
Ce n’est plus un secret. Le numérique pollue. Pourtant, très rares sont les entreprises à s’être lancées dans l’éco-conception de leurs applications et de leurs sites Web. Retours d’expérience de ces chevaliers du Green IT.
Pendant une décennie de techno-angélisme, on nous l’a seriné sur toutes les gammes. Le numérique, c’était le Graal de l’immatériel, la révolution du virtuel ! Avec le cloud, le streaming, le zéro papier... nous planions tous très au-dessus de notre bilan carbone. Hélas, ou fort heureusement, on commence à comprendre. Le numérique, c’est : des kilomètres de câbles, des rangées de serveurs, des métaux rares, de plus en plus d’écrans... Bref, les chiffres sont alarmants, et vont croissant.
Selon une dernière étude du cabinet Green IT, l’empreinte environnementale du numérique équivaut à celui d'un pays de 2 à 3 fois la taille de la France. Et les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur devraient doubler d'ici à 2025. Pourtant, son impact environnemental n’est pas encore pris en compte par les entreprises.
En France, seule une vingtaine de grands groupes se sont attaqués au sujet, tandis que les plus petites ne l’ont pas encore identifié. C’est d’autant plus dommage que le Green IT – en plus de lutter contre le dérèglement climatique – permet de réaliser des économies et d’améliorer l’expérience client. C’est ce que racontent trois entreprises pionnières qui se sont lancées dans l’éco-conception de leurs solutions numériques, grâce aux conseils d’experts du programme Green Concept coordonné par la CCI Occitanie.
La règle d'or : mesurer son impact de A à Z
Il faut l’avouer, en matière de Green IT, tout le monde débute. Alors, avant de se lancer, il s’agit d’abord et avant tout de faire un bilan précis de son activité. Objectif ? Éviter de tomber dans les « nombreuses idées reçues autour du Green IT » , explique Frédéric Bordage, fondateur du Club Green IT et animateur de greenit.fr, la communauté française du numérique responsable. Vous serez peut-être surpris de constater que la consommation électrique des data centers ne représente pas la plus grosse source de votre pollution numérique. En fait, généralement, la plus grande part de votre impact repose sur la fabrication des Smartphones, tablettes et autres terminaux.
Sébastien Bernis, PDG de PriceComparator, une startup qui propose un service de veille concurrentielle, a ainsi appris à affiner son approche : « On prend désormais en considération les ressources nécessaires à la production des smartphones qui servent à faire tourner nos applications, on calcule au bout de combien de temps les utilisateurs sont obligés d’en changer à cause, en partie, de l’usage de notre appli ». Un travail exigeant mais d’autant plus indispensable qu’il lève beaucoup d’opportunités d’économie, comme le détaille Frédéric Bordage dans son livre Éco-conception web, les 115 bonnes pratiques.
Faire du Green IT peut être rapide
Il est vrai que l’éco-conception peut engager à remettre complètement à plat son business model. À long terme, Comwatt, une startup qui propose aux particuliers équipés de panneaux solaires des kits pour gérer leur consommation d’énergie, envisage de louer son matériel plutôt que de le vendre. Pourquoi ce changement ? Pour allonger la vie des composants électroniques. Mais avant de tout chambouler, des mesures nettement plus simples et rapides peuvent être engagées. « Un truc tout bête qu’on a fait, c’est de réduire notre volume de stockage de données », explique Mathis Gardon, développeur chez Comwatt. Au lieu de conserver les données deux mois, on ne les conserve qu’un mois, c’est tout à fait suffisant pour garantir notre service, et cela nous a permis de diminuer de 10 à 15 % nos ressources de stockage sur nos serveurs. »
Les exemples d’actions simples à mettre en place ne manquent pas : compresser les images du site, passer au noir et blanc, éviter le lancement automatique de vidéos (très gourmande en flux de données)…
Pour être responsable, soyez low-tech
Et si la solution était de revenir au papier et au crayon ? WeatherForce n’est pas allé jusque-là... mais presque. La jeune pousse toulousaine propose des prévisions météorologiques personnalisées aux entreprises. Elle s’est fait accompagner par le programme Green Concept pour éco-concevoir une application de prévision pluviométrique dédiée aux agriculteurs d’une coopérative en Côte d’Ivoire. « On nous a conseillé d’envisager une piste radicale : trouver une alternative à l’application mobile. C’était clairement un big bang pour nous, car nous avions travaillé dessus pendant un an, raconte Julien Soursou, le CTO de l’entreprise. Le problème, c’est qu’une application implique que les utilisateurs aient tous des smartphones, très consommateurs en ressources. Exiger cela augmente considérablement l’impact environnemental moyen d’une personne ivoirienne. À cela s’ajoute une difficulté technique : les agriculteurs n’ont pas forcément accès à l'électricité pour recharger le smartphone lorsqu’ils travaillent trois jours d’affilée dans un champ. »
Pour imaginer un autre système, WeatherForce s’est rendu sur place. « Nous avons découvert l’existence de paysans relais qui font le tour des coopératives agricoles pour diffuser des informations. » Les équipes ont donc imaginé un système où seuls les paysans relais seraient équipés de l’application. Ces derniers transmettent ensuite les prévisions aux coopératives en écrivant sur une feuille ou sur un tableau noir. Un bouton « partager par SMS » a aussi été ajouté pour pouvoir partager les infos principales de l’appli à des téléphones classiques. Plus besoin d’équiper tout le monde en smartphones. « C’est en exploitant des liens sociaux existants que l’on a pu mettre en place des moyens low-tech de communication », résume Julien Soursou.
