La vérification de l’âge des internautes devient un casse-tête technologique et éthique pour les réseaux sociaux, qui auront en France l’obligation de le vérifier efficacement. La startup Yoti propose d’analyser via l'intelligence artificielle les traits du visage d’une personne.
Prends un selfie et je te dirai ton âge… Sur Instagram comme sur le réseau social Yubo, les utilisateurs doivent depuis quelques mois montrer leur visage avant de pouvoir s’inscrire. Un moyen de vérifier leur âge, car les deux réseaux sociaux sont interdits aux moins de 13 ans – en théorie. En pratique, ils sont bien là. Selon une étude de l'agence Heaven datant de 2022, 87 % des enfants de 11 et 12 ans avouent utiliser régulièrement au moins un réseau social – 10 points de plus qu’il y a deux ans.
Comment fonctionne cette technologie ?
Concrètement, il s’agit d’un algorithme d'intelligence artificielle, développé par la société britannique Yoti, qui analyse les traits du visage d’une personne et évalue ainsi son âge. L’entreprise assure ne pas collecter de données biométriques. Elle n’enregistre pas la photo, ni ne reconnaît l’individu. « Le visage est déconstruit en petites parties pour identifier des signes de vieillissement que l’on retrouve d’une personne à l’autre », expliquait Florian Chevoppe-Verdier, en charge de la politique publique chez Yoti, lors du FIC, congrès international de la cybersécurité qui a eu lieu du 4 au 6 avril 2023 à Lille. Yoti argue que sa solution permet d'éviter d'avoir à vérifier la carte d'identité de l'utilisateur, ou d'enregistrer un numéro de carte bancaire, c'est-à-dire d'avoir à gérer des données sensibles. Voire de se passer de dates de naissance. Mais Yubo, qui utilise la technologie de Yoti, continue malgré tout de la demander.
La technologie de Yoti est déployée en ligne donc, mais aussi off line dans des chaînes de supermarchés britanniques (pour acheter de l’alcool), et aussi en test dans quelques bureaux de tabac en France pour la Française des jeux.
Une amende en cas de non-vérification de l’âge
Elle pourrait être utilisée plus massivement sur le Web. Début mars, l’Assemblée Nationale a voté en faveur d’une loi obligeant les réseaux sociaux à « mettre en place une solution technique de vérification de l’âge des utilisateurs finaux » et à obtenir une autorisation parentale pour les moins de 15 ans. En cas de manquement, une sanction est prévue, avec une amende allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
L’accès aux sites pornographiques devrait, lui aussi, être davantage contrôlé pour les mineurs. En février, le gouvernement a annoncé qu’un dispositif technique pour contrôler l’âge des utilisateurs serait mis en place dès septembre 2023. A priori, Yoti ne fera pas partie de la solution. Le gouvernement compte mettre en place une technique dite de double anonymat : l'âge de l'utilisateur est vérifié par un tiers de confiance via une appli. Ce tiers de confiance ne sait pas pour quelle utilisation on vérifie l'âge de la personne, et en bout de chaîne le site ne connaît pas l'identité de la personne.
L'âge des filles moins bien évaluées que celui des garçons
Le problème avec l'analyse du visage, c'est que la technique peut sembler intrusive et n'est pas infaillible. Dans un rapport datant de mars 2023, Yoti estime que sa technologie parvient à reconnaître les enfants entre 6 et 11 ans comme ayant moins de 13 ans dans 98,35 % des cas. Mais dans le détail, les chiffres de Yoti montrent que certains biais persistent. De manière générale, l’algorithme fait légèrement plus d’erreurs sur les filles que sur les garçons, et sur les personnes noires que sur les personnes blanches. Les femmes âgées entre 25 et 70 ans avec une peau noire sont la catégorie la moins bien évaluée par le système, avec une marge d’erreur de plus de 4 ans. Avant 18 ans, la marge d’erreurs moyennes, toutes catégories de personnes confondues, est de 1,5 an. La startup a toutefois amélioré ces statistiques au cours des années.
Quid si la personne modifie son apparence ou utilise une photo ou une vidéo ? Florian Chevoppe-Verdier affirme que l’IA parvient à reconnaître qu’il s’agit bien d’une vraie personne, en lui demandant de se déplacer et de bouger légèrement. Nous avons aussi testé le modèle sur des personnes très bien maquillées par des professionnels et cela fonctionnait, avance-t-il.
« La difficulté c’est de trouver suffisamment d’images pour entraîner nos modèles. Car il faut notamment des photos de mineurs et, pour cela, il faut l’accord des parents. » La startup veut absolument éviter un scandale à la Clearview. Cette entreprise de reconnaissance faciale a été sanctionnée par la CNIL fin 2022 à payer une amende de 20 millions d'euros. Clearview s’est approprié des milliards d’images à travers le monde, sans autorisation des concernés, afin d’entraîner ces algorithmes. La société, qui continue d’exercer aux États-Unis, est notamment utilisée par les policiers pour identifier de potentiels suspects.
D’où viennent les images ?
Yoti affirme que ces modèles ont été entraînés sur des millions d’images. « Nous avons par exemple mené un partenariat avec une école en Afrique du Sud qui encadrait l'opération, avec l’accord des parents », explique à L’ADN Florian Chevoppe-Verdier.
En cas de doute après le scan de Yoti, il est toujours possible de demander une seconde preuve (numéro de carte bancaire, carte d’identité) – mais on en revient au problème, évoqué plus haut, de gestion de données personnelles très sensibles.
Même si Yoti dit mettre l’accent sur la vie privée des internautes, le geste en lui-même – scanner son visage – peut poser problème à certaines personnes, notamment pour accéder à un site où l’on n’a pas l’habitude de s’exposer.
D’autres solutions sont envisagées pour vérifier l’âge des internautes. « Il est possible de passer par la blockchain, afin de vérifier l’identité d’une personne, via un registre tenu par une mairie par exemple, sans pour autant collecter des données relatives à l’identité », estime Hicham Bouali, directeur avant-ventes EMEA de One Identity, qui travaille aussi sur ce type de solution. Dans un passage en revue publiée en juillet 2022, la CNIL estimait que les dispositifs disponibles pour vérifier l'âge des mineurs, ne sont jamais parfaitement efficaces et des contournements sont possibles. Mais l'organisme insiste sur une chose : trouver un équilibre entre protection des données et protection des mineurs.
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