
La fin du droit à l’avortement aux États-Unis fait planer une menace autour des données personnelles... Et c'est contre les applications de suivi menstruel que la résistance s’organise.
Alors que la Cour suprême des États-Unis a effectivement invalidé l’arrêt Roe vs Wade le 24 juin dernier, supprimant le droit à l’avortement au niveau fédéral et laissant à chaque État américain la liberté de décider de l’autoriser ou de le criminaliser, la résistance des Américaines s’organise en ligne spontanément autour d’un artefact surprenant : les applications de suivi du cycle menstruel, les period trackers. Au cours des trois derniers jours, l’expression a été citée plus de 230 000 fois sur Twitter.
Des applications pour simplifier la vie...
Ces applications, conçues pour faciliter la gestion de la fertilité féminine, font partie du quotidien de millions de femmes : Flo revendique 43 millions d’utilisatrices actives, 12 millions pour Clue. Elles sont subitement perçues comme représentant une menace pour la liberté des femmes à disposer de leur corps. Sur Twitter, 11 fils de discussion tentaculaires, faisant l’objet de plus de 10 000 interactions chacun, (et 32 autres recensant plus de 1 000 interactions) développent des conversations sur la nécessité de se méfier de la possibilité d’une cession de leurs données menstruelles saisies dans ces applications à la justice en cas d’enquête sur un avortement clandestin, ou encore de la mise en place d’un système de surveillance des données saisies permettant de détecter les interruptions de grossesse.
Face à cette menace, les Américaines se mobilisent pour hacker les period trackers. Petit précis de résistance numérique dans un moment de prise de conscience brutale des enjeux des politiques de protection des données personnelles.
1. Supprimer les period trackers (et demander l’effacement des données)
Le premier conseil et la réaction initiale face à la confirmation du vote de la Cour suprême est d’effacer les applications de suivi menstruel de son téléphone. Des professionnel·le·s de la tech et des datas recommandent de réclamer à chaque application l’effacement des données saisies avant de les supprimer.
2. Favoriser les applications basées en Europe
La réglementation européenne étant bien plus protectrice des données personnelles de santé que la loi américaine (merci la RGPD ! ), les Américaines s’encouragent à se détourner des applications américaines, comme Flo, et à favoriser les applications européennes, comme Clue. Cette dernière rappelle à ses utilisatrices, dans un tweet début mai doublé d’un post Instagram le 24 juin, que leurs données de santé sont inviolables et non cessibles, protégées par la RGPD.
3. Lire les politiques de confidentialité
Elles s’invitent également à lire dans le détail les politiques de confidentialité des applications avant d’y consentir, certaines applications se réservant le droit de céder les données personnelles en cas d’enquête judiciaire. Les applications prennent la menace de désertion à bras-le-corps et redoublent de messages au sein même des pages de leur politique de confidentialité. Certaines applis women-owned comme Stardust entrent en résistance et s’engagent à respecter les données et les choix de leurs utilisatrices, et annoncent sur TikTok le déploiement de solutions de cryptage plus performantes. Ces promesses ne rencontrent qu’un succès mitigé, car sans garantie d’une évolution de la loi en faveur d’une obligation à céder les données.
4. Go low-tech pour cultiver le secret
Un thermomètre, un calendrier, un crayon. Ces solutions low-tech de suivi du cycle menstruel sont virtuellement intraçables et permettent de sortir des radars tout en continuant à tracker sa fertilité, même si elles matérialisent douloureusement une forme de retour en arrière.
5. Désynchroniser ses achats de produits d’hygiène menstruelle, payer en cash et perdre sa carte de fidélité
Les Américaines s’invitent également à « acheter malin » : rompre volontairement la régularité de leur routine d’achats de produits d’hygiène menstruelle, de tests d’ovulation et de grossesse, les faire acheter par son compagnon, payer en cash, éviter les achats en ligne, et surtout, laisser sa carte de fidélité au fond de son sac à main au supermarché pour éviter d’être tracées et repérées par leurs données d’achat.
6. Data bombing : sabotage et ménopause
Le mode de résistance spontané le plus réjouissant mêle data bombing et solidarité intergénérationnelle. Des groupes hétéroclites, composés de personnes pas ou plus menstruées, mettent en place une technique de brouillage simple et efficace du tracking des apps : télécharger plusieurs applications, saisir de fausses données, détourner l’utilisation des calendriers menstruels (à transformer, pourquoi pas, en calendrier de tonte de pelouse), afin de dégrader la qualité de la data, brouiller les signaux et faire obstacle à d’éventuels algorithmes de détection des grossesses interrompues.
En s’organisant collectivement, rapidement et efficacement sur les réseaux sociaux et en prenant le contrôle de leurs outils numériques, les Américaines offrent une leçon de résistance préventive à la mise en place d’une surveillance étatique.
Merci pour cet article.