Victor Perez Rul porte une boussole North Sense sur son torse

Qui sont ces gens qui se font greffer des boussoles ?

© Rafa Ramirez Cyborg Nest

Des apprentis cyborgs expérimentent le « sens du nord » grâce au « North Sense », une boussole vibrante fixée sur leur poitrine. Ils racontent leur expérience, entre transhumanisme et infection.

Devenir un cyborg n’est pas si futuriste. Des sociétés comme la start-up londonienne Cyborg Nest commencent à commercialiser des technologies censées augmenter les sens. Nous avons rencontré quelques-uns des premiers testeurs.

Depuis un an et demi, l’artiste mexicain Victor Pérez-Rul arbore sur son large torse un drôle d’objet : un petit boîtier en silicone de la taille d’une grosse carte SIM. Deux fines barres de métal à bouts ronds percent son sternum, et, à chaque fois que Victor Pérez-Rul se dirige vers le nord, l’objet se met à vibrer. Légèrement. « C’est une sorte de chatouillement », décrit cet homme de 36 ans, longue barbe, longs cheveux bruns, très bruns. « Parfois, je l’entends plus que je ne le sens. »

Pourquoi acquérir un nouveau sens ?

Grâce à cet implant-boussole baptisé « North Sense » et commercialisé par Cyborg Nest (il est aujourd'hui en rupture de stock), Victor se considère comme doté d’un sixième sens.

« Je voulais appréhender le monde différemment, être traversé par de nouvelles énergies », justifie-t-il. Cette expérience fait partie de ses recherches artistiques, toutes très bio-inspirées. Les quelque 250 clients de Cyborg Nest ne sont pas tous artistes. « Ils ont des profils très variés. Ils sont âgés de 18 à 67 ans. Ils sont avocats, ingénieurs, dirigeants d’entreprises, musiciens… », énumère Liviu Babitz, cofondateur de la jeune pousse. « Généralement, c’est la curiosité qui les pousse à acquérir un North Sense. »

Le projet de Liviu Babitz est plus ambitieux que de nourrir la seule curiosité de ses clients. « Les sens sont à l’origine de tout ce que l’Homme a créé, avance-t-il. L’ouïe nous a permis de développer la musique, la vue, la photographie, le goût, la cuisine… Acquérir un nouveau sens, comme ressentir le nord, pourrait à terme nous permettre de développer de nouvelles capacités, de nouvelles formes d’arts et de nouveaux outils », estime-t-il. Certains de ses clients auraient par exemple développé une « vision radar » qui leur permet de savoir où se trouvent les bâtiments qu’ils connaissent, et ce peu importe où ils se trouvent.

Évidemment, depuis plus de deux ans, Liviu Babitz porte lui-même un North Sense. Il estime que son cerveau l’a désormais intégré. « Quand je marche dans la rue et que je fais face au nord, si je parle avec mon fils, je ne sens plus le capteur vibrer. C’est comme si mon cerveau filtrait l’information. Comme lorsque vous êtes dans un endroit bruyant et que vous filtrez le bruit de fond pour n’écouter que la personne à côté de vous. »

Startuppeur et transhumaniste

Mais avant d’en arriver là, il faut passer par quelques moments douloureux. Devenir un cyborg n’est pas de tout repos. Michael Kazarnowicz, Suédois de 41 ans, peut en témoigner. Il a acheté un North Sense après avoir lu une publication sur Facebook. Startuppeur et transhumaniste convaincu, pour lui c’est sûr, un jour ou l’autre, nous nous hybriderons avec la technologie. Il brûle d’impatience de voir arriver Neuralink, l’interface cerveau-machine annoncée par l’entrepreneur californien Elon Musk. En attendant, Michael est déjà équipé d’un aimant dans le doigt pour ressentir les champs électromagnétiques, et d’une puce NFC dans la main.

 

Se faire poser le North Sense était donc quasi naturel pour lui. Mais son expérience s’est avérée plus compliquée qu’espéré. Après une installation « très douloureuse », Michael a dû attendre que ses plaies cicatrisent. Douze semaines maximum, indique Cyborg Nest, un an, selon son « perceur ». Et, malgré des soins quotidiens, cela s’est infecté et a mis plusieurs mois à guérir. « Ma peau avait comme avalé le piercing », explique-t-il. Une fois soigné, enfin, Michael a pu installer le capteur. Et son calvaire a continué. « Il m’a fallu 45 minutes pour le calibrer », explique-t-il. Un processus qui nécessite de connecter le North Sense à une application Smartphone, puis de tourner sur soi-même plusieurs fois pour que le capteur s’adapte à la position du corps. « Une fois calibré, il fonctionnait seulement par intermittence », raconte le Suédois qui, de guerre lasse, a fini par abandonner son North Sense. La technologie n’est pas suffisamment avancée, selon lui. « C’était assez agaçant lorsqu’il vibrait. Mais ça, je m’y attendais. Il faut au moins une semaine ou deux pour que le cerveau convertisse le signal « bruit énervant » en « c’est une information ». Et de conclure : « Ce n’est même pas une version alpha. »