Big (data) n'est pas toujours beautiful
Les solutions peuvent être simples, mais elles demandent parfois de penser contre soi-même, et surtout contre la doxa. On vous a vendu le potentiel du big data pour comprendre, récolter et analyser un maximum de données ? Mais le big n’est pas franchement beautiful pour la planète, et pas tellement clever non plus... C’est le constat qu’a fait PriceComparator. La startup a limité les données qu’elle récoltait sur le Web sans conséquence sur la qualité de ses services, pour réaliser une réduction de 75 % de son impact environnemental (émissions de gaz à effet de serre, consommation d’eau et d’énergie primaire, épuisement des ressources). « Nos algorithmes cherchent des données sur le Web, puis on les stocke et on les fait voyager entre le Web et nos serveurs. On surveille des sites comme Amazon, dont une bonne partie des serveurs sont aux États-Unis, donc on va chercher les données là-bas, puis on les ramène en France, expose Sébastien Bernis. Pour éviter de stocker et de faire transiter trop de données, nous avons reprogrammé nos robots pour qu’ils collectent uniquement l’info dont on a besoin. » Concrètement, quand l’algorithme visite la page d’un site de e-commerce pour récupérer le prix d’un produit, il ne demande plus au serveur les autres infos de la page, comme la photo, les polices…
Ce travail a permis à la startup de passer de plus de 90 requêtes par page à 2 ou 3, soit environ 15 fois moins de kilooctets de données. L’entrepreneur regrette toutefois que les clients ne soient pas sensibles à l’argument environnemental et préfèrent obtenir le maximum de data possible. « On a répondu à l’appel d’offres d’une grande entreprise du luxe. Ils voulaient surveiller les prix d’un de leurs concurrents dans le monde entier. On a été rejetés. Ils se sont justifiés en disant préférer une solution concurrente qui proposait plus de données. Ils ont reconnu ne pas en avoir besoin, mais préféraient quand même les avoir... au cas où. »
Non, la sobriété numérique n'est pas une punition
Certes, éco-concevoir ses applis et sites Web demande du temps et de l’argent. Il faut compter entre 10 000 et 20 000 euros environ pour une étude d’un cabinet d’expert. Pour une petite entreprise, c’est rarement envisageable. D’où l’intérêt d’un programme comme Green Concept, qui est en grande partie financé par l’Ademe et la région Occitanie. Mais, qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, le Green IT, c’est aussi bon pour le business ! On apprend à réduire les coûts du matériel puisque leur vie est allongée et que leur nombre est rationalisé. La sobriété numérique permet aussi de se concentrer sur les besoins essentiels du client, et d’améliorer substantiellement son expérience. « L’éco-conception n’est pas punitive, clame Julien Soursou de WeatherForce. C’est générateur de solutions parce que cela nous permet de changer d’angle. Dans notre cas, cela a permis d’avoir une application plus adaptée aux usages locaux. »
Pour Sébastien Bernis, l’éco-conception permet d’avoir un « ADN d’entreprise puissant ». Le patron fait du développement durable la philosophie centrale de son entreprise : les salariés sont incités à manger bio, le tri des déchets est strictement appliqué… La jeune pousse estime que le Green IT est aussi un argument fort pour recruter des développeurs « plus en accord avec (sa) philosophie ». Convaincus ? Alors, à vous de jouer !
EN SAVOIR PLUS
> Aïe ! 73% des Français n’ont jamais entendu parler d’écologie digitale
> Stopper la pollution numérique : le prochain enjeu des entreprises ?
Il faut lire l'excellente critique de ce rapport sur l'Usine digitale. Non seulement le terme low-tech sonne creux mais aussi les mesures préconisées sont très loin d'être à la hauteur du défi climatique tout simplement parce-que c'est avec les innovations de la high-tech que nous y arriverons. Il faut laisser les "collapsopathes" et leurs complices retourner dans leur grotte avec leurs "low-tech" et soutenir les innovations de rupture qui découlent de la high-tech.
Je ne crois pas que le mépris de ceux qui essaient de réduire leur impact environnemental soit bénéfique à quiconque, quelle que soit notre position sur le sujet.
Je suis d'ailleurs preneur de l'article que vous citez pour enrichir ma réflexion. Le dernier article de l'Usine Digitale que j'ai lu sur le CES 2019 ne va pas du tout dans le sens de la High Tech comme solution. Il indique ce qui est proposé par les entreprises technologiques : la 5G et des toilettes connectées. Pas d'innovation de rupture, et encore moins de rupture éco-responsable. Plus de flux de données, plus de terminaux, la High Tech ne se préoccupe pas de la planète, ce n'est pas son rôle.
C'est à l’échelle individuelle de la demande que cela se joue. Si l'impact environnemental devient un critère de décision d'achat, on aura des innovations responsables. Dans cette optique la sensibilisation du public et des acteurs est indispensable, pour intégrer une réflexion sur la consommation de données et sur les exigences matérielles de nos nouveaux usages.
S'il vous plait allons au delà d'une vision manichéenne et peu constructive qui oppose des hommes de Néandertal et des toilettes connectées.
https://www.usinenouvelle.com/article/au-ces-de-las-vegas-la-sobriete-numerique-n-a-pas-fait-vendre.N795194