
La sanction de la SEC, le gendarme des marchés américains, illustre la tendance à un durcissement de la réglementation sur les cryptoactifs. Éclairage avec Julien Aucomte et Jérôme Brosset, avocats associés du cabinet August Debouzy.
Fin de la récré pour les plateformes de cryptomonnaies ? Revenons sur les faits. Une filiale de la société de cryptomonnaie BlockFi Inc a enfreint les règles en proposant un produit de prêt à intérêts sans s'enregistrer auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC). L'agence a sanctionné la plateforme d'échanges qui a accepté de payer 100 millions de dollars non seulement à la SEC mais aussi à 32 États américains. Cette sanction marque-t-elle un tournant dans la régulation des plateformes de cryptoactifs ?
Pour Julien Aucomte et Jérôme Brosset, deux avocats spécialistes des fusions-acquisitions et de droit boursier, cette annonce indique un tournant : les cryptoactifs sont désormais considérés comme des produits financiers comme les autres et seront encadrés comme tels.

Quel message a voulu envoyer la SEC en infligeant une amende de 100 millions à la plateforme BlockFi ?
Jérôme Brosset : Cette sanction est à ce jour la plus élevée prononcée par la SEC contre un prestataire de service sur des actifs numériques. Il ne s’agit toutefois pas d’une amende mais bien d’un accord financier. On peut donc imaginer que la SEC avait demandé plus en vertu de la violation du Securities Act de 1933 et de l’Investment Act de 1940, deux des législations qui encadrent l’activité financière aux Etats-Unis.
Julien Aucomte : La SEC a cherché à rendre une décision qui a valeur d’exemple. Le message est clair : aux Etats-Unis, les actifs numériques sont des produits financiers comme les autres, ils doivent donc s’échanger en respectant les règles qui régissent les acteurs financiers traditionnels. Même en l’absence de préjudice avéré pour les porteurs, puisque la spoliation des investisseurs n’est pas encore avérée, il y a une volonté du régulateur de faire rentrer les cryptomonnaies dans le rang. La nouveauté est également la publicité forte qui est accordée à cette décision. Puisqu’il y a eu un accord, nous aurions pu penser que la somme échangée serait restée confidentielle.
Qui est Gary Gensler, le nouveau patron de la SEC qui s’est donné pour mission de mieux encadrer le secteur des actifs numériques ?
J. B. : Gary Gensler est un technophile. Il a enseigné la blockchain et la théorie monétaire au MIT avant de travailler comme banquier d’affaire chez Goldman Sachs. C’est donc quelqu’un qui connait très bien le secteur de l’économie numérique. Il a également été conseiller économique d’Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle de 2016. Il a été nommé à la tête de la SEC en avril 2021. Depuis, il utilise son mandat de régulateur comme un poste de communication et d’affirmation pour étendre le champ de ses compétences. Cela montre que les pouvoirs fédéraux américains affichent désormais une volonté claire : encadrer le secteur en faisant appliquer les règles qui s’appliquent aux institutions financières.
J. A. : Effectivement, la nomination de Gary Gensler constitue une rupture importante car, sous le mandat de Donald Trump, le précédent président de la SEC était plutôt un « dérégulateur ». Depuis l’Europe, l’idée de réguler un secteur qui s’apparente encore au « Far West » économique est considérée avec un regard positif, mais Gary Gensler devra aussi trouver un point d’équilibre. Il faudra faire attention à ne pas tuer ou limiter l’expansion d’un pan prometteur de l’économie.
Pour les entreprises concernées, quelles seront les démarches à entreprendre pour se mettre en conformité avec cette nouvelle tendance réglementaire ?
J.A. : Les prestataires de service sur des actifs numériques vont devoir se soumettre aux mêmes impératifs que les banques et les sociétés de bourse, c’est-à-dire information et transparence. La tendance réglementaire est que les actifs numériques sont de plus en plus considérés comme des produits financiers comme les autres, au même titre que les actions et les obligations. À cet égard, en France, le code monétaire et financier exige par exemple des prestataires de services sur actifs numériques qu’ils se soumettent à un visa d’enregistrement de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), sur avis conforme de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).
Comment se profile l’évolution de la régulation en Europe, une zone où la tradition régulatrice est réputée être plus forte ?
J. B. : L’Europe n’est pas forcément plus dure. En France, l’AMF n’a pas encore publié de sanctions contre des prestataires de services sur actifs numériques. Aujourd’hui, la sévérité semble plutôt du côté de la SEC. Au niveau de l’Union européenne, tout dépendra du calendrier d’adoption de la proposition de règlement MiCA (Market in Crypto Assets), et du projet de règlement DORA (Digital Operational Resilience Act), publiés par la Commission européenne le 24 septembre 2020 au sein du « Digital Finance Package », mais au sujet desquels aucune date de publication n’a pour le moment été communiquée par les instances européennes.
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