
Les conservateurs démontent le laboratoire universitaire pionnier, tête de file du combat contre la désinformation, et garant de l’intégrité des élections.
Après cinq années de recherches pionnières sur les abus des plateformes et réseaux sociaux, le Stanford Internet Observatory met fin à ses activités. Depuis plusieurs mois, les républicains œuvrent pour discréditer les institutions de recherche, décourager les chercheurs d’enquêter sur la désinformation et la mésinformation circulant en ligne, et laisser la voie libre aux campagnes d’influence. Et à l'approche de la prochaine élection présidentielle, la croisade se fait plus véhémente encore.
Offensive des anti anti-fake news
Depuis sa création il y a cinq ans, le laboratoire publie certaines des analyses les plus influentes sur la propagation de fake news sur les réseaux lors des élections, rappelle le Washington Post. Aujourd'hui dépouillé de son rôle politique, le Stanford Internet Observatory (SIO) fait presque office de coquille vide. Si certains membres de l’équipe de huit personnes peuvent trouver d’autres emplois à Stanford, le laboratoire ne mènera pas de recherches sur les élections américaines de 2024. Ni celles à venir. Mais ce n'est pas le seul garde-fou qui tombe. Récemment, le consortium Election Integrity Partnership, garde-fou de premier plan de la désinformation dirigé par l'Observatoire et une équipe de l'université de Washington, a aussi mis à jour sa page Web pour indiquer la fin de ses travaux.
À ce jour, le SIO a été poursuivi à trois reprises au niveau fédéral par des groupes conservateurs. Ces derniers allèguent que les chercheurs de l'Observatoire sont de connivence avec le gouvernement fédéral pour censurer la parole des Américains, et intimider les plateformes sociales comme Twitter et Facebook. Aujourd'hui, deux des poursuites sont toujours en cours. Comme le rapporte le média Inside Higher Ed, la seconde plainte a été déposée conjointement mi 2023 par le codirecteur d’un groupe de sceptiques face au vaccin contre le Covid-19, et par le fondateur de la plateforme conservatrice Gateway Pundit. Les deux poursuivants étaient notamment représentés par des avocats du cabinet America First Legal, une organisation à but non lucratif dirigée par d’anciens responsables de l’administration Trump. Parmi eux, son ancien conseiller principal Stephen Miller, qui entend s’opposer à la « gauche radicale ».
En parallèle, le représentant républicain de l'Ohio Jim Jordan a mis sur pied un Subcommittee on the Weaponization of the Federal Government. Qualifié d' « orwellien » par le média Platformer, ce comité a assigné Stanford, l'université de Washington, et deux autres instituts de recherche, Graphika et l'Atlantic Council’s Digital Forensic Lab, à produire des documents devant la Cour suprême. À la suite de cette procédure, le Comité a divulgué des fragments des documents réquisitionnés auprès de médias conservateurs amis, et a dénaturé les contenus en question lors de déclarations publiques dénonçant les médias libéraux. Dans la foulée de l'annonce de l'effondrement de l'Observatoire, Jim Jordan s’est réjoui : « Encore une victoire pour la liberté d'expression ! Excellent travail de @Weaponization pour avoir mis en lumière le régime de censure », a-t-il écrit sur Twitter.
« Le bras armé de la campagne de Trump »
Pour les Démocrates, la véritable militarisation du gouvernement s'exercerait par le biais du Comité. Lors de ses assignations à comparaître, Jim Jordan a également impliqué des étudiants. D'après Platformer, leur mention publique les aurait exposés à de graves risques de menaces.
Des assauts virulents de la part du camp républicain tombés à point nommé, alors que Donald Trump faisait face à New York à un procès. Reconnu coupable de trente-quatre délits de falsification comptable, l’ancien Président des États-Unis aura néanmoins tout loisir de faire campagne. Lors d'une audition tenue en mai dernier à la Commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, la Démocrate Stacey Plaskett a fustigé « les laquais de Donald Trump ». Lors d'un long réquisitoire, elle affirmait : « Le but de ce soi-disant comité est d'être le bras armé de la campagne de Trump et de recevoir ses ordres. »
Le futur de l'Observatoire d'Internet de Stanford
Ces multiples poursuites ont conduit Stanford à dépenser des millions de dollars pour défendre son personnel et ses étudiants. Le fondateur du SIO, Alex Stamos, ancien responsable de la sécurité de Facebook, a quitté ses fonctions en novembre dernier. Renée Diresta, sa directrice de recherche, a quitté l'entreprise la semaine dernière, son contrat n'ayant pas été renouvelé. Selon des sources internes, le contrat d'un autre membre du personnel a expiré ce mois-ci, tandis que d'autres ont été invités à chercher du travail ailleurs, rapporte Casey Newton, journaliste américain spécialiste de la Silicon Valley. Tout comme Kate Starbird, qui a dirigé les travaux de l’université de Washington dans le cadre du Election Integrity Partnership, Alex Stamos et Renée Diresta ont été non seulement assaillis de poursuites judiciaires, mais de menaces physiques.
D'après les porte-parole de la prestigieuse université américaine, les ruines du SIO seront reconstituées sous la direction de Jeff Hancock, parrain universitaire du laboratoire, et dirigeant du programme Stanford Social Media Lab. D'après Casey Newton, le travail du laboratoire sur la sécurité des enfants s’y poursuivra. Deux des initiatives majeures du SIO, la publication Journal of Online Trust and Safety et ses conférences, seront maintenues. Toutefois, « en démantelant discrètement le SIO, l'université semble avoir calculé que le laboratoire était devenu plus problématique qu'il n'en valait la peine », résume Platformer.
