
Après la mort de Nahel, tué par un policier ce 27 juin, une partie de la France s’est embrasée, galvanisée par les réseaux sociaux. Le pillage de magasins à Châtelet s’est notamment organisé sur TikTok et SnapChat, avant d’y être commenté et tourné en dérision.
« RDV 23h Châtelet toute les cités sa va faire les magasin branchée vous (sic) ». Publié d’abord sur SnapChat puis sur TikTok, ce message (dont nous avons conservé l'orthographe d'origine) a fait office de tract pour organiser le pillage de magasins à Châtelet jeudi 29 juin, en réaction à la mort de Nahel, jeune homme de 17 ans tué par un policier mardi. Une centaine de personnes ont cassé les vitrines de la boutique Nike du forum des Halles et de celle d'un Zara de la Rue de Rivoli.
La Snap map comme moyen de se localiser
Le lendemain, la recherche « Châtelet 23h » suggérée par TikTok vous amenait dans un vortex de vidéos en amont des faits, puis sur place et enfin prises tôt ce matin pour constater les dégâts. Tout comme « Marseille monte à Paris » (autre cri de ralliement publié le 29 juin par certains mais a priori peu suivi), ou encore « Nael 17 ans Nanterre » (sic). Ces recherches suggérées sont souvent accompagnées d’un émoji flamme, celui utilisé par TikTok pour désigner les sujets montants. Et qui ici prend une double signification.
Sur Snapchat, c’est via la carte (Snap map) que cela se passe. Cette fonctionnalité du réseau social permet d’afficher les points chauds d’une carte, c’est-à-dire les zones où les utilisateurs publient le plus de vidéos. Ces derniers jours en France, ces zones correspondaient aux lieux des émeutes, comme le remarque BFMTV.
« Il reste de la lessive ou pas ? »
Les réseaux ont servi à galvaniser la colère, à l’organiser, mais aussi et c’est sans doute le plus surprenant à apporter immédiatement un regard détaché presque ironique sur les événements. Entre deux vidéos du pillage du magasin Nike à Châtelet, on trouve des mèmes. Plusieurs tiktokeurs se filment en train de ramasser tout ce qu’ils trouvent dans leur chambre, avec en légende : « Les gens qui vont aller dévaliser le Nike à Châtelet ». Sur une vidéo d’un avatar défilant sur la plage : « Pov : moi avec mes tenues d’été que j’ai voler à châtelet (sic) ». Dans une vidéo filmant un supermarché saccagé après des pillages, on entend une voix demander « il reste de la lessive ou pas ? », « Ouais il reste tout », lui répond une autre. Et ce petit dialogue est devenu en quelques heures un gimmick répété dans de multiples autres vidéos.
Sur Twitter (où l’on commente les vidéos venues de Snap et TikTok), certains s’indignent de voir les émeutiers faire leur « shopping », ou être dans la surenchère de vidéos violentes. Mais la structure des réseaux sociaux où les faits se mêlent au divertissement permanent ne pouvait conduire qu’à ce type de contenus doubles. À noter qu'on trouve aussi dans ce flux permanent d'images, des vidéos de réactions à chaud au discours plus politisé comme ci-dessous.
En 2005, les JT dictaient le traitement des images
Cette retranscription et analyse en direct sur les réseaux marquent une différence importante avec les événements de 2005. Après la mort de Zyed et Bouna causée par une poursuite policière, plusieurs villes de banlieue s’étaient également embrasées en protestation. En 2005, les images des événements étaient principalement celles des journaux télévisés (BFMTV n’était pas encore née, à quelques mois près). On en retient aussi le traitement médiatique fait par les chaînes américaines : la qualification de guerre civile et la définition des « no-go zones ». On reprochait déjà à ce traitement de ne jouer que sur le sensationnalisme, et de relayer en majorité le discours officiel du gouvernement. C’est ce qu’observait notamment un documentaire diffusé en 2013 sur Canal+ « Émeutes en banlieue : la mécanique infernale » .
En 2023, les réseaux sociaux permettent d’avoir plus massivement le point de vue des acteurs de la révolte, passés toutefois au filtre « entertainment » des réseaux sociaux. Cette différence de traitement a par ailleurs accéléré considérablement la propagation du vandalisme. Comme le note Ouest France, en 2005, il aura fallu une dizaine de jours après la mort de Zyed et Bouna pour que les émeutes s’étendent au pays, après être restées circonscrites fin octobre à la banlieue parisienne… En 2023, près de 250 communes étaient déjà concernées 3 jours après la mort de Nahel.
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