
Il est bien loin, le traditionnel team crea ! Exit les duos CR-DA, aujourd'hui, la donne se complexifie. Et entre rachats impromptus, nouvelles technologies et profils atypiques, l'avenir du créatif est loin d'être tout tracé. Interview de Josué Pichot, Co-fondateur et Directeur de création de FCINQ, du Groupe M&C SAATCHI.GAD
Dans l'imaginaire collectif, on oppose souvent les compétences "créatives" & "technologiques". Pourquoi ?
Josué Pichot : C’est un clivage qui est dépassé, mais dont nous avons aussi souffert au sein du groupe il y a encore 10 ans. Ça vient du fait, selon moi, que certains s’obstinent à croire que seule l’idée est la clé. Mais une fois qu'on a l'idée, il faut pouvoir la délivrer, trouver le bon message et le bon moment pour le faire passer. Et sans comprendre comment fonctionnent les technologies, c'est impossible. Le monde d'aujourd'hui est complexe, et si on a aucune idée des usages et des techniques qui vont avec, on ne peut pas avancer. D’où là nécessité de monter des équipes multi-profils où les différences de culture (qui sont un atout), s’ajoutent et se complètent. Ça n'a rien d'évident : cette alchimie est toujours difficile à installer. Pour grossir le trait, on parle de profils qui n'étaient en général pas potes à l'école.
Un créatif peut-il se passer de savoir-faire technologiques ?
J. P. : On pourrait en faire une dissert’ de philo ! Tout dépend de ce que l’on appelle savoir-faire technologiques, un créatif doit-il savoir coder ? Non, c’est un travail à plein temps qu'il ne maîtrisera jamais autant qu’un développeur. Ensuite il faut savoir si l'on parle d'outils de production ou d'outils d'usage côté clients. Quoiqu’il en soit, un créatif - comme tout le monde et comme à chaque époque - doit être en prise avec son temps. L’important, c’est d’avoir des notions et de pouvoir appréhender comment les technologies fonctionnent. Il faut s’intéresser aux technologies et les utiliser. Et a minima, avoir des équipiers référents qui comprennent comment les technologies et les usages s'entremêlent. Une team aujourd’hui n’est plus simplement un DA et un CR : il est indispensable d’intégrer, suivant les besoins, des profils plus techniques (à sensibilité artistique) ou social media dès les étapes de réflexion. Chez nous, les développeurs sont au centre de l'open space : ils échangent régulièrement avec les créatifs !
Comment une agence aide-elle un créatif à s'approprier les technologies ? Et l'inverse ?
À mon sens, un créatif doit être curieux, en recherche des particularités de son époque, il doit pouvoir se nourrir d’expertises diverses dans son agence avec des référents dans des domaines aussi bien techniques que sociologiques. On ne doit pas hésiter également à suivre des formations et notamment celles (la plupart du temps gratuites) dispensées par les plateformes elles-mêmes (Google, Facebook). On doit également changer de point de vue sur la formation en France, qui est généralement utilisée trop tardivement et trop souvent pour se débarrasser d’éléments qu’on estime dépassés, alors qu’elle doit être un accélérateur constant et nourrir une soif de compréhension. Chez M&C SAATCHI.GAD, nous organisons régulièrement des petits dej’ “d’auto-formation” où le but est d’échanger et transmettre les compétences acquises suite à un projet, de montrer des cas et de les décortiquer. Du brief à la réalisation en passant par l'idée, on revient sur les tendances, les usages et les technologies qui ont permis d'arriver au résultat. Enfin, dans l’organisation des projets nous faisons remonter, en fonction des besoins, les expertises techniques et technologiques pour être de vrais compléments aux créatifs.
Le rachat de Droga5 par Accenture célèbre-t-il l'hybridation des créatifs et des techniciens ?
