
Pour optimiser les parcours de FIV, des algorithmes d’intelligence artificielle sont employés par les laboratoires de biologie de la reproduction.
Dans le laboratoire marseillais qu’il pilote, Philippe Terriou, médecin biologiste spécialisé en assistance médicale à la procréation, a testé plusieurs algorithmes d’IA lors de processus de fécondation in vitro (FIV). « Nous utilisons maintenant des incubateurs d’embryons dotés de caméras qui filment, via un système time-lapse, le développement de l’embryon. Ces appareils sont équipés d’algorithmes de type deep learning : à partir de dizaines de milliers de clichés enregistrés, l’appareil apprend à attribuer un score aux embryons. Cette fonction lui permet de sélectionner celui qui a la meilleure cinétique et qui sera donc davantage susceptible d’aboutir à une grossesse. »
Des résultats minimes
Le recours à ces algorithmes n’est plus une exception. Les douze laboratoires de FIV Biogroup installés en France – dont celui de Philippe Terriou à Marseille – en sont tous équipés. Début novembre 2024, le sujet était abordé au Congrès mondial sur la FIV de Marrakech, colloque international réunissant les pontes de la médecine de la reproduction. Samir Hamamah, professeur en médecine au CHU de Montpellier et président de la FFER (Fédération française d’études de la reproduction), y place un espoir mesuré. « Les dernières études parues n’ont pas montré une efficacité de l’IA supérieure à celle de l’humain pour le moment. Le seul avantage, c’est que plus on cumule de données, plus l’algorithme s’affine, ce qui nous laisse espérer une performance supérieure à celle de l’humain à l’avenir. »
« On se contente de gagner des pourcentages de réussite à chaque étape du processus », rapporte de son côté Philippe Terriou. « On parle de quelques pourcents de grossesses en plus. Mais ce système est également intéressant pour obtenir de meilleures conditions de culture et pour attribuer un score aux embryons de façon non-opérateur dépendante, donc avec un risque moindre d’erreur due à la subjectivité humaine. »
Complément plutôt que remplaçant
Une zone floue subsiste : on ne connaît pas précisément les raisons pour lesquelles l’IA de type deep learning sélectionne un embryon plutôt qu’un autre, « mais quand on constate que le score proposé par la machine est corrélé à l’obtention d’une grossesse de façon au moins aussi efficace que l’humain, on finit par faire un peu plus confiance », avance Philippe Terriou. « C’est le fameux phénomène de boîte noire, un peu comme en radiologie, lorsque l’IA parvient à détecter un cancer du sein qu’un radiologue ne peut pas repérer à l’œil nu. Gardons cependant à l’esprit que l’IA complète le travail du spécialiste, mais ne le remplace pas encore. »
Pas de méthode eugéniste
Cette innovation pose la question d’une dérive potentiellement eugéniste. Stéphanie Lehuger, philosophe experte en éthique de l’IA, considère qu’elle est à écarter pour le moment. « Cette démarche répond d’abord à un besoin sociétal fort, au vu de la baisse de la fertilité constatée ces dernières années. Le recours à ces technologies semble donc bienvenu. Tant que la sélection s’effectue dans un but purement médical, afin de s’assurer de la viabilité des gamètes, cela ne présente pas de dérive éthique évidente. Puisque la sélection se base sur des critères morphocinétiques et non génétiques on ne peut pas parler d’eugénisme», précise Philippe Terriou. « Il existe bien une possibilité d’analyser les embryons qu’on transfère sur le plan génétique, pour vérifier s’il y a un nombre anormal de chromosomes, mais elle est interdite en France, sauf pour les couples avec des antécédents. »
Et à l’avenir ? « On peut toujours se demander si le fait de maîtriser ces techniques n’ouvre pas la porte à d’autres utilisations eugénistes, moralement plus contestables », répond Stéphanie Lehuer. « Mais ce raisonnement bascule dans ce qu’on appelle, en philosophie, le sophisme de la pente fatale, bien connu du monde politique, qui consiste à s’affoler d’un usage potentiel futur. S'il n'est nul besoin d’agiter un chiffon rouge pour l’instant, il reste prudent de suivre l’évolution de la morale dans nos sociétés, très subjective. »
Participer à la conversation