Année électorale et contrôle de la désinformation
Ce démantèlement s'inscrit dans la continuité du licenciement par Harvard de l’experte en désinformation Joan Donovan. En décembre dernier, la lanceuse d'alerte alléguait que les liens étroits et lucratifs de l’université avec la société mère de Facebook, Meta, avaient conduit l’université à réprimer son travail, très critique à l’égard des pratiques du géant des réseaux. Ces suspensions interviennent dans un contexte de sape du contrôle de la prolifération des fake news opéré par les républicains. En novembre dernier, Elon Musk avait accusé Pablo Breuer, cyberexpert chargé de la sécurité américaine de Morgan Stanley, d'avoir conçu un régime de censure radical pour faire taire les voix de droite. En s'appuyant sur un rapport produit par Matt Taibbi et Michael Shellenberger, connus pour leur rôle dans les « Twitter Files », le milliardaire propriétaire de X affirmait que Breuer était l’une des figures déterminantes dans la naissance du « complexe industriel de censure ».
Le cas est loin d'être isolé, soulignait récemment le Financial Times. À l'approche de l'élection présidentielle américaine de 2024, des dizaines d'universitaires et membres d'associations ont été ciblés agressivement par « une coalition vague de militants pour la liberté d'expression, de législateurs républicains et d'alliés de Donald Trump ». Soucieux d'endiguer ce qu'ils considèrent comme une militarisation de la recherche sur la désinformation bafouant les droits des Américains, cette cohorte se dresse en défenseuse de la liberté d'expression garantie par le premier amendement. En plus de Jim Jordan et Stephen Miller cités plus haut, cette joyeuse troupe inclurait, entre autres, Michael Benz, ancien responsable du département d'État. À leurs yeux, le contrôle des contenus véhiculés en ligne s'exercerait principalement à leurs dépens. Peut-être à juste titre.
D'après Gordon Pennycook, professeur de psychologie à l'université Cornell, les utilisateurs des réseaux de droite auraient tendance à diffuser davantage de fausses informations que leurs homologues de gauche. Une situation susceptible de s'aggraver à l'approche des élections présidentielles de novembre prochain, par avance accusées par Donald Trump d'être « truquées ». En réponse, le Centre pour la démocratie et la technologie a appelé les différents groupes à l’œuvre à « créer des ressources et des pratiques partagées pour les chercheurs attaqués ». De son côté, Kate Starbird affirme que son département, le Center for an Informed Public, continuerait de signaler des « rumeurs électorales néfastes » en 2024. La guerre de la désinformation est bel et bien déclarée. Et ne fait que commencer.
Les activistes de la droite républicaine reprennent les méthodes des activistes gauchistes d'il y a 20 ans… ils ont visiblement tiré de l'expérience des succès de ces derniers et appliquent le même agenda (censure, intimidation, effet de meute, attaques ad hominem, cancellisation, etc), avec en outre des outrances liées à leurs convictions trumpistes.
C'est un retour des choses somme toute logique et qui était prévisible.
Réponse à Parigo :
Les gauchistes d'il y a 20 ans, qui étaient-ce ? Parce qu'en 2004, c'était Georges W. Bush le président aux USA. Quant aux "censure, intimidation, effet de meute, attaques ad hominem", les quelles ? Je me rappelle les blocages purement politiques et bas du front du Congrès envers Obama, mais pas des violences démocrates. Quant à la cancelisation... terme assez récent et méthode principalement utilisée par les Républicains US très susceptibles quant ils doivent confronter leurs idées. Ils soutiennent pourtant le concept de "free market of ideas", tout comme le "freedom of speech" et "l'ordre et la loi" alors que de tout le spectre politique américain ce sont les pires (cancel culture, condamnations, agressions sexuelles sur. Mais l'important, c'est que quand tu perds une élection, ce n'est ni la faute des électeurs ni de tes opposants :/
En passant, il n'y a pas de gauchistes aux US. Ça n'existe pas. Joe Biden est un libéral pur souche moins sympa qu'un Macron (!) Et les démocrates sont connus pour avoir été les plus opposés au progressisme social, anti-capitaliste ou anti-establishment : ils ont matraqué politiquement (et pas que) Martin Luther King Jr de son vivant, ont sur-financé la police après Black Life Matters et la célèbre loi de prison à vie après trois délits pénaux (qui a principalement impacté négativement les minorités sans faire baisser la criminalité) a été écrite par un certain sénateur Joe Biden au début des années 90
Mais oui, c'est la faute aux "gauchistes" 🙄 Quelqu'un a dit un jour "ne regrette pas le temps <> d'avant, c'est lui qui a fait le monde que tu connais maintenant. Le monde dans lequel nous vivons nous a apporté de bonnes choses mais ses dérives et dérapages ne sont pas les conséquences du socialisme. La compromission de la social-démocratie, oui. La conséquence de toutes les gouvernements et politiques de droite... totalement. A l'exception du vrai Gaullisme pré-chiraquien qui était bien plus souverainiste et anti-américaniste - c'est pour ça que je le cite ici. Mais bon le monde n'était plus le même alors il y est difficile de faire des conjectures valables.
PS : je ne soutiens personne, la politique américaine est une folie furieuse - dont je suis très critique au demeurant - mais je suis un peu au courant alors je partage mes bases