peau connectée

La peau serait-elle le nouvel écran tactile ?

Demain, la peau sera un organe connecté : elle pourra émettre des informations et en recevoir. Plus besoin de smartphone (*mobile multifonction*) ! Grâce aux patchs et autres tatouages intelligents, notre enveloppe corporelle va se transformer en surface interactive.

La peau est une surface interactive

On pense autant avec sa peau qu’avec son cerveau. En effet, l’épiderme a la même origine embryonnaire que le cerveau et les deux organes partagent des centaines de récepteurs en commun. Ils sont même complètement liés puisqu’ils interprètent les signaux de la même façon : ma peau sait autant que mon cerveau quand je ressens une émotion. Parfois, elle pense même avant lui. Elle peut « traiter de l’information à son niveau, de manière autonome » explique Thomas Landrain, biologiste fondateur du laboratoire Just One Giant Lab

La peau possède en effet des propriétés particulières qui lui confèrent une intelligence à part : sa texture varie tout comme sa couleur et sa température et elle se transforme et se renouvelle de manière cyclique. Organe à part entière, elle est la première, et la plus vaste, interface entre l’homme et son environnement. C’est elle qui reçoit, régule et enregistre tous les messages extérieurs. La peau est donc interactive par essence; c’est précisément la raison pour laquelle les scientifiques pensent que demain, elle sera notre seul intermédiaire, l'interface unique.

Surveiller sa santé en temps réel

Le monde médical s’y intéresse déjà de près. A l’université de Tokyo, un groupe de chercheurs dirigé par le Professeur Takao Someya a réussi à créer un patch équipé d’un capteur très performant qui s’apparente à un tatouage temporaire. Il est en mesure de repérer les signaux électriques du corps, de mesurer sa température ainsi que la pression des artères (source : Nature). Interrogé dans les colonnes du New York Times, le Pr Someya se révèle très satisfait du résultat. D’après lui, son équipe est parvenue à « supprimer absolument toutes les sensations d’inconfort (…) les porteurs ne sentent même pas la présence du capteur sur leur peau. » Discrets, ces tatouages permettent d’avoir une mesure en temps réel du fonctionnement de notre organisme.
Les applications possibles dans le domaine médical sont nombreuses, mais celle qui retient le plus l’attention est certainement la mesure de la glycémie, notamment pour les personnes atteintes de diabète. Ces patchs sont en plus autonomes car ils se rechargent avec la chaleur du corps.

Au MIT Media Lab, une équipe qui prône l’open source et la maîtrise des usagers sur les objets connectés essaye déjà de les démocratiser. Le projet DuoSkin reprend l’idée de bijou de peau et l’associe à un processus de fabrication low cost : il suffit de concevoir son design et de l’imprimer sur une feuille d’or ou tout autre matériau conducteur. Les tatouages se transforment ensuite en interfaces tactiles.

Dans la même veine, des chercheurs de l’Université de Saarland (Allemagne) ont mis au point le projet SkinMarks. Ils ont développé en laboratoire des composants électroniques tactiles, façon décalcomanie qui, une fois collés à l’épiderme, se transforment en trackpad (surface de contact tactile). Ces surfaces sont reliées à un ordinateur, il est donc possible de contrôler sa souris ou d’exécuter des tâches en effleurant directement le patch, c'est à dire sa peau.
SkinMarks

Le stade tactile de l’intelligence

« Qui voudrait d’un stylet ? Vous devez le retrouver à chaque fois, puis le ranger et vous finirez de toute façon par le perdre » prophétisait Steve Jobs dans l’une de ses allocutions.

Aujourd’hui force est de constater que l’on effleure nos téléphones et nos tablettes plus qu’on ne les touche. Notre mode de relation aux technologies est très organique, principalement centré sur le toucher (et désormais également la voix). Pour Antoine Berr, designer industriel et fondateur de la start-up LaCoolCo :   « depuis leurs débuts, les interfaces homme-machine essayent de copier le corps et ses fonctionnalités. Aujourd’hui on diminue de plus en plus l’épaisseur de ce qui nous sépare avec la machine et l’écran de silicium reste une frontière. » Ce qu’offrent ces recherches sur la peau comme nouvelle interface, c’est la perspective d’une désintermédiation totale. L’ambition est, à terme, de se débarrasser complètement des objets.

