deux enfants se bagarrent dans un parc

Gillette : feminist-washing ou marque engagée ?

S’opposant à la « masculinité toxique », la publicité « The Best Men Can Be » de Gillette a suscité l'enthousiasme autant que la colère des internautes. La jugeant insultante et stéréotypée, des hommes appellent notamment au boycott de la marque.

La marque Gillette serait-elle devenue misandre ( « anti-hommes » ) ? C’est la question que posent certains masculinistes face à la promotion de sa dernière campagne de pub. Luttant contre les comportements misogynes et engagé en faveur d’une masculinité réinventée, le film rencontre un bad buzz inattendu sur les réseaux. En cause, un discours « culpabilisant » et « moralisateur » qui mettrait en péril la virilité de ces messieurs. Enregistrant plus d’un million de dislikes sur YouTube (contre 700 000 likes), le spot ravive, sur Twitter, un débat idéologique genré. À tel point que certains internautes masculins appellent au boycott mondial de la marque. 

Un spot jugé anti-hommes

Les internautes sont nombreux à crier au sexisme, persuadés que la campagne Gillette lance un appel à la haine des hommes. Marié et père d’un enfant, Cédric, du blog Le Mecxpliqueur, pense pourtant le contraire. « Je ne crois pas que le film dénigre les hommes en tant qu'individus. Il pointe seulement du doigt certains comportements. Si vous vous sentez visé quand Gillette représente un homme qui siffle une femme dans la rue ou lui coupe la parole en réunion, demandez-vous pourquoi », nous rapporte-t-il.

Sur son temps libre et via son blog, Cédric explique aux hommes les rouages pernicieux du mythe de la virilité, celui qui dicte aux garçons de se battre ou de collectionner les muscles pour en être digne. « Le film est très positif. Il présente des modèles masculins qui agissent pour le meilleur. On est donc loin d'une charge misandre », poursuit-il.

Ailleurs, le message est compris différemment. Le féminisme prend « trop de place » et provoque l’inconfort des conservateurs les plus musclés, certains ayant du mal à comprendre que les hommes souffrent eux aussi des carcans dans lesquels ils sont enfermés. « Les gens choqués par cette publicité sont ceux qui pensent qu’être un homme, c’est avoir toutes les caractéristiques qui sont présentées dans le film : se battre, être agressif, ne pas réagir face à des situations de violence, encourager les jeunes garçons à se bagarrer..., explique Victoire Tuaillon, journaliste chez Binge Audio et animatrice du podcast féministe Les Couilles sur la Table. En bref, posséder toutes les composantes de la virilité traditionnelle. Mais ce genre d’attitude, d’injonction, fait du mal à tout le monde, aux femmes et aux enfants, mais aussi aux hommes ».

« Feminist washing » ou réelle avancée ?

Victoire et Cédric s’accordent à dire que le film fait évoluer les mœurs dans le bon sens. « Si Gillette a fait ce choix, c’est avant tout pour vendre ses produits, mais je n’ai rien à dire là-dessus. La pub peut aussi avoir un effet sur les mentalités, c’est du contenu culturel au sens large du terme, poursuit Victoire. Personnellement, j’approuve tout à fait cette publicité. Elle est positive, contrairement à beaucoup de contenus genrés qui demeurent caricaturaux ». 

Après avoir vu la pub, Cédric explique que son premier réflexe fut de penser au « feminist washing », un dérivé du green-washing qui consiste à revendiquer un engagement en faveur de l’égalité homme-femme, sans vraiment en appliquer les principes. Pour autant, la campagne lui paraît cohérente. « Le film est vraiment bien et ne limite pas les problèmes de la masculinité à une population stigmatisée. L'exemple classique chez nous, c'est de dire que la misogynie est uniquement un problème de jeunes de banlieues, explique-t-il. Ça prouve que la marque a écouté les critiques féministes. Elle ose vraiment pointer tous les hommes du doigt, y compris ses clients ».

Reste à voir si Gillette transformera son coup de com’ en actions. Pour le moment, Gillette, c’est quand même « des rasoirs sombres pour les hommes et des rasoirs roses (et un peu plus chers) pour les femmes », pondère-t-il. À noter que la marque apporte un soutien financier à « Boys & Girls Clubs of America » , une association aidant les jeunes hommes à « développer des compétences sociales et affectives pour mieux communiquer, travailler avec les autres et développer des mécanismes d’adaptation plus efficacement ». Pour les trois années à venir, Gillette a également promis de distribuer 1 million de dollars à des ONG dédiées aux hommes. Tout cela reste vague, mais c'est un début.

« On participe tous au patriarcat, qu’on le veuille ou non »

Plus loin, Victoire Tuaillon réfute la logique des stéréotypes genrés. « Les études de genre montrent qu’il n’existe pas qu’une seule masculinité, mais plusieurs. Elles montrent qu'il n'y a pas de nature féminine ou de nature masculine, ce sont des constructions culturelles, dont certaines sont nocives pour le vivre-ensemble et l’harmonie entre les sexes. Cela veut aussi dire que ces constructions peuvent changer ! », explique-t-elle. 

De son côté, Cédric évoque les biais dont il est difficile de se départir et la réalité d’un système que nous sommes nombreux à nourrir. « On participe tous au patriarcat, qu’on le veuille ou non. On a internalisé des valeurs et c'est une réalité difficile à regarder en face » , admet-il. Il ne faut pas non plus surestimer le backlash. Les masculinistes sont une minorité très active sur internet, prompte à distribuer des "pouce en bas" sur YouTube et à poster des tweets rageurs. Est-ce que leur réaction est représentative d'un public plus large pourtant ? Je n'en suis pas sûr. »

Et si vous en doutiez, notez que les ventes de Gillette se portent très bien depuis les débuts de la controverse. Comme quoi...  « Qu'on parle de moi, en bien ou en mal... L'essentiel, c'est qu'on parle de moi ! »

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.

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