Des enfants dans la nature, avec une loupe

Éducation à l’écologie : des profs démunis et des programmes « pas à la hauteur »

© Cottonbro

La question du climat est-elle bien enseignée ? Face à des élèves angoissés ou indifférents, les enseignants ressentent plus que jamais l'urgence de repenser nos méthodes de transmission.

« Les véganes veulent nous convertir ! » Au lycée Edouard Schuré de Barr, en Alsace, un menu végétarien a été annoncé à la cantine et les élèves ne comptent pas se laisser faire. Amandine Richardot, l’enseignante de sciences et vie de la terre (SVT), tente d’ouvrir un dialogue au sein de sa classe sur les conséquences climatiques et environnementales de la surconsommation de viande ; rien à faire. C’était l’année dernière, mais Amandine s’en souvient comme si c’était hier, « la réflexion était complètement mise de côté, ils étaient fâchés. »

Se retrouver arbitre de discussions comme celle-ci n'est pas rare pour les enseignants du secondaire. Comme Amandine, beaucoup sont démunis face à l’ampleur des enjeux et aux crispations qu’ils sentent parfois chez leurs élèves. En France, ils sont 73 % à se sentir insuffisamment outillés et formés pour enseigner les questions environnementales et climatiques à leurs élèves, d’après une enquête menée par la MAIF en 2023. Gaetane Coppens, enseignante dans un collège en Belgique, en est elle aussi témoin chaque jour : « au sein même du corps enseignant, il y a encore beaucoup de collègues qui ne croient pas que la situation climatique et environnementale soit grave. » La faute, selon elle, à une formation très indigente : « Les enseignants ne sont pas plus conscients des enjeux que le reste de la population puisqu’ils n’y ont pas été formés. Or, c’est eux qui doivent former les futurs citoyens ! Si les connaissances manquent chez eux, cela ne suivra pas. » Le climatologue Eric Guilyardi, cité dans un rapport de la Fondation Jaurès sur l’accompagnement de l’éco-anxiété à l’école, rappelle ainsi qu'« outiller les enseignants, c’est le premier des combats. »

« Les programmes ne vont pas jusqu’au bout »

À la question de la formation s’ajoute celle des programmes, sur laquelle les avis des enseignants sont partagés. À trente-six ans, Amandine Richardot a déjà treize ans d’enseignement à son actif et elle a eu le temps de voir évoluer sa matière, dans laquelle les questions écologiques ont pris une place prépondérante. En seconde, un des trois thèmes de l’année s’intitule « Les enjeux contemporains de la planète » ; on y étudie le rendement agricole et le rendement écologique des différents modèles d’agriculture ou encore la problématique de la gestion durable en eau. En terminale, en enseignement scientifique, les élèves travaillent sur le climatoscepticisme ; il leur est proposé de répondre à des affirmations comme « Le climat a toujours changé » ou « Les émissions de CO₂ ne posent pas de problème puisqu’on sait maintenant capter le CO₂ dans l’air », d’étudier les modèles climatiques du GIEC et de se pencher sur la notion de réfugiés climatiques. À travers ces programmes, c'est une prise de conscience plus large que saluent certains, comme Antoine Maldonado, ingénieur dans l’aéronautique devenu enseignant en 2016 : « Quand je suis arrivé en 2016, l’écologie dans l’éducation c’était peau de chagrin ; ça a quand même bien changé. »

Dans certaines disciplines, il reste beaucoup de chemin à faire. Manon, enseignante de sciences économiques et sociales (SES) dans deux lycées de Seine-Saint-Denis, résume : « en seconde, il y a un chapitre sur le PIB où on parle des limites environnementales de la croissance ; en première il n’y a plus rien ; et en terminale, le sujet revient, mais le programme est très problématique. » En cause : une vision « techno solutionniste » dans le chapitre sur la croissance économique, où il est demandé aux élèves de montrer que la technologie peut repousser nos limites écologiques, sans jamais faire mention de la sobriété. « C’est un parti pris idéologique », renchérit Théo Soussoko, enseignant à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne. Les enseignants de SES grimacent au souvenir du sujet de baccalauréat 2022, tiré de ce chapitre : « Vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance. »

On touche là à ce que Pauline, professeure documentaliste en collège depuis quinze ans, estime être le cœur du problème : « Les programmes ne vont pas jusqu’au bout ; ils ne remettent pas en cause la croissance capitaliste et cantonnent les élèves à des écogestes. » Le collectif Enseignant.e.s pour la Planète et l’Atelier d’Ecologie Politique (un collectif de scientifiques toulousain) s’interrogent : « Pourquoi continuer d’enseigner de façon univoque cette approche d’une économie qui réchauffe la planète sans en interroger les fondements ni les hypothèses, sans y porter un regard critique ? » Et si les programmes mettent de plus en plus l’accent sur l’atténuation des effets du dérèglement, les efforts d’adaptation que nos sociétés vont devoir fournir restent un angle mort. Le constat est sans appel : pour ces enseignants, les programmes « ne sont pas à la hauteur ».

Connaissance + inaction = éco-anxiété

« Mes élèves me disent que comme ils ne voient pas les conséquences dans leur vie de tous les jours, ils ont du mal à mesurer l’urgence », explique Amandine, en écho à ce que d'autres collégiens et lycéens nous confiaient dans le premier volet de cette enquête. Pour elle comme pour Pauline, Gaetane ou Antoine, si l’école échoue à sensibiliser les élèves, c’est que ce n’est pas simplement une question de programme ni de connaissance rationnelle.

« C’est important de conscientiser les élèves, » rappelle Pauline, « mais si on ne leur donne pas le pouvoir d’agir, c’est là que l’éco-anxiété se développe. » Gaetane acquiesce : « si nos élèves ne veulent pas trop qu’on en parle, c’est aussi parce qu’ils se désespèrent que rien ne bouge et qu’ils ne savent pas comment s’y prendre. » Une école qui se contente de montrer aux élèves qu’on « va droit dans le mur » sans les aider à s’emparer des solutions qui existent les condamne à une angoisse insoutenable, résume l’enseignante de physique-chimie.

Pauline est engagée dans des collectifs écolos depuis longtemps ; elle fait partie du collectif Enseignant.e.s pour la Planète, qui vise à promouvoir l’action des enseignants en faveur de l’écologie et à rassembler ceux qui veulent faire bouger les choses. Pour elle, il est urgent de « redonner aux élèves le pouvoir d’agir », bien au-delà du rôle d’éco-délégué que nous mentionnions dans le premier volet de l'enquête. Référente Education au Développement Durable dans son collège des Alpes-de-Haute-Provence, Pauline laisse les élèves décider des projets qu’ils veulent mener. Résultat : deux groupes se sont formés, un qui travaille sur le recyclage, l’autre sur le bien manger. Un compost a été mis en place, un magasin de producteurs locaux, Le Comptoir Paysan, est devenu partenaire du collège. L’année dernière, une journée autour de la fast fashion a été organisée.

« Une manière d’enseigner différente »

Pauline travaille beaucoup sur la question de la prise en compte des éco-émotions à l’école, par le biais de jeux coopératifs ou de résolution de problèmes inspirés de la pédagogie Freinet. Laelia Benoit, pédopsychiatre qui s’est beaucoup intéressée aux questions d’éco-anxiété, plaide pour une « pédagogie émotionnelle » qui permettrait aux élèves d’accueillir leurs éco-émotions et de passer à l’action. Pauline en est convaincue : c’est la priorité si nous ne voulons pas former une génération d’enfants repliés sur eux-mêmes et démunis face à l’avenir.

Gaetane renchérit : « nous avons besoin d’une manière d’enseigner différente. Il faut sortir de l’école, ouvrir les portes à des intervenants extérieurs, travailler de manière interdisciplinaire, s’inspirer de l’éducation sensible à l’environnement, aider nos élèves à devenir des citoyens en les mettant en action dans leur territoire, les aider aussi à reprendre espoir ! » Une éducation à la hauteur : c’est ce que Gaetane a décidé de construire à son échelle en travaillant bénévolement avec d’autres enseignants et enseignantes sur une Charte pour un Enseignement à la hauteur de l’urgence écologique, inspirée de la Charte pour un Journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, qui compte d’ores et déjà des milliers de signataires.

Il y a du travail pour mettre en cohérence l’école telle que les élèves la vivent, et les objectifs de développement durable dont ils entendent parler à longueur d'année. « Déjà, tous les lycées sont des passoires thermiques », assène Pauline, « avec du bitume partout. » Comment apprendre aux élèves le soin de la nature dans des bâtiments qui en sont complètement coupés ? Manon en sait quelque chose : dans son lycée de Saint-Denis, il faisait 8°C dans certaines salles de cours l’hiver dernier, du fait de trous dans la toiture. « Les factures de chauffage sont exorbitantes », se désespère l'enseignante, qui a appris à sa grande surprise que l'établissement était labellisé « Lycée éco-responsable » par le Ministère de l’Education Nationale. Manon ironise : « Peut-être qu’on a eu le label parce qu’on utilise du papier recyclé ? »

Des enseignants « piégés »

Les changements nécessaires sont de taille ; ils nécessitent des moyens et un accompagnement renforcé des enseignants. Pour l'instant, l’heure est plutôt à la frustration. À cinquante-sept ans, avec plus de vingt-cinq ans d’expérience dans le collège où elle enseigne, Gaetane Coppens a encore du mal à dégager suffisamment de temps pour enseigner les enjeux écologiques : « Je n’arrive pas à en parler suffisamment avec mes élèves du fait de toutes les contraintes qui me sont imposées : le bouclage d’un programme surchargé, la difficulté de sortir de l’établissement puisque les journées sont découpées en tranches d’une heure ou deux… » Dans certains cas s’ajoute à ces contraintes l’indifférence, voire l’hostilité de la direction.

« On est piégés, résume Gaetane, vraiment très limités dans ce qu’on peut faire ». C’est la raison pour laquelle l’enseignante travaille d’arrache-pied (et bénévolement) à la création d’une semaine banalisée dédiée à l’éducation au développement durable, pour que les écoles prennent enfin le temps d’intégrer ces questions dans leur enseignement.

A l’image de Gaetane, nombreux sont ceux qui s’engagent sans attendre l’impulsion de l’institution et sans aucune rétribution ou presque. « Dans un de mes lycées, explique Manon, deux enseignants de SVT ont installé une serre et s’occupent de faire des semis. » Christèle, assistante d'éducation à Feurs, dans la Loire, a relancé l’éco-club du collège où elle travaille, organise des interventions sur la fast fashion, travaille à la re-végétalisation de la cour de récréation… Et si les mails qu'elle envoie aux enseignants pour les associer à ses projets restent souvent sans réponse, elle sait que c’est parce qu’ils « ont déjà trop de choses à faire, et qu’on leur en ajoute tout le temps. »

L’engagement des enseignants a un coût, celui du temps dont ils manquent déjà. « Il y a vraiment matière à faire des choses ambitieuses, souligne Pauline, à condition de redonner aux profs les moyens d’agir pour permettre aux élèves d’agir. » Pour Christèle, c’est clair : il faut des postes dédiés à l’Education au Développement Durable dans chaque établissement, plutôt que de demander aux enseignants d’en faire toujours plus. Gaetane ajoute : « il faut que ce soit inclus dans le temps des cours plutôt qu'ajouté en marge, sinon les élèves s’essoufflent et les enseignants vont droit au burn-out. »

Le burn-out, plusieurs des enseignants interrogés le mentionnent. Avec les années, Pauline voit « de plus en plus de collègues hyperengagés qui craquent. Sans changement de la politique globale de surcharge des enseignants, difficile de nous demander d’en faire plus sur le plan écologique. »

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commentaires

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  1. Avatar Bruno Smadja dit :

    Bonjour,
    merci pour votre article très intéressant sur la situation dans les lycées actuellement.
    Je porte actuellement un projet financé par l'Union Européenne, Food on Film, qui est à destination des élèves de lycées en France et dans 5 pays européens. Au travers de 20 films documentaires, nous abordons les questions d'agriculture et d'alimentation et leurs impacts sur le climat et l'environnement.
    Nous avons recruté une trentaine de classe essentiellement dans les lycées agricoles, car les professeurs y bénéficient d'une grande liberté de choix des actions qu'ils souhaitent mettre en place.
    En revanche, très peu de lycées classiques nous ont rejoint car les professeurs n'ont aucune liberté d'action, ils doivent se référer à l'Académie, au Rectorat,..., jusqu'au ministère.
    Le programme est toujours accessible pour celles et ceux qui voudraient le rejoindre... !

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