Chansons générées par IA ou comment les idées politiques se mettent en musique

Chansons générées par IA ou comment les idées politiques se mettent en musique

© @ariellebilo sur YouTube

En Allemagne, une chanson aux paroles controversées jugées ouvertement racistes se hisse dans le top 50 de Spotify.

« Verknallt in einen Talahon » enchaîne les records d'audience. La chanson, générée par intelligence artificielle, cartonne sur TikTok et s’est hissée dans le Top 50 du Spotify allemand entre Beyoncé et Taylor Swift. Entre parodie et discrimination, l’auteur est accusé de contribuer à banaliser les insultes racistes

Un morceau raciste dans le top des charts allemands

« Verknallt in einen Talahon » qu’on peut traduire par « Coup de foudre pour un Talahon » s’est hissée au 48ème rang du top 50 allemand, le quatrième marché musical mondial. Problème : la chanson est bourrée de stéréotypes racistes. Dès le titre, le ton est donné, le terme « Talahon », désignant un jeune homme issu de l'immigration. Malgré cela, moins d'un mois après sa sortie, la chanson affichait au compteur 4,1 millions de streams sur Spotify. Avec ses 4,8 millions de lectures, il occupe à ce jour la 3ème place des morceaux les plus viraux selon la plateforme de streaming. Son créateur, Josua Waghubinger (informaticien et musicien amateur), connu sous le nom de Butterbro, a indiqué avoir créé le morceau via Udio, un outil d'intelligence artificielle générative qui produit de la musique à partir de descriptions textuelles fournies par l'utilisateur.

Le tube de l’été allemand crée la controverse

La chanson qui se veut, selon Butterbro, une parodie du schéma classique de la pop des années 60 où les « gentilles filles » craquent sur les « bad boys » a vivement fait réagir les médias allemands. Au-delà de la technologie utilisée, la presse Outre-Rhin dénonce avant tout les paroles jugées ouvertement racistes. Car ici, le « mauvais garçon » est un Talahon (version germanisée de l'expression arabe « taeal huna » signifiant « viens ici » ), terme régulièrement utilisé de manière péjorative en Allemagne pour désigner les immigrés (un équivalent du terme « racaille » en français). Selon le média Watson, qui indique que Talahon est actuellement en lice pour le titre de « mot des jeunes Allemands » de l'année 2024, l'expression désigne « un jeune homme, généralement issu de l'immigration, qui porte un certain style vestimentaire, aime les sports de combat et se fait remarquer par son comportement misogyne et violent. » Autant de clichés racistes repris dans « Verknallt in einen Talahon » : « Je pense que j'ai le béguin pour un Talahon. » Avec sa ceinture Louis Vuitton, sa casquette Gucci et ses chaussures Air Max. Il fait du shadow boxing et est le plus cool de ses frères. Et le couteau dans sa poche n'est certainement pas réservé qu'au pain et au beurre. » Aux paroles explicites vient s'ajouter une pochette caricaturale (également générée avec Udio), représentant une jeune femme blonde entourée d’un groupe d’hommes issus de l’immigration. 

Un morceau qui banalise la discrimination des immigrés

Selon Marie-Luise Goldmann, journaliste culturelle au Die Welt, la chanson franchit une frontière ténue entre parodie et discrimination. « Le terme est clairement rétrograde. On peut se demander si l'artiste banalise l'expression, la glorifie ou la dénonce », s'interroge-t-elle. Un avis partagé par Felicia Aghaye, journaliste pour le magazine musical Diffus pour qui la popularité de la chanson est « doublement problématique ». Si le terme « Talahon » est une insulte régulièrement utilisée par les jeunes Allemands et Autrichiens à l'égard des migrants, elle souligne qu’il est également régulièrement utilisé par les groupes de droite et d’extrême droite. « Ils utilisent ce terme pour créer un croque-mitaine et attiser l’islamophobie et la xénophobie. Ce qui pose problème, c'est que Butterbro ne semble pas comprendre les enjeux négatifs liés à ce terme. Son morceau banalise et popularise le terme », s'indigne la journaliste. 

Interviewé pour le podcast musical allemand Die Klangküche, Butterbro a rejeté en bloc toutes ces accusations et indique qu'au contraire, son objectif était de créer une chanson qui se moque des comportements ouvertement machistes « avec un clin d'œil et sans discrimination ». Sa principale motivation était de produire un morceau qui deviendrait viral sur les réseaux sociaux. « C'est le défi que je me suis lancé », a-t-il déclaré. 

Le racisme décomplexé en musique

La France n'est pas épargnée par les chansons xénophobes et racistes générées via des outils d'IA génératives. En juin 2024, pendant la campagne des élections législatives, le morceau « Je partira pas », avait été largement relayé sur X, TikTok ou encore YouTube par des comptes d'extrême droite. Un titre et une faute de français en référence à une vidéo ayant fait le buzz sur les réseaux sociaux, montrant un individu, forcé par la police à monter dans un avion pour quitter la France, criant : « Je partira pas ». Compte tenu des paroles ouvertement racistes : « Tu partiras avec ta Fatma, pour toi fini le RSA. Le bateau n'attend pas. [...] Quand va passer Bardella, tu vas retourner chez toi, tu mettras ta djellaba, tu pourras prier toute la journée. » SOS Racisme avait annoncé porter plainte pour « provocation à la haine raciale ». Face au tollé suscité, TikTok a supprimé les deux versions les plus relayées du morceau.

Le compte claudiamariani2a, à l'origine du morceau, a publié des dizaines de contenus visuels générés par IA, partage régulièrement des contenus racistes, islamophobes et xénophobes. Le morceau avait notamment été relayé par le président du parti Reconquête, Eric Zemmour, se mettant en scène en train de « s'ambiancer sur la chanson ». Mila, adolescente victime en 2020 de cyberharcèlement après avoir posté une story Instagram critiquant l’Islam et désormais militante proche du mouvement Némésis (collectif et groupe d'action d'extrême droite identitaire se réclamant du féminisme) qui associe régulièrement le viol aux migrants, en avait même été jusqu'à en faire une reprise.

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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