Clairement, le North Sense nécessite surtout que ses porteurs s’ajustent à lui, au quotidien. Par exemple, impossible de porter une ceinture de sécurité lorsque l’appareil est en place, note Michael. Victor Pérez-Rul, l’artiste mexicain, a, lui aussi, dû faire quelques arrangements « subtils mais significatifs ». Le trentenaire ne porte désormais que des chemises ouvertes. Pas pour montrer l’appareil, assure-t-il, mais parce qu’il trouve désagréable la sensation du tissu sur le capteur. Il a aussi dû réorienter son bureau. Placé face au nord, la vibration permanente le gênait. On imagine.

Problèmes techniques et infection

Problèmes techniques, infection, ajustements…, c’est aussi ce qu’a vécu Cyrus North, youtubeur français qui raconte son expérience du North Sense dans trois vidéos. Il a fini par se débarrasser du capteur au bout de quelques mois.

Bien qu’écourtée, son expérience a tout de même nourri sa réflexion. Dans l’une de ses vidéos, il raconte les premières heures qui ont suivi l’installation de son North Sense. Il pense alors marcher plein ouest, mais arrivé à destination, le capteur se met à vibrer. « Je regarde la boussole sur mon Smartphone et, effectivement, le nord est droit devant moi. Ce qui veut dire que je n’ai pas marché tout droit mais que j’ai fait une petite courbe. C’est un premier cas de conflit entre ce que je pense et ce que m’indique le capteur. C’est intéressant, et je pense que petit à petit mon corps va de plus en plus faire confiance au capteur », estime Cyrus.

Pour le vidéaste, North Sense n’a pas de réelle utilité mais le capteur apporte tout de même « une information sensorielle en plus. » « Quand vous vous rappelez votre soirée de Noël, vous vous souvenez des gens, des sons, des odeurs… Avec le North Sense, vous vous souvenez aussi de l’orientation de la pièce où vous étiez. »

Expérience sociale

Mais ce que Liviu Babitz, Cyrus North et Victor Pérez-Rul retiennent avant tout, c’est la dimension sociale de cette expérience. Cyrus North dit avoir été surpris par le rejet exprimé par son entourage et par certains internautes qui suivent sa chaîne. Victor Pérez-Rul se montre plus philosophe : « Cela provoque des conversations sur les nouvelles technologies et le devenir de l’humanité. Beaucoup estiment que les technologies ne sont pas naturelles, d’autres pensent que, au contraire, elles sont caractéristiques de l’espèce humaine. »

Nous ne serions donc pas tous prêts à nous faire percer la poitrine et à endurer une infection pour vibrer face au nord. Mais le futur n’appartient-il pas à ceux qui accepteront de s’hybrider aux technologies pour acquérir de nouveaux sens ? Quoi qu’il en soit, ces apprentis cyborgs se considèrent comme des pionniers. Cyrus North se compare aux premiers acheteurs de téléphones portables. « Être à l’avant-garde de l’humanité, c’est ça qui me fait vibrer », conclut-il. Malgré les complications, Victor Pérez-Rul a décidé de garder son North Sense. « Je me suis engagé. Mon expérimentation peut permettre à ce type de technologies de s’améliorer », explique-t-il.

Et Cyborg Nest ne compte pas s’arrêter là. Dans quelques mois, Liviu Babitz et son équipe dévoileront un nouveau dispositif. À vous de voir si vous souhaitez vous le faire greffer…

Cet article est paru dans la revue 19 de L'ADN consacrée au cerveau. Pour vous procurer ce numéro, il suffit de cliquer ici


Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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commentaires

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  1. Avatar Sylvain dit :

    Pourquoi se faire greffer un boussole alors qu'on peut simplement la coller sur la peau ?

  2. Avatar L dit :

    La phrase sur la soirée de Noël m'a quand même bien fait rire, j'imagine clairement le mec dire "Ouais c'était sympa, on était clairement à l'ouest 'fin j'veux dire au sens réel du terme et tu vois bah j'aurai plus vu le sapin à l'est pour l'harmonie du feng shui, mais c'tait cool"

  3. Avatar Anonyme dit :

    C'est incroyable de constater que nous somme arrivé à un stade où les gens ont besoin d'une boussole pour désigner le nord… le soleil suffit !

  4. Avatar Yuropp dit :

    Et pour ceux qui s'obstinent à de pas aller vers le nord, le machin envoie une impulsion sous 25 kV. Ah mais ! Bien fait pour eux, fallait obéir, bande de gaulois indisciplinés !

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