bon pour leur expliquer ce qu’est le lieu qu’ils visitent ou dans lequel ils séjournent » écrit à ce sujet Rémi Knafou, qui plaide pour une réflexion autour d’un « tourisme conscient et réflexif » comme réponse aux dérives de la massification touristique. Une formule qui nécessite de revenir à l’essence profonde de certains territoires, et peut s’avérer particulièrement complexe à définir y compris pour les habitants de ces derniers. « Bien-sûr qu’au final, c’est banal, les Goudes, répond Stéphanie en réponse aux commentaires déplaisants de certains internautes. Il n’y a jamais rien eu de spécial ici. Mais dans ce rien, il y avait tout : on allait pêcher et on était entre amis. C’était ça, les Goudes ».
Si habitants comme acteurs du tourisme peinent à « expliquer les lieux », ceux-ci, parfois, reprennent la parole. Twist ultime : fin 2024, à la suite à une plainte portée par une poignée de riverains et d’asso environnementalistes, l’État a été condamné pour carence fautive et enjoint à « mettre en sécurité » l’ensemble des sites industriels, en tout plus de 29 hectares, autour des Goudes. Un retour de bâton fracassant pour cet ancien quartier ouvrier où, depuis deux siècles, les usines désaffectées infusent leurs métaux lourds, et une grosse tape sur les doigts susceptible de faire jurisprudence qui donne jusqu’à 2028 afin de réaliser la dépollution complète, et non le simple enfouissement, des sols. Dépolluer, et non enfouir. L’injonction s’applique aux résidus industriels. Elle pourrait tout aussi bien s’adresser aux représentations qui collent aux Goudes, comme à tous les quartiers victimes de ce « mal-tourisme ».
Perso mes grands parents habitaient à Bonneveine, à un km de la plage de pointe rouge.Petit on profitait de la plage, puis plus grand on partait souvent, le soir, c'était le top aux Goudes en amoureux.Peu de monde à cette époque, un endroit authentique, lumière du soleil couchant, magnifique, presque magique au bord d'une eau cristalline.Tout a changé apparemment, pauvre monde où les réseaux sociaux commandent tout. Ou est cette magie disparue ?
40 ans habitant aux goudes,j,ai vendu mon petit cabanon et bateau avec beaucoup de peine ,mais trop de contraintes de servitudes d'incivilites dommage un si joli quartier populaire je plains les survivants de cette époque révolu
Enfants mes parents, ma sœur et moi passions tous nos étés de juin à mi-septembre dans le"cabanon" familial hérité de mes grands parents. C'était les copains du village, l'aventure, la liberté. Le peu d'automobilistes qui arrivaient aux Goudes pensaient pouvoir arriver jusqu'à Cassis. Marseille était une autre ville.
Au début des années 2000 la mentalité a évolué les panneaux "privé" ont commencé à fleurir, chacun a commencé à s'approprier à tort ou à raison un passage, une place de stationnement ou un bout de terrain.
Aujourd'hui,comme décrit dans l'article c'est l'escalade, la démesure. Les biens sont acquis à des prix exhorbitanrs et transformés en de luxueuses demeures. Les politiques ne font aucune distinction entre les investisseurs et les locaux dont les cabanons deviennent impossible à conserver impossible en tant que résidence secondaire. Un énorme gâchis, une immense nostalgie.
Je déplore également la perte d'identité de ce lieu autrefois populaire et authentique.
Sa surfréquentation l'a rendu hostile et uniforme.
Il n'est plus le refuge des amoureux ou des âmes en quête d'espace et de nature...
Quel dommage!
