Alors que les produits de Philip Morris sont en rupture de stock, démocrates et républicains s’écharpent sur le devenir des substituts nicotiniques qui inondent TikTok.
Pour ceux qui en sont restés aux roulées, les Zyn sont des petits sachets de nicotine synthétique ou extraite du tabac, disponibles aux États-Unis depuis 2014. Pour consommer ces « nicotine pouches » dont le contenu se présente sous forme de poudre ou de gel, il convient de positionner le sachet en fibre de cellulose entre la lèvre supérieure et la gencive. (Cela favorisera l’absorption lente du produit à travers la muqueuse). Disponibles en version aromatisée à la menthe, au café ou à la mangue, les sachets sont produits par l'entreprise spécialiste du tabac Philip Morris. Depuis son siège new-yorkais, la société orchestre une campagne de distribution agressive, inondant les États-Unis de ses petits pochons parfumés. Un point de discorde entre démocrates et républicains, fervents défenseurs de la maison mère de Camel, Marlboro et Lucky Strike, donnant lieu à ce que les médias américains qualifient désormais de « guerre culturelle ».
Zyndemic : un bon buzz
En ligne, les utilisateurs qualifient la rupture de stock de « Zyndemic » ou « Great Zynpression », et publient des photos de pancartes dans les magasins indiquant qu’ils n’avaient plus de Zyn. Omniprésent sur TikTok, Zyn a donné naissance en ligne à sa propre langue : « zynnies », « zynner » et « zynsky », autant de gracieux surnoms que se donnent les consommateurs. Sur le réseau chinois, il sera possible de les voir confectionner un gâteau d'anniversaire à partir des boîtes rondes (cans) contenant les sachets de Zyn, empiler les canettes dans leur frigo entre deux packs de bière, ou encore fourrer un sachet de nicotine dans la gueule d'un poisson pêché en mer avant de le relâcher dans son élément, le cerveau certainement un peu embrouillé. La mention qui accompagne cette dernière vidéo : « On le libère avec un buzz ! »
Aux États-Unis, Zyn est la marque de sachets de nicotine la plus populaire. Pas toute jeune, mais ses ventes ont grimpé en flèche au cours de la dernière année, dopées par une petite armada de « Zynfluencers » improvisés assurant gratos la promotion du produit. Un regain de popularité conduisant à une pénurie, qui selon Philip Morris devrait durer toute l'année. Située au Kentucky, l’unique usine du géant du tabac ne peut plus suivre le rythme, au grand dam des consommateurs, souvent dépendants de la nicotine. D'après Emmanuel Babeau, directeur financier de Philip Morris, la société prévoirait d'expédier 560 millions de cans de Zyn aux États-Unis cette année, contre 385 millions l'année dernière. En 2022, la société américaine avait racheté pour 16 milliards de dollars (15,16 milliards d’euros) Swedish Match, la Suédoise spécialiste des « produits sans fumée » détentrice de la marque Zyn. Experte du snus, une poudre de tabac humide consommée communément depuis des décennies en Suède, Finlande, Norvège et Estonie, Swedish Match a permis, avec son rachat à Philip Morris, de diversifier son offre en Amérique du Nord.
Le Zyn de la discorde
D'après le Washington Post, les ventes de Zyn ont été officiellement interrompues hier après que la société a reçu une assignation à comparaître devant la justice. La « Great Zynpression » n'est pas près de se terminer. Depuis plusieurs mois, les petits sachets de nicotine font l'objet d'un bras de fer entre démocrates et républicains. Au début de l'année, le sénateur Charles Schumer, démocrate de New York, encourageait les régulateurs à enquêter sur Zyn, argumentant que les « nicotine pouches » pourraient être dangereux pour les adolescents. En réponse, de nombreux républicains de la Chambre avaient alors alerté les électeurs, affirmant que « Big Brother » allait « interdire la nicotine ». Volant au secours des républicains, l'éditorialiste proche de Trump Tucker Carlson s'était aussi fendu de commentaires, déclarant que les produits Zyn avaient la faculté d'augmenter « la vitalité masculine et l’acuité mentale ».
Fanatique du produit, il expliquait l'année dernière dans un épisode du podcast Full Send : « Je l'utilise à chaque seconde où je suis éveillé. Quelques secondes avant de m'endormir, je le sors. » En décembre 2013, l'ex-animateur de Fox News avait déclenchée une pluie de likes chez les « zynnies » en recevant pour Noël de la part du youtubeur Kyle Forgeard « la plus grosse boite de Zyn au monde. » L'engouement du présentateur, récemment qualifié par Poutine de « seul vrai journaliste de notre époque », est peu surprenant. Pour le média Vox, les sachets de nicotine incarneraient parfaitement l'ethos des jeunes hommes conservateurs, entre hustle culture, stimulants et bodybuilding.
Le règne du mascuzynity
Pour évoquer le phénomène, la journaliste a créé un néologisme, mascuzynity, mélange de Zyn et de masculinité. Car pour Tucker Carlson comme pour certains youtubeurs, les produits de la marque américaine auraient le pouvoir de libérer l’esprit, d'augmenter la productivité, et même d'améliorer les performances sexuelles. « Cela s'inscrit dans un récit plus vaste vendu aux jeunes hommes américains par des entrepreneurs tech comme Elon Musk, des influenceurs misogynes comme Andrew Tate, des gourous de la culture acharnée du travail TikTok et, dans une certaine mesure, Donald Trump et ses loyalistes au sein du Parti républicain. Même si tous ces personnages ne font pas la promotion des sachets de nicotine, ils défendent une variante de l’idée selon laquelle les hommes peuvent récupérer une domination perdue grâce à une focalisation hyper-capitaliste (voire fasciste) sur la réussite et la perfection du corps », résume le média américain.
Pour Robert Lawson, professeur de sociolinguistique à la Birmingham City University au Royaume-Uni, Zyn s'impose peu à peu comme un attribut clé. Avec, « vous pouvez être maître de votre propre univers. Vous pouvez créer votre propre entreprise, gagner beaucoup d’argent, vous présenter à la présidence et résoudre tous les problèmes du monde », explique-t-il avec un brin d'ironie. D'après une étude, les jeunes hommes deviendraient partout dans le monde de plus en plus conservateurs. Et d'après un récent sondage mené par l’université Quinnipiac, 53 % des hommes américains entendent voter pour Donald Trump si celui-ci se représente. Philip Morris a beau affirmer que Zyn est apolitique, la mascuzynity semble bien désireuse, dans une Amérique à cran, de ramener l'ancien président à la Maison Blanche.
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