
Face à la montée de l'extrême droite et à la multiplication des manifestations ultra violentes, l'envie d'appuyer sur la gâchette se répand à gauche par le biais du « Gunstagram ».
En 2017, le rassemblement Unite the Right qui réunit des groupes suprémacistes et néonazis en tenues militaires brandissant des fusils à Charlottesville en Virgine débouche sur des affrontements meurtriers avec les contre-protestants et forces de l'ordre. La même année à Berkeley, bastion de la gauche américaine, des anarchistes et antifascistes s'en prennent à des manifestants pro-Trump. Au sujet des premiers, le maire de Berkley a déclaré : « Je crois que nous devrions les classifier comme un gang. Ils viennent en uniforme. Ils ont des armes, presque comme une milice, et je crois que nous devons prendre cela en compte dans notre approche du maintien de l'ordre. » En 2021, Tiny Toese, partisan de l'organisation américaine néofasciste d'extrême droite Proud Boys, se fait tirer dessus à Portland alors que lui et d'autres membres de la clique traquent un groupe de jeunes afro-américains dans la banlieue de la ville. Des scènes qui depuis quelques années se multiplient.
L'essor du « Gunstagram » de gauche
Aux États-Unis, la culture des armes à feu a longtemps été définie par la droite conservatrice, principale instigatrice de la politique pro armes du pays qui a fait des Américains les citoyens les plus lourdement armés au monde. « Il est désormais clair que les manifestations de 2020 ont marqué le début d'une ère formatrice, permettant aux jeunes de gauche de dégoter leurs premières armes à feu et de rejoindre une communauté, à la fois autour d'une utilisation responsable des armes et d'une idéologie de défense communautaire », explique à Mel le chercheur Joshua Farrell-Molloy. Les nombreuses tueries de masse perpétrées aux États-Unis à la fin des années 2010 par des suprémacistes n'ont fait qu’accentuer le phénomène, exacerbé aussi par le meurtre de George Floyd en 2020 à Minneapolis dans le Minnesota.
En 2021, le chercheur a rédigé un rapport sur le sujet, publié par l'Institute of Strategic Dialogue et intitulé « L'essor du « Gunstagram » de gauche ». D'après lui, le fondateur de la Latino Rifle Association a évoqué la fusillade d'El Paso de 2019 pour expliquer la création de l'organisation. Son objectif : « connecter les propriétaires d'armes latinos, défendre les droits des armes à feu d'un point de vue latino et éduquer les communautés latino-américaines sur les armes à feu et l'autodéfense. » Loin d'entités de gauche armées depuis longtemps comme la Socialist Rifle Association ou le John Brown Gun Club, Redneck Revolt, le « Gunstagram » accueille les nouveaux propriétaires de fusils à pompe et semi-automatiques en tous genres.

Multiplication des récits autour d'une « guerre civile »
Pour Joshua Farrel-Molly, les usages diffèrent toutefois de ceux de l'extrême droite. « De nombreuses personnes insistent sur la façon d’utiliser les armes à feu en toute sécurité, mais aussi sur l’importance de la désescalade lors de leur utilisation. Il ne s’agit pas vraiment d’acheter une arme pour s’en servir. En termes d’entraînement, j’ai trouvé intéressant que plusieurs voix dans la communauté poussent vraiment les gens à envisager un entraînement et des tactiques plus avancés – travailler en groupe, tirer sur plusieurs cibles. Malgré cela, il ne me semblait pas que commettre des actes violents génère chez eux des fantasmes. Il s’agit plutôt d’un dernier recours, soulignant que les gauchistes ont une conscience de la situation et font tout ce qu’ils peuvent avec cela », explique-t-il. Le chercheur observe aussi un accroissement des récits autour d'une « guerre civile » et de la défense communautaire, sans que cela génère toutefois au sein de la sphère « Gunstagram » l'envie de s'en prendre directement à des groupes d'extrême droite. « Les gauchistes passent beaucoup plus de temps à expliquer que l’entraînement aux armes à feu consiste à être avec des personnes partageant les mêmes idées et à se connecter avec leur communauté locale. C’est clairement un créneau qui continue de croître. »

Avoir des armes, créer des milices : c'est le second amendement de la constitution US