J. P. : C’est un sujet qui a beaucoup fait parler ! Je crois surtout que Droga5 en soit était déjà un hybride de créativité et de technologie, ce qui rend cette agence si différente et désirable. Ici on a assisté à la poursuite d'une nouvelle ère annoncée : celle de l’intégration globale par les grands cabinets de conseil de la publicité et de la communication au sens large. Ça leur permet de proposer à leurs clients une recommandation sur la totalité de leur offre, de leur produit à leur organisation, jusqu’aux différents touchpoints de leur communication. Sur le papier c’est très intéressant. En réalité, au-delà de l’effet d’annonce, il va falloir faire travailler tout ce monde-là de concert, ce qui prendra un certain temps avant une intégration fluide - tout comme il y a 10 ans quand les agences de pub rachetaient des "pure player” digitaux dont l’intégration était toujours compliquée.
Y a-t-il un décalage de générations qui s’observe au sein des équipes créatives ?
J. P. : Je crois qu’on a dépassé cette question. Aujourd’hui, les cultures s’enrichissent. Les équipes plus jeunes ont certes plus de facilité avec les outils - par exemple - mais tirent énormément de l’expérience et de la manière d’aborder les sujets des plus seniors. La confrontation est généralement une différence dans le traitement des sujets. Les plus seniors partent souvent de ce que doit dire la marque, du "gros film TV". Les plus jeunes, qui sont plus technos, partent des besoins utilisateurs, de leurs usages. Et les deux se complètent si l’on sait s’écouter et tirer le meilleur de chacun. Ce sont plutôt les egos que les différences générationnelles qui peuvent créer des décalages.
Invisible il y a quelques années, on dénombre une centaine de createch en France aujourd'hui. Quels sont les facteurs de cet engouement ?
J. P. : La publicité traditionnelle cherche depuis plusieurs années à se réinventer, face à la menace toujours croissante de se faire doubler - notamment par les agences de conseil qui rachètent aussi bien des agences créatives que des agences digitales. L'importance du digital a totalement bouleversé certaines organisations. Les plus traditionnelles qui dépensaient beaucoup avec leurs organisations lourdes ont eu peu de résultats : elles se faisaient parfois doubler par des "hacks" de petites structures qui généraient beaucoup de visibilité. D'où la nécessité de se doter de profils capables de comprendre et maîtriser les nouvelles technologies, qu'il s'agisse d'outils de listening ou des réseaux sociaux.
Quel est le profil idéal du creative technologist aujourd’hui ?
J. P. : Chez nous ils viennent de l’UX, du développement, de "digital pure players", de parcours mêlant UX, création et technologies... et sont intégrés systématiquement dans nos pitchs. Ils sont en veille constante, utilisent et testent toutes les technologies et réseaux sociaux.
Comment intégrer ces profils dans l'agence ? Par un pôle dédié ?
J. P. : L’intégration est un vrai sujet. On parle de profils qui ne viennent pas des mêmes formations que les profils d'agence traditionnels. Ces univers ne sont pas toujours faciles à matcher. Mais il faut absolument persévérer : ils doivent intervenir sur la plupart des sujets ! On n’est jamais à l’abri qu’un sujet qu’on ne pensait "absolument pas techno" soit en réalité un formidable terrain de jeu pour nos creative tech. Ils ne peuvent être mis dans un coin en attendant qu’on vienne les chercher. Chez nous ils interviennent dès l’amont, en complément de la stratégie et suivent le sujet jusqu’à la production et son déploiement afin d’être sûrs que l’exécution est fidèle à l’idée.
Pourquoi est-il important d’encourager des formations telles que celles proposées par ICI Montreuil, l’AFDAS et Pôle Emploi ?
J. P. : Nous sommes dans une période - et cela vaut pour quasiment tous les métiers - qui demande une formation et une adaptation permanentes. C’est un challenge difficile pour les générations qui ont eu par le passé moins besoin de se remettre en question. Les digital natives - qui ont déjà vu la mort de certaines technos ou des changements de paradigme - savent depuis toujours qu'ils doivent effectuer une mise à jour constante. Même chez les plus jeunes, les besoins de mise à jour et d’évolution sur de nouveaux métiers est indispensable.
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