
Après avoir mené des levées de fonds records et fréquentes, le géant de l’intelligence artificielle, qui perd aujourd'hui deux dollars pour chaque dollar gagné, est attendu au tournant.
2 000 milliards de dollars : c’est en substance l’argent que va coûter le développement de l’IA sur les cinq prochaines années, si l’on prend en compte les investissements en capital-risque, la fabrication de data centers et l’électricité nécessaire pour concrétiser ce que les prophètes de la tech appellent de leurs vœux : l’intelligence artificielle générale. Outre un appétit féroce pour les données protégées par copyright, les entreprises du secteur de l’IA, et notamment son champion ChatGPT, semblent aussi être des ogres dévoreurs d’argent. Or, cette surenchère d’investissements commence à inquiéter.
Les 7 fantastiques dont dépendent les États-Unis
Pour comprendre pourquoi le secteur de l’IA n’est pas ultra-serein, il faut d’abord comprendre le rôle qu’il joue dans l’économie américaine. On sait depuis 2024 que la croissance du S&P 500 – l’indice boursier basé sur les 500 grandes sociétés américaines cotées, représentant 80 % du marché boursier du pays – est tirée par les « 7 fantastiques » . Derrière ce titre glorieux se trouvent toutes les grandes boîtes de la Silicon Valley : les habituels GAFAM (Google, Amazon, Facebook (Meta), Apple et Microsoft), mais aussi Nvidia et Tesla. Ces entreprises sont tellement grosses et influentes sur le marché que la moindre fluctuation, comme les chutes récentes de Tesla et de Nvidia, rend la Bourse américaine assez fragile. Il faut aussi noter que cet indice a gonflé de 20 % ces deux dernières années, surtout grâce à l’arrivée des LLM et des IA génératives. Comme l’indique le journaliste et écrivain spécialiste de la tech Ed Zitron, l’IA est en quelque sorte le cheval de tête sur lequel tout le monde parie pour aller chercher de la croissance, après avoir échoué avec la blockchain, les cryptos, le métavers et les NFT. Par conséquent, si l’IA ne va pas bien, l’économie américaine ne va pas bien non plus.
Brûleur de dollars
C’est ici qu’entre en jeu OpenAI, qui s’est fixé pour mission de nous donner accès à l’intelligence artificielle générale. Pour rappel, les IAG, comme on les appelle, sont des modèles qui pourraient, en théorie, effectuer ou apprendre pratiquement n'importe quelle tâche cognitive propre aux humains ou autres animaux. L’usage de l’expression « en théorie » est ici important, car pour le moment, rien n’indique qu’une telle machine puisse réellement exister dans les décennies à venir. Son avènement est toutefois jugé comme primordial pour les pontes de l’IA, comme Sam Altman, qui s’inscrivent dans le courant du « long-termisme » . D’après eux, seule une IAG est capable de régler les défis environnementaux et médicaux auxquels fait face l’humanité.
En attendant l’avènement d’une IA qui puisse guérir le cancer ou résoudre le dérèglement climatique, OpenAI brûle un « pognon de dingue ». L’entreprise a bouclé en octobre dernier une levée de fonds record de 6,6 milliards de dollars, portant sa valorisation à 157 milliards de dollars. Cet investissement vient s’ajouter aux 10 milliards de dollars que l’entreprise avait déjà levés auprès de Microsoft en 2023. Mais ça ne s’arrête pas là : OpenAI est en pourparlers avec SoftBank pour un nouveau tour de table de 40 milliards de dollars, ce qui pourrait valoriser l’entreprise à plus de 340 milliards de dollars.
De manière plus globale, les fonds de capital-risque ont énormément investi dans cette technologie, à hauteur de 200 milliards de dollars entre 2021 et 2024, d'après The American Prospect. Selon une étude de Goldman Sachs, les géants du cloud computing devraient investir plus de 1 000 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années dans les processeurs graphiques (GPU) et dans la construction de centres de données pour alimenter l'IA générative.
« Ça va marcher, je vous le jure »
Tout pourrait bien se passer si OpenAI était un peu plus à l’équilibre. Mais pour le moment, l’entreprise perd littéralement deux dollars pour chaque dollar gagné. Alors que ses coûts vont décupler d’ici cinq ans, OpenAI prévoit un seuil de rentabilité à 100 milliards de dollars, ce qui va l’obliger à multiplier son chiffre d’affaires par 25 en quelques années. L’objectif paraît peu réaliste, et pourtant, Sam Altman fait tout pour le rendre crédible. Ce dernier prévoit un triplement de ses revenus en 2025, avec 12,7 milliards de dollars, et a annoncé aujourd’hui que la sortie de son nouveau générateur d’images a ramené un million de nouveaux inscrits en l’espace d’une heure. Est-ce pour autant suffisant pour assurer une rentabilité ? Si l’usage payant de l’IA attire de nombreux utilisateurs, OpenAI compte surtout sur les professionnels, à qui il propose des abonnements à 20 dollars mensuels. Pour attirer le chaland, le patron n’hésite d’ailleurs pas à promouvoir les tiny teams, ces start-up composées de très peu de personnel, boostées à l’IA, et qui engrangent des bénéfices records en réinventant de vieux outils comme PowerPoint.
Si Sam Altman fanfaronne autant, c’est qu’il sait que la Chine et son fameux modèle DeepSeek l’attendent au tournant. Sorti en janvier 2025, le modèle R1 permettrait de surpasser le meilleur modèle de ChatGPT avec un budget de 5,57 millions de dollars – soit une fraction de ce qu’a coûté l’entraînement des IA américaines. Même si de gros doutes subsistent sur les méthodes d’entraînement et le coût réel du modèle chinois, l’annonce de sa sortie a largement secoué le marché américain et pourrait bien donner l’impression que les fonds d’investissement gaspillent de l’argent. Dans un contexte économique plutôt instable et inquiétant, notamment face à la guerre commerciale de Donald Trump, il se pourrait bien que la bulle de l’IA éclate. Et contrairement à la bulle Internet des années 2000, ce krach pourrait avoir des conséquences bien plus graves sur le reste de l’économie mondiale.
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