
Sur un marché de l'emploi tendu, notamment pour les juniors, les grandes entreprises de la tech comme HP mettent en avant l’intelligence artificielle comme cause principale de réduction d’effectifs.
4 000 à 6 000 emplois en moins d’ici 2026 : c’est en substance ce qu’a annoncé le géant de l’informatique HP le 25 novembre dernier. Dans un contexte économique plus compliqué, notamment au niveau des embauches, cette réduction d’effectifs n’est pas vraiment étonnante. Mais HP met spécifiquement en avant l’argument de l’intelligence artificielle pour justifier sa décision. En effet, le communiqué de presse précise que ce plan doit « faire progresser la satisfaction des clients, l’innovation produite et la productivité par le biais de l’adoption et l’activation de l’intelligence artificielle » et rapporter d’ici là près d’un milliard de dollars.
La grande vague des licenciements
Depuis le début de l’année 2025, les taux de recrutement des jeunes sont en berne dans les grandes entreprises de la tech. En mai dernier, le rapport State of Talent de la société de capital-risque SignalFire montrait déjà une baisse de 50 % des embauches par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Du côté des startups, le taux d’embauche global a chuté de plus de 30 % par rapport aux niveaux de 2019. À ce moment-là, l’IA est dans toutes les têtes, mais personne ne l’évoque encore ouvertement. Le facteur principal évoqué reste la correction d’une surembauche qui avait eu lieu les deux années après les confinements du Covid.
Mais rapidement, les langues se délient à mesure que les effectifs se réduisent. Sebastian Siemiatkowski, PDG de Klarna, affirme que l’IA l’a aidé à réduire ses effectifs de 40 %. Même argument chez Salesforce et Accenture, qui mettent la suppression de 4 000 et 11 000 emplois sur le dos de l’IA. Du côté de Lufthansa, on annonce la volonté de supprimer 4 000 postes dans les années à venir grâce à l’IA, tandis que chez Goldman Sachs, un agent pouvant automatiser le développement de logiciel est en train d’être testé et pourrait précariser les 12 000 emplois d’ingénieurs. Amazon vise de son côté une réduction de 30 000 jobs, principalement des cadres « dont les tâches routinières et répétitives » peuvent être remplacées par des outils d’intelligence artificielle. Sur le seul mois d’octobre, on dénombre 171 874 suppressions de postes, principalement dans le secteur des technologies, d’après l’étude Challenger, Gray & Christmas, qui qualifie ce chiffre d’anomalie. « Il s’agit du total le plus élevé pour un mois d’octobre depuis plus de 20 ans, et du total le plus élevé pour un seul mois du quatrième trimestre depuis 2008. Comme en 2003, une technologie de rupture est en train de changer la donne. »
Des données pas claires
Seulement voilà, les différentes études portant sur le sujet semblent montrer une réalité plus subtile. En août, le Laboratoire d’économie numérique de Stanford constate que l’IA a bien un impact significatif et disproportionné sur les jeunes actifs du marché du travail américain. Les jeunes de 22 à 25 ans qui sont dans les secteurs exposés à