La presse américaine s'interroge sur les traces numériques laissées par les femmes qui prévoient un avortement. Et la manière dont ces données pourraient se retourner contre elles dans les États où l’IVG pourrait être interdite.
Comment avorte-t-on à l’ère de la surveillance, se demande le média Gizmodo ? La question devient urgente pour des millions d’américaines vivant dans la vingtaine d’États où l’avortement pourrait devenir interdit, selon le brouillon d’une décision de la Cour suprême révélé par Politico le 2 mai.
Gizmodo donne donc quelques instructions (réinitialiser son téléphone, utiliser des messageries chiffrées…) pour éviter de voir son projet d’avortement tracé par les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les applis de santé. Car comme le rappelle le média américain, ces services ne sont pas tenus de respecter la Health Insurance Portability and Accountability Act (HIPAA), la loi garantissant la protection des données médicales aux États-Unis. Et les données qu’elles collectent peuvent donc être partagées, notamment à des data brokers, ces entreprises qui achètent, collectent, agrègent et revendent des données.
Publicité ciblée anti-avortement
Le média rappelle que le sujet n’est pas si nouveau. En 2015 un groupe d’activistes pro-life avait fait appel à une société publicitaire, Copley Advertising, pour placer des barrières numériques autour de cliniques spécialistes des avortements et plannings familiaux. Lorsqu’une personne entrait dans ces lieux, les barrières captaient le signal GPS ou bluetooth de son smartphone. De quoi permettre à Copley Advertising d’abreuver la personne en question de publicité proposant des alternatives à l’avortement comme l’adoption pendant plusieurs semaines, dans l’objectif de les en dissuader.
Le Washington Post, qui s’est aussi intéressé à cette question de la surveillance numérique, se demande dans quelle mesure les données laissées par les femmes souhaitant avorter peuvent être utilisées contre elles dans un tribunal. Les géants du numérique seraient en tout cas régulièrement sollicités par les juges pour obtenir des données concernant tous types d’affaires. Google aurait ainsi reçu plus de 40 000 citations à comparaître et mandats de perquisition aux États-Unis au cours du premier semestre 2021.
Il est par ailleurs difficile de savoir à quel point les lois anti-avortement seront restrictives. Le simple fait de se renseigner sur internet pourrait être passible d’emprisonnement dans certains États, estime Alan Butler, directeur de l’association de défense des droits numériques Electronic Frontier Foundation, interrogé par le Washington Post.
Reddit Aunties
Face à ces menaces d'interdiction, les citoyens s’organisent déjà en ligne via des réseaux souterrains. Sur Reddit, notamment, où le groupe r/auntienetwork propose de l’aide aux femmes souhaitant avorter. Les services proposés vont d’une nuit chez un habitant vivant à côté d’un planning familial à la dissimulation de la raison de votre voyage dans un autre État en prenant des photos de vous devant des lieux touristiques. Le groupe créé en 2019 a pris de l’ampleur lorsque le Texas a interdit l’avortement au-delà de 6 semaines de grossesse en septembre 2021, et son nombre d’abonnés (plus de 65 000) connaît un nouveau pic depuis les révélations de Politico.
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