
Le climat est-il un sujet trop sérieux pour que les femmes y soient associées ? À voir la photo de groupe de la COP28, il semble que oui.
Officiellement l'inclusivité est l'un des 4 thèmes piliers qui guideront les négociations de la COP28. Et pourtant, sur la photo officielle des dirigeants mondiaux prise le premier jour de la COP28, on dénombre seulement 15 femmes parmi 133 dirigeants. Ça commence mal...
La COP, un rendez-vous de mâles dominants
Selon les chiffres de l'ONU Climat qui dévoile pour la première fois la liste des participants et leurs fonctions précises (pour répondre aux critiques sur les risques de conflits d'intérêts), la COP28 est officiellement la plus grande COP organisée (80 000 participants). Et pourtant, malgré cette hausse d'accréditations l'ONG Care dénonce un manque flagrant des femmes. « Une fois de plus, le tapis rouge est déroulé pour les dirigeants masculins à la COP et les hommes dominent parmi les principaux négociateurs. Comment allons-nous parvenir à des politiques climatiques efficaces et durables sans tenir compte de la moitié de la population sur Terre ? Les femmes et les filles sont les plus touchées par le changement climatique, mais elles sont réduites au silence. Elles sont invisibles. Il faut que cela change », alerte Fanny Petitbon, responsable plaidoyer pour CARE France, actuellement à la COP à Dubaï. Selon l'ONG à la COP27, seuls 37 % des délégués nationaux étaient des femmes, soit un pourcentage inférieur à celui de 2021. La représentation des femmes était encore plus faible parmi les négociateurs de haut niveau. Seuls 29 % des chefs et chefs adjoints de délégation étaient des femmes à la COP27. Une absence de femmes d'autant plus regrettable que « la crise climatique est due à des politiques économiques décidées par des gouvernements majoritairement masculins » rappelle, l'ONG.
Crise climatique et inégalité de genre
Selon le GIEC, les populations qui sont déjà les plus vulnérables et les plus marginalisées seront les plus impactées par le changement climatique au cours des prochaines années. Aux premières loges de ces populations : les filles et les femmes. Sur 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté, 70 % sont des femmes. À titre d'exemple, dans les pays en voie de développement, la dégradation des écosystèmes réduit les récoltes des agricultrices. Une situation qui impacte non seulement leurs sources de revenu, mais aussi leur charge de travail. Rien que pour la collecte d'eau, activité à laquelle les femmes consacrent en moyenne trois fois plus de temps que les hommes, chaque épisode de sécheresse les oblige à parcourir de plus grandes distances. À Madagascar, « J’ai vu des filles qui n’allaient plus à l’école pour aller chercher de l’eau de plus en plus loin, leur colonne vertébrale déformée par le poids de leurs jarres », témoigne Marie Christina Kolo, militante pour le climat et écoféministe dans Les Echos. Et d'ajouter : « Une fois rentrées chez elles, elles se voyaient refuser le droit d’utiliser cette eau pour leur hygiène menstruelle, considérée comme un tabou. »
Le changement climatique : un facteur multiplicateur de risques pour les femmes
Plus globalement, à mesure que les effets du dérèglement climatique augmentent, les droits des femmes reculent. Une étude publiée en août 2023 dans la revue International Social Work, pointe une corrélation entre mariages forcés et catastrophes climatiques. Ainsi, au Bangladesh, le nombre de mariage des jeunes filles de 11 à 14 ans est multiplié par 2 (+ 50 %) les années ayant connu une vague de chaleur de plus de trente jours. « En Ethiopie, il arrive que les filles soient données en échange de bétail », indique Céline Mas, présidente d’ONU Femmes France. Un constat corroboré par Violaine Gagnet, directrice des programmes de l’ONG Plan international, interrogé par le journal Le Monde : « Dans certaines parties de l’Ethiopie, le mariage forcé a augmenté en moyenne de 119 % en 2022 durant la sécheresse la plus grave que le pays ait connue depuis quarante ans ». En février dernier, l'ONG Vision du Monde rapportait que, dans les zones les plus touchées par le changement climatique, les mutilations génitales féminines, destinées à faire des filles « de bonnes épouses », avaient augmenté de près de 30 %. Une multiplication des facteurs de risques qui poussent les femmes à l'exil. Selon l'ONG ONU Femmes France, en 2021, 44 millions de femmes et de filles ont été forcées de fuir leur foyer en raison du changement climatique et de violation des droits humains. Des migrations très risquées puisque selon l'ONU, « une femme sur cinq réfugiées ou déplacée est victime de violence ou de viol ».
Plus près de nous, dans les pays développés, les femmes se trouvent aussi en première ligne du dérèglement climatique. À titre d'exemple, lors de la canicule de 2003, le taux de mortalité chez les femmes était en moyenne 15 % plus élevé que chez les hommes.
Pour sauver la planète, il faut compter avec les femmes
Pourtant, selon Anne Barre, Coordinatrice du plaidoyer genre et climat de Women Engage for a Common Future (WECF) : « Parce qu’elles sont en première ligne face à la crise écologique, les femmes ont développé des savoirs qui leur permettent de s’adapter et de créer des solutions innovantes ». Une expertise connue et reconnue. L’Agenda 21 adopté en 1992 au Sommet de la Terre de Rio mentionnait parmi les principes fondateurs du développement durable : « Les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable. » Une importance du rôle des femmes également souligné par le GIEC pour qui les femmes sont en première ligne dans la lutte contre les effets du changement climatique grâce à leur place importante dans l’agriculture. « Dans les pays du Sud, les coopératives de femmes sont davantage spécialisées dans les cultures vivrières alors que les hommes sont plus représentés dans les grosses cultures céréalières ou d’exploitation » explique Yveline Nicolas, coordinatrice de l’association Adéquations, dans Les Echos. « De cette manière, elles contribuent de longue date à la promotion d'une agriculture à échelle humaine et plus agroécologique. »
Un rapport, publié dans la revue Nature Climate Change en 2019, indiquait que s’il y avait au moins 50 % de femmes dans les groupes décisionnaires, la préservation de l'environnement serait plus efficace. Des bienfaits qu'une récente étude réalisée en Inde tend à confirmer. Comparant la fréquence de feux de brûlis (qui provoque une pollution massive) dans des circonscriptions administrées par les femmes, l'étude a rapporté « 13 % de feux en moins et des émissions de CO2 organiques réduites jusqu'à près de 40 % ». Des résultats dus, d’après les chercheurs, au fait que les femmes ont davantage conscience des méfaits de la pollution sur la santé des enfants et imposent plus souvent les amendes prévues contre cette pratique, rapporte Esther Duflo sur France Culture. Autant d'éléments qui font regretter le manque de représentations des femmes dans les instances décisionnaires.
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