"Va te jeter aux Goudes!" C'était l'expression quand j'étais gosse. On avait honte de dire qu'on allait au cabanon. Les temps ont bien changé mais qu'y faire: c'est MAGNIFIQUE! C'est à couper le souffle. Surtout: arrêtez de bétonner, même si ça fait "Comme à Mikonos"
J'ai été marseillaise 17 ans et j'avoue que les Goudes et Callelongue étaient mes endroits préférés de ma ville d'adoption! A l'époque on venait manger une excellente pizza à "La Grotte", on arpentait les calanques tous les printemps (on laissait les lieux aux touristes l'été, il faut dire que dans les années 90 l'accès était compliqué et il fallait être très motivés....) et on allait en début ou en fin d'été manger à "La Baie des Singes", en prenant ce tout petit chemin d'accès et en rentrant à la lampe torche!!! J'adorerais passer qqs jours de vacances dans ce superbe cabanon d'architecte! Bravo pour cette réalisation.
On pourrait faire un "Copier/Coller" sur le Vallon des Auffes, sa bobotisation encouragée par des restaurateurs de ce lieu historique qui ajoutent à leur activité celle de loueur courte durée, la pollution sonore jusqu'à 2, voir 4 heure du matin ;
Classé en quartier aux constructions "remarquables", pas un cabanon ne résiste au rachat et la transformation.
Jai bien connu gamin le Vallon des Auffes dans les années 60 et le Maitre d'école nous emmenait au petit port pour apprendre à nager et nous étions que des garçons encore, donc je ne sais pas si les filles profitaient aussi de ce lieu magique vite devenu trop fréquenté, trop promotionné sur ces Réseaux Asociaux planétaires et donc à fuir 6 mois par an !!!
je salue les maires de réglementer un peu cette escalade au rb&b Il ne restera bientôt plus rien aux pauvres que les HLM et encore...
Amen...
Les maires ne réglemente absolument rien que soit en terme le location ou de fréquentation. L'occasion est trop belle pour eux de récupérer du pognon ensurtaxant les propriétaires de rbn'b. D'une part, c'est pinuts au regard de leurs revenus et ils taxes de la même manière les propriétaires de cabanons ancestraux devenu des résidences secondaires.
Pour la fréquentation, plutot que de faire comme dans d'autres calanques commm Morgiou, Un parking relais à la Madrague, des passes pour les habitants et une navette qui dessert les Goudes et Callelongue, ils installent des rondins Le long de la route pour éviter le stationnement et protéger la flore. C'est bien mais ce n'est pas La solution. Une fois sur place, les gens vont se garer n'importe où amplifiant encore l'impression d'anarchie et multipliant Les risques du pugilats. A quand de véritables solutions couillues.
La transformation touristique, d'un quartier, est très souvent une source de perte de la simplicité originelle de la vie du quartier, y compris de ses imperfections si humaines, une source lucrative pour les nouveaux arrivants conduisant à une transformation totale du quartier et souvent un recul de la liberté de l'existance. A ce titre, les Goudes sont un exemple parfait de la modernisation urbaine, uniformisante et sans ame spécifique reelle. ESt ce un progrès ? Pour qui, privilège de l'age, a connu ce quartier avec ses cabanons, sans eau ni électricité, tout cela est un grand changement...
Océanis 67
Originaire d'Alsace, j'ai découvert les calanques autour de Marseille en 2022 et depuis nous y retournons chaque année hors saison pour y randonner et pratiquer l'escalade. Ces endroits sont d'une beauté à couper le souffle et donc à préserver absolument.
Je comprends ces familles, habitants des Goudes,
Callelongue, qui par raison vendent leur cabanon de pêcheur hérité des parents car la tranquillité et le bon savoir vivre ne sont plus possible avec
toutrs ces contraintes.
Que tous ces politiques se réveillent et mettent en place des règles de bon sens, pour cela, il est nécessaire d'avoir les coronesses bien en place!
Ancien marin
En italie et au Portugal par exemple il y a des limitations d'accès ZTL, ou du gratuit pour les locaux ( ici les 13) payant et sur résa pour les autres, parc, musée...et généralement quand il y a un parc naturel, on a un parking payant, des guides, une cahute avec prospectus et vigilance. Rien de tout ça dans les calanques, et pas de poubelles.