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Monteurs vidéo et Miniamakers : on a rencontré la nouvelle classe laborieuse de la création sur YouTube et Twitch

© MFA

Ils se forment sur le tas, vendent leurs services sur Discord et collaborent avec les plus grands noms de YouTube et Discord. Quand une nouvelle génération de monteurs et de graphistes professionnalise l'économie de la création.

Le 23 août 2023, sur X (anciennement Twitter), un certain @JUNNI0Rs_ semblait confiant. « Hello. Je suis un monteur en pleine progression avec un énorme potentiel (sans arrogance). Je cherche à travailler et à fournir le meilleur de ce que je sais faire. Ce serait un grand plaisir de travailler avec toi. J'ai plutôt une mentalité où je te montre ce que je sais faire sur le terrain. Tu peux me donner un rush et je te fais le montage. Comme ça tu vois de quoi je suis capable. Étant donné que j'ai commencé il y a peu de temps, j'ai peu de travaux, mais on sent que le potentiel est là ».

C’est en suivant des youtubeurs et des streameurs que l’on voit fleurir ce type de candidatures. Autrefois, les vidéastes du Web avaient la réputation de savoir tout faire – du tournage à la promotion de leur contenu en passant par le montage ou la recherche de partenariats. Si certains continuent de jouer les hommes et femmes-orchestres, beaucoup ont compris qu’il faut diviser le travail pour progresser plus vite. À présent, une armée de monteurs et de graphistes se met au service de ces créateurs. Entre passion et abnégation, cet écosystème de petites mains invente de nouvelles manières de travailler. 

« Tu ne gagnais pas forcément super bien ta vie, mais tu pouvais faire ton trou. »

Jean-Brice Canihac, connu sous le pseudo de « Rimey », a participé à ce mouvement. À 28 ans, ce vidéaste spécialisé dans le montage de best of travaille pour les plus grands streameurs de France, comme Gotaga (quatrième streameur le plus suivi du Twitch francophone avec 4,1 millions de followers) ou Zerator (1,45 million de followers). Pour lui, les choses se sont jouées entre 2019 et le grand confinement de 2020. « C’est le moment où Twitch a explosé, indique-t-il. Il y avait de plus en plus de créateurs, donc on a eu besoin de plus de monteurs et de graphistes pour mettre en forme le contenu sur les autres plateformes comme YouTube. » 

C’est à cette période qu’il abandonne son travail de développeur Web pour devenir monteur vidéo freelance, une passion qui ne l’avait jamais quitté. « J’ai commencé à offrir mes services en 2019, et sur Twitter je suis tombé sur le message du streameur Skyyart (suivi par 812k followers) qui cherchait un monteur. Je lui ai envoyé ce que j’avais fait dans mon coin alors que je n’avais que 80 abonnés à l’époque. Il me prend, je crée mon autoentreprise dans la foulée et, de fil en aiguille, j’ai travaillé pour des streameurs plus visibles comme Gotaga. » S’il a obtenu ses premières missions facilement, notre vidéaste précise que les choses ont bien changé depuis. « Il y a cinq ans, il y avait énormément de demandes. Tu ne gagnais pas forcément super bien ta vie, mais tu pouvais faire ton trou. Maintenant, quand tu te lances, il y a bien moins de clients. Les streameurs établis ont leurs monteurs, les standards de qualité ont largement augmenté, et, pour des débutants, il faut rattraper le niveau général. » Et si les plus petits créateurs qui ont quelques centaines de viewers font désormais appel à des monteurs, ils proposent des sommes dérisoires. »   

La création de contenu est devenue un travail d’équipe

Pour Marie Camier, streameuse et productrice pour d’autres youtubeurs comme Manon Bril (une vidéaste spécialisée en histoire), on ne peut plus réussir en travaillant seul. « Sur YouTube, les vidéastes qui se sont professionnalisés sont ceux qui sont allés chercher des gens pour s’agrandir et accélérer, explique-t-elle. Des créateurs comme Léna Situations ou Alexandre Calvez (un youtubeur qui teste des objets) ont recruté leurs potes pour avoir une image et un montage irréprochable. Le niveau technique est tel que les petits créateurs sont obligés de suivre. » Julien Egea, graphiste de 30 ans spécialisé en création de miniatures, collabore avec des pointures de YouTube comme Cyprien ou Tibo InShape (youtubeur fitness) et il partage le même constat. Alors que la concurrence est devenue de plus en plus féroce sur la plateforme, les miniatures, ces images très colorées qui montrent les youtubeurs avec des visages très expressifs, sont devenues essentielles pour attirer l’attention des internautes. « Même les petits youtubeurs ont compris qu’une bonne miniature était importante et payent des graphistes pour en avoir, explique-t-il. L’idée que la création de contenu est un travail d’équipe fait son chemin. Par ailleurs, il y a une certaine facilité d’accès à ce genre de travail grâce à la technologie et à la présence de nombreux tutos YouTube (voir l’encadré). Beaucoup de très jeunes se lancent et peuvent commencer à faire des missions, même s’ils n’ont pas vraiment de cadre. Certains sont à fond pour bosser avec leur youtubeur préféré, mais ils se crament au bout de deux mois parce qu'ils n'arrivent pas à tenir la cadence et ne se font pas assez payer. »

Génération digital (et business) native

Outre les opportunités créées par la mise en réseaux des jeunes, le goût pour l’entrepreneuriat est aussi une question de génération. D’après l’étude 2022 de l’US Global Entrepreneurship Monitor (GEM) du Babson College, 20 % des 18-24 ans ont de fortes intentions entrepreneuriales. Dans un monde de plus en plus incertain, le fait d’avoir son propre business serait une manière de regagner du contrôle et d’assurer ses arrières en cas de difficultés d’insertion dans le monde du travail salarié. La culture des médias sociaux doit aussi être prise en compte. Par l’intermédiaire des discours d’encouragement de ceux qui ont réussi, la génération Z est constamment encouragée à créer du contenu sur YouTube, Twitch et TikTok. C’est pour cette raison que beaucoup des jeunes entrepreneurs sont également des vidéastes et des youtubeurs eux-mêmes. 

« Deux semaines après, j’ai eu un ordinateur, donc j’ai augmenté mes prix »

MFA fait partie de cette cohorte de jeunes qui ont décidé de faire de leur passion un job rémunérateur. Ce graphiste de 18 ans qui vit encore chez ses parents a commencé à créer du contenu sur YouTube dès 15 ans, ce qui lui a permis ensuite de se lancer comme « miniamaker », c’est-à-dire créateur de miniatures. À présent, ce lycéen qui redouble sa terminale « pour faire plaisir à ses parents » gagne bien sa vie avec des revenus qui oscillent entre 1 000 et 2 000 euros par mois. « C’est mon cousin qui m’a dit après le confinement “Tu sais qu’on peut gagner de l’argent avec des miniatures ? ”, raconte-t-il. Le lendemain je me suis lancé sur Twitter. J’ai commencé à contacter des gens et à montrer ce que je savais faire. Le premier logo que j’ai facturé, je l’ai fait sur mon téléphone et il m’a rapporté 1,50 euro. Deux semaines après, j’ai eu un ordinateur, donc j’ai augmenté mes prix. Et puis j’ai un youtubeur à 100 000 abonnés qui m'a contacté, je lui ai fait une miniature et sa vidéo a été classée en tendance YouTube. À partir de là, ça a bien fonctionné pour moi. » 

Pour démarcher de nouveaux clients, MFA n’hésite pas à « refaire » les miniatures déjà publiées de youtubeurs. Cette pratique, extrêmement populaire sur X, lui a permis d’approcher les vidéastes Amin & Hugo, spécialisés en première écoute de rap. « Je savais qu’ils cherchaient un graphiste, mais ils ne répondaient pas en message privé. Du coup, je leur ai envoyé leurs miniatures revisitées et ils m’ont identifié. Depuis, ça a explosé. » À présent, le graphiste facture entre 25 et 35 euros l’image tout en travaillant sur des pochettes d’album pour ses amis DJ. Des tarifs considérés comme élevés parmi les petits et moyens vidéastes, mais qui restent très bas par rapport aux prix pratiqués par Julien Egea, qui n'a qu'une année d'expérience dans ce milieu (mais beaucoup plus dans le graphisme). « Je demande autour de 200 euros l'image, indique-t-il. Ça dépend du travail, du nombre d'allers et retours, et sur des délais courts, ça peut monter à 400. » Julien sait justifier ses prix.   « Beaucoup de youtubeurs sont étonnés quand j'annonce mes tarifs. Je leur explique qu'ils n'ont pas le même niveau de détails et de qualité, et surtout, ils ont accès à une expertise et à un cadre professionnel qui va durer dans le temps. Par ailleurs, les gros youtubeurs ont conscience qu'une bonne miniature, c'est 10 % du travail, mais 70 % de la réussite d'une vidéo. » 

Si le marché de la miniature reste relativement ouvert et se joue sur Twitter, celui du montage vidéo est quelque peu différent. Beaucoup de streameurs recrutent parmi leur communauté directement depuis leurs serveurs Discord. De plus, la nature du travail, qui oblige à effectuer des sélections de rushs sur plusieurs heures de lives et de les monter selon une certaine ligne éditoriale, fait que beaucoup de créateurs organisent des « pôles vidéo » au sein desquels plusieurs monteurs peuvent se diviser le travail. C'est comme ça qu'a commencé Lethar, 20 ans, un monteur qui travaille principalement pour les streameurs Dany et Raz, spécialisés dans le format réac et dans la conversation politique. En année de césure après un magistère en journalisme et communication, le jeune homme a décidé d'investir son temps sur le Web pour y faire son trou. « C'était une idée un peu débile, mais j'ai toujours cru que YouTube et Twitch sont les médias de l'avenir et j'avais envie d'y aller. En attendant de pouvoir faire du journalisme sur YouTube, je me suis lancé dans une activité de coaching pour joueurs de League of Legends, puis j'ai vu que Dany et Raz, que je regardais régulièrement, cherchaient des monteurs vidéo. J'avais appris quelques trucs durant mes cours et j'avais aussi déjà monté des vidéos de « machinima » (vidéo faite à partir d'extraits de jeux vidéo) quand j'avais 11 ans. Du coup, j'ai proposé de travailler pour eux. Au départ, on était trois ou quatre dans le pôle vidéo, et on était payés en autoentrepreneur 100 euros le montage. Ça s'est arrêté au bout de quelques mois parce qu'il n'y avait plus d'argent. »

On est dans une relation interdépendante et très horizontale

Lethar va persévérer en travaillant comme monteur pour le streameur Crocodyle, spécialisé sur le jeu vidéo. « On était deux monteurs et un manager et on était payés sur les revenus de la chaîne YouTube. Je prenais 40 % des revenus mensuels, l'autre, plus expérimenté, prenait 45 %. Le reste était pour le manager. De son côté, Crocodyle gardait l'argent des partenariats publicitaires. Le premier mois, il y a 1 400 euros qui sont tombés avec juste quatre vidéos montées, soit quatre jours de travail. Mais après ça, ça s'est très vite calmé, car Crocodyle a changé son contenu, et, comme la chaîne était suivie par des fans de League of Legends, son audience a été divisée par 3 ou 4. Donc, on a rapidement été virés. » Quelques semaines après, l'activité de montage redémarre chez Dany et Raz, et Lethar est le seul à être disponible pour reprendre le flambeau. Cette fois-ci, il est payé 500 euros par mois minimum, et plus si la chaîne YouTube génère une somme supérieure. Si son activité de monteur lui permet aujourd'hui de gagner sa vie au point de pouvoir payer son premier loyer, il ne considère pas pour autant son travail comme un « emploi » au sens classique du terme. « On est dans une relation interdépendante et très horizontale, explique-t-il. Je dépends d’eux pour gagner de quoi vivre et en même temps sans moi, ils n’ont pas de chaîne YouTube, ce qui est un gros vecteur d'audience. Ils ne surveillent pas mon travail, et gardent juste la main sur l'éditorial. Au fur et à mesure, on est devenus amis et je me rends compte que c’est exceptionnel de développer ce genre de relation. Les ambiances sont très différentes dans les boîtes comme celle d’Hugo Décrypte où là on a affaire à une véritable rédaction bien plus organisée. »  

Cette enquête est parue dans la revue 34 de L'ADN - Où sont les travailleurs ? - Ils ne veulent plus travailler comme avant - en vente dans votre librairie préférée et en ligne en cliquant ici.

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