des stories instagram avec de l'art dedans

La Minute Culture, ou l’art de se cultiver « sans prise de tête » sur Instagram

© La Minute Culture

Elle use et abuse de Stories pour vulgariser des « morceaux » d’Histoire de l’art. Drôle, intelligente, actuelle, La Minute Culture de Camille Jouneaux fait un carton sur Instagram. Un succès dont les musées tentent de s’inspirer, à l’heure où la « culture snack » séduit les jeunes publics.

Une Story par semaine pour « se cultiver sans prise de tête ». Voilà ce que promet le compte Instagram La Minute Culture, lancé par Camille Jouneaux fin février 2019. Des tranches d’histoire, des anecdotes croustillantes et des vies d’artistes expliquées aux jeunes au format crunch, à grand renfort d’emojis, de mèmes et de hashtags bien sentis.

Les vertus de la vulgarisation

Michel-Ange, ce « slasheur » avant l’heure, Artemisia Gentileschi la « badass », Nicolas Poussin « l’intello » de base… le compte ne compile, pour le moment, qu’une petite dizaine de Stories dont on tombe instantanément accro. Fin, drôle, actuel… leur ton rappelle le phrasé de Jean Rochefort pour « Les Boloss des belles lettres » , cet ancien Tumblr dont l’objectif consistait à vulgariser de grands classiques de la littérature, en langage « caillera ».

« Cela fait à peine une semaine que j’ai lancé le compte, et les retours sont déjà plus qu’encourageants, rapporte Camille Jouneaux à L’ADN. Il y a déjà 10 000 abonnés et je reçois des messages de personnes très variées : des lycéens, par exemple, qui utilisent le compte pour préparer leur BAC. Une historienne de l’art m’a même dit beaucoup apprécier le contenu. Pour moi, c’est une caution supplémentaire. Cela veut aussi dire qu’il y a une vraie demande », poursuit celle qui persiste à penser que les millennials ne sont pas ceux que l’on croit, peu curieux et uniquement obsédés par les flux discontinus de leur smartphone.

À l’heure où cet article est écrit, sa Story Michel-Ange a déjà été ouverte par 7 400 utilisateurs, parmi lesquels 5 700 l’ont regardée jusqu’au bout, « soit un taux de complétion de 77% », précise l’administratrice, ancienne d’une agence de social media. Un engagement fort qui la rassure. « Les plus jeunes aussi peuvent s’intéresser à Nicolas Poussin ou à Jules César, à condition que le format corresponde à leurs usages ».

Des références pop et du fact-checking

Cela, Camille Jouneaux l’a rapidement compris. Passionnée de culture et après avoir suivi des cours du soir en Histoire de l’art au Musée du Louvre, elle décide de partir seule en Italie. « C’était il y a à peu près deux ans. Je passais ma vie à instagrammer et à raconter mes visites de musées sur mon compte perso, et ça a pris tout de suite. Les gens trouvaient ça drôle, leurs retours étaient spontanés. Et quand des personnes réagissent aussi fortement, avec le volume de contenus qu’il y a déjà en ligne, c’est qu’il se passe quelque chose ».

C’est le déclencheur et la jeune freelance commence très vite à marketer son idée. De grands acteurs culturels – Arte, Le Grand Palais, Le Musée du Luxembourg… commencent même à lui faire du pied pour développer des formats sociaux plus engageants. « À ce moment, j’ai rendu mon CDI en agence et m’y suis vraiment mise ».

Rendez-vous hebdomadaire, logique de contenus en série, format court, références pop… La recette de La Minute Culture a tout de la formule magique. Dans ses Stories, Camille tient son lecteur en haleine et distille ça-et-là des références que les moins de 20 ans (et même plus ! ) peuvent tous connaître. Des mèmes en référence au Dîner de Con à la série Games of Thrones, qui fait notamment écho à la sulfureuse histoire d’amour de Cléopâtre et Jules César, tout résonne de façon intelligente et intelligible. Même le déhanché de la Vénus de Milo est comparé à celui de Beyoncé… De délicieux anachronismes que l’on aimerait voir plus souvent au musée.

 

« J’aime cette mise en tension entre œuvres anciennes et storytelling anachronique, ça fonctionne bien », admet Camille. Mais attention, pas question de sacrifier la qualité du contenu sur l’autel de nos flux. À l’issue de chaque Story, l’auteure prend soin de dévoiler toutes ses sources. « Je prends du temps à faire ne serait-ce qu’une seule Story. Je recherche les informations en amont et procède à beaucoup de fact-checking via des médias et des sources muséales. Je viens du marketing, pas de la culture, alors je suis d’autant plus exigeante avec moi-même ».

En parallèle, elle accorde aussi beaucoup d’importance à la représentation des artistes femmes dans ses feuilletons, à l’instar de la sculptrice Camille Claudel, dont le travail a longtemps été associé à la notoriété de Rodin. Même schéma pour la peintre italienne Artemisia Gentileschi (17ème), « dont le viol la poursuit jusque dans les années 60-70, l’empêchant de goûter à une véritable notoriété d’artiste », relate Camille. « J’aime cette liberté dans le choix des artistes, cela me permet de rendre hommages à celles et à ceux qui ont été sous-représentés ».  

Le format snack à la cote

À la manière des newsletters d’Artips, plateforme de micro-learning proposant trois fois par semaines des contenus culturels sourcés, à avaler en une minute chrono, La Minute Culture surfe sur la vague du « snack content » .

« C’est une tendance qui dépasse la simple Story, poursuit Camille. De la vidéo de deux minutes sur Facebook aux snaps, les plateformes nous forcent à innover dans ce sens. Nous sommes des digital nomades, constamment en mouvement, constamment connectés. On ne va pas sur les réseaux sociaux pour se cultiver, mais entre deux tâches ou quand on attend le bus. Ici, les formats courts et packagés peuvent vraiment faire la différence ».

Et les grands acteurs culturels ont tendance à le comprendre, prenant en exemple les instagrammeurs référents du moment. Cela donne lieu à des partenariats insoupçonnés, comme celui du Musée Jaquemart-André avec le compte Instagram @amour_solitaires pour son exposition Caravage.

De son côté, Camille Jouneaux multiplie aussi les collaborations. Elle a notamment réalisé de courts contenus promotionnels pour la Carte Sésame du Grand Palais et des Stories pour l’exposition Mucha au Luxembourg. La freelance couvre aussi les partenariats d’Arte avec des actions culturelles, comme l’exposition sur le cubisme au Centre Pompidou ou la Biennale de Venise. « Mon job consiste à créer des formats courts et périphériques qui ne viennent pas spoiler le contenu des expositions, rapporte Camille. Je crée des entrées pour parler de sujets annexes, de femmes artistes par exemple, de ponts qui les rattachent à des symboliques globales ».


CAMILLE JOUNEAUX

Après dix années passées en agence social media dont trois en mission chez un grand acteur du secteur culturel, Camille s’est lancée en freelance dans la création de contenu. La Minute Culture d’abord diffusée sur son compte personnel pendant près de 2 ans lui a permis de signer des premiers clients prestigieux à l’image d’ARTE et de la RMN-Grand Palais. En parallèle, Camille écrit des chroniques pour le magazine Saumon - La Culture à contre courant et s’investit depuis 2015 en tant que bénévole dans l’organisation du Festival Circulation(s).


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Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.

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