L’évolution des technologies « redéfinit le rapport que l’on entretient avec notre corps, et ouvre des possibilités infinies sur notre mode de relation aux objets » poursuit Antoine Berr. Pour ce qui est de la peau, elle pourrait être à la fois surface tactile, écran et espace de stockage de données. Fini les badges aux entrées de festival, un simple tatouage de peau pourrait faire office de pass. Adieu la carte de crédit ou le mobile : scannez un code porté à même la peau et la transaction sera opérante.

Les applications sont multiples, et transversales. D’autant que ces patchs et tatouages temporaires permettent aux usagers de conserver le contrôle, ils sont « relativement low cost, faciles à appliquer, faciles à retirer et bien moins invasifs que les puces sous-cutanées » explique Thomas Landrain.

Finalement ces expérimentations permettent d'atteindre le prochain stade de l’informatique ubiquitaire : un monde où Homo Numericus est à la fois le support et l’objet des développement technologiques. En 2013, le chercheur Olivier Ertzscheid évoquait déjà la transition d'un World Wide Web à un World Wide Wear pour qualifier l'évolution vers un "corps-interface". Une évolution souhaitable pour certain·e·s, nuisible pour d'autres, qui laisse présager des affrontements quant aux évolutions futures de ces technologies numériques et quant à l'avènement d'une "humanité cyborg".

Il faudrait déjà pouvoir réparer les hommes avant de les augmenter !

Thomas Landrain

3 questions à Thomas Landrain

Biologiste entrepreneur, spécialiste de la biologie synthétique et defenseur de l’Open Science, co-Fondateur du laboratoire ouvert Just One Giant Lab (Paris-Boston), co-fondateur du laboratoire La Paillasse et de la startup de biotechnologie PILI.

(CC) Martin Malthe Borch

Vous expliquez que la peau a des propriétés similaires à celles du cerveau. 

Thomas Landrain : Comme le cerveau, la peau contient des neurones, elle a en quelque sorte son propre système neuronal qui lui permet de réaliser des opérations de manière autonome et d’envoyer au cerveau des paquets d’information déjà pré-traitées, ou même de créer ses propres réponses appropriées sans l’aval du système nerveux central.

On peut remarquer aussi que la peau partage même avec le cerveau une importante filiation embryonnaire via l’ectoderme, le feuillet embryonnaire responsable de la protection et de la sensibilité.

Est-il dès lors possible de penser avec son épiderme ?

T. L. : Non, là on sacrifierait quelque chose. Il ne suffit pas de quelques dizaines de neurones pour penser. La peau peut en revanche réaliser des opérations autonomes. Ici, on peut rentrer dans l’analogie entre la machine et l’homme : les neurones font des opérations au même titre que les transistors. Mais il y a des niveaux de complexité au sein du cerveau que la peau ne peut pas reproduire. Par exemple, je ne suis pas sûr qu’on puisse dire que la peau a sa propre conscience. Mais ça peut être un débat, probablement plus philosophique que scientifique d’ailleurs.

Pensez-vous que les développements scientifiques en cours, et les perspectives qu’ils offrent, ont à voir avec  l’idéal d’un homme  « augmenté » cher à certains scientifiques ou philosophes ?

T. L. : À mon sens, on est très loin de pouvoir parler d’un quelconque « homme augmenté ». Il faudrait déjà pouvoir réparer les hommes avant de les augmenter ! J’estime que souvent, il y a un espoir trop grand placé dans la technologie : on n’est pas encore prêt à pouvoir dépasser   « l’humain moyen organique ». Cet idéal est irréaliste et nous dessert. Je trouve que c’est une pensée dangereuse, motivée par des arguments faciles et qui ne considèrent pas les usages inclusifs de la technologie. D’après moi, une technologie est inclusive dès lors qu’elle peut profiter au plus grand nombre. Il faut penser à cela quand on les développe : une technologie très efficace aura moins d’impact positif sur l’avenir de l’humanité si elle ne profite qu’à un petit nombre. À l’inverse, elle aura plus d’impact si elle est seulement 20% moins efficace, mais pour le coup 10 fois moins chère ! Mais cela ne depend moins d’une vision pro-technologique propre aux singularistes que d’une vision pro-humaniste.

Nastasia Hadjadji

Journaliste, Nastasia Hadjadji a débuté sa carrière comme pigiste pour la télévision et le web et couvre aujourd'hui les sujets en lien avec la nouvelle économie digitale et l'actualité des idées. Elle est diplômée de Sciences Po Bordeaux.
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