
Après avoir fait l'éloge de la vie de femme au foyer, l'une des figures les plus visibles du mouvement estime avoir fait fausse route.
Issue de la moyenne classe chrétienne, la Canadienne Lauren Southern s'est fait connaître en ligne en tant que porte-parole de la mouvance alt-right. Autoproclamée « citoyenne journaliste », la jeune femme s'est lancée en ligne en débattant dans la rue avec des passantes ou en publiant des vidéos comme celle intitulée « Pourquoi je ne suis pas féministe. » Très télégénique, Lauren Southern a rapidement acquis une notoriété internationale en tant que militante d'extrême droite. Elle atteint son acmé entre 2017 et 2018 en partageant ses opinions au sujet de l'islam, de l’immigration de masse et des femmes libérales. D'après le Southern Poverty Law Center, la Canadienne coupable de dog whistling était alors sur le point de basculer dans le « nationalisme blanc pur et simple ». Une accusation réfutée par l'influenceuse, dont le contenu l'a pourtant amené à se faire interdire l'entrée au Royaume-Uni.
L'enfer est pavé de tabliers années 50 et de jolis cupcakes
Peu à peu, Lauren Southern se rapproche de la communauté des tradwives, communauté qui émerge en ligne dès 2015 par le biais des forums et blogs de maman. En 2019, la jeune femme se marie, tombe enceinte, et s'écarte brusquement de la vie publique. À 22 ans, elle s'envole pour l'Australie afin de vivre dans une petite maison au fond des bois la vie bucolique et autonome dont elle rêvait. « Sauf qu’il n’y avait pas que des tabliers des années 50 et de jolis cupcakes ; c'était un enfer », résume la journaliste Mary Harrington du média Unherd, qui s'est longuement entretenue avec Lauren Southern. En effet, Lauren Southern publie quatre ans plus tard une nouvelle vidéo pour raconter la rupture avec son mari violent, sa vie australienne sous les radars, et son retour au Canada en tant que mère célibataire. Après l'avoir obligée à arrêter de travailler, son mari la traite comme « une esclave occidentale des temps modernes », tout en lui reprochant de ne pas gagner d'argent. Quand elle recommence à créer du contenu et revient peu à peu dans les médias en 2020, son époux l'assomme de tâches domestiques. « Des tâches que je ne pouvais tout simplement pas terminer. C'était comme s'il m'envoyait faire des courses avec l'intention de me voir échouer. »
Les tradwives : entre désertion et ralliement
À la suite de sa confession début mai, la jeune femme s'est attiré les foudres de la droite anglophone. Car Lauren Southern n'est pas seule dans cette situation. L’un de ses groupes WhatsApp, dit-elle, « est comme l'Underground Railroad (ndlr : le Chemin de fer clandestin) pour les femmes du mouvement conservateur. » Certaines sont des personnalités médiatiques de premier plan, d'autres des influenceuses populaires. D'après Lauren Southern, le problème ne provient pas des valeurs portées par le mouvement ou du principe de répartition genrée des rôles, mais du fait que l'idéologie de la tradwife promue en ligne attirerait principalement des hommes misogynes soucieux d'asseoir leur pouvoir sur les femmes. En outre, cette idéologie serait trop rigide et simpliste, peu applicable à la vie réelle. D'après Unherd, la tradwife repentie aurait passé son adolescence « dans une sorte d’arrière-pays Internet où fleurissent des idées folles, libres de tout ancrage dans la réalité matérielle ou dans l’expérience pratique. »
Durant la pandémie, la communauté des tradwives se solidifie. Alors que les individus s’isolent et se replient sur la maison, la mouvance séduit de plus en plus de jeunes femmes. D'après la chercheuse américaine Eviane Leidig, autrice de The Women Of The Far Right, ce succès est partiellement imputable à l'iconographie diffusée par la nébuleuse conservatrice, à la fois soignée et très plastique. « L'imagerie est très soignée, avec des esthétiques léchées recouvrant un large spectre, de la mère de banlieue très soignée façon années 50 tirée à quatre épingles à une figure plus bohème façon cottagecore, comme avec l'Américaine mormone Hannah Neeleman. Le succès des tradwives tient à cette diversité de représentations, qui peut séduire des personnes aux sensibilités variées. » À une époque marquée par la crise écologique et les lourds conflits géopolitiques, la chercheuse identifie aussi notre besoin d'évasion comme l'un des éléments stimulant le succès de la figure de la tradwife : figée dans des vidéos TikTok et YouTube, inlassablement en train de faire cuire du pain et de faire sécher des fleurs pour parfumer son intérieur, loin des inondations et feux de forêts.
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