
Une communauté de justiciers du Web inonde les réseaux de vidéos virales montrant des supposés prédateurs sexuels se faire tabasser.
Sur Rumble, la plateforme vidéo préférée de l'extrême droite américaine, on trouve toutes sortes de contenus : des concours de power slap (un sport dangereux à base de gifles), des théories complotistes soutenant Donald Trump et, plus récemment, des courses-poursuites et des tabassages en règle de supposés pédophiles. Si le site est inaccessible en France, plusieurs vidéos peuvent être trouvées sur YouTube et sur X. On y voit des hommes, souvent entre 30 et 40 ans, se faire attraper et filmer dans des lieux publics par des influenceurs plutôt costauds. Si la plupart de ces vidéos donnent lieu à des interrogatoires musclés et un coup de fil à la police, un groupe particulier de chasseurs de pédophiles intitulé D.A.P. (Dads Against Predators) privilégie les passages à tabac ultra-violents.
Attraper un prédateur
La formule qui consiste à piéger un prédateur et à diffuser son visage publiquement n’est pas nouvelle. Entre 2004 et 2007, l’émission To Catch a Predator, animée par le journaliste Chris Hansen et diffusée sur Dateline NBC, avait déjà proposé de le faire. Les producteurs créaient de faux profils de mineurs sur des forums en ligne et engageaient des conversations autour de la sexualité avec des internautes adultes. Une fois la cible accrochée, l’équipe fixait un rendez-vous au pédophile dans une maison bardée de caméras et effectuait une interview forcée. Avec D.A.P., le principe reste inchangé, à la seule différence que les vidéos se terminent généralement par une course-poursuite dans des allées de supermarchés et des coups portés au visage ou au ventre. Dans les commentaires postés sous les vidéos, les internautes jubilent ou se plaignent que les hommes piégés n’aient pas été suffisamment frappés.
Créé en 2020 par les vidéastes Joshua Mundy et Jay Carnicom, le groupe D.A.P. a commencé à faire parler de lui sur YouTube. La chaîne se place dans la même stratégie que d’autres chasseurs de pédophiles comme Truckers Against Predators, Creep Catcher ou le populaire POPSquad. Ces groupes considèrent que la police est trop laxiste et préfèrent mener des campagnes de public shaming, un lynchage médiatique suivi, si possible, d'une intervention de la police. Mais rapidement, les deux vidéastes constatent que les prédateurs qu’ils font arrêter ne sont pas tous poursuivis en justice. Le problème vient majoritairement de leur mode opératoire. Les preuves recueillies en ligne, comme les échanges de messages, ne sont pas toujours recevables devant un tribunal. Sans aveux de la part de l’inculpé, celui-ci ressort libre du commissariat. Face à ce constat, D.A.P. a donc décidé de rendre lui-même justice.
Suicides et fusillades
Cette méthode de « chasse » est lourde de conséquences. Dès 2020, Dads Against Predators est pointé du doigt par la justice après le suicide de deux hommes qui avaient été pris pour cible par Mundy et Carnicom. En 2022, D.A.P. provoque une fusillade dans un magasin Target de Caroline du Nord. Après avoir confronté un prédateur de 25 ans, ce dernier fait usage de son arme à feu et blesse Carnicom à la jambe avant d’être arrêté. En 2023, Robert Lee, un autre membre de la chaîne, meurt lors d’une confrontation au beau milieu d’un restaurant. Ce dernier avait déjà eu des ennuis avec la justice après avoir accusé publiquement une personne innocente de pédophilie. Le groupe de chasseurs finit par être banni de YouTube (d’où leur présence sur Rumble), mais aussi de Patreon, où ils tenaient une cagnotte en ligne. Sur cette dernière, il était possible de souscrire à plusieurs types d’abonnement, notamment au « god mode », un service qui proposait, contre 1 500 dollars, de leur indiquer une cible précise. Avant la fermeture de leur compte, D.A.P. comptait environ 360 donateurs. Ils se sont désormais repliés sur locals.com, une plateforme similaire et permettant d’accéder, contre un abonnement, à des vidéos non coupées et à un salon de discussions exclusif avec les créateurs.
Participer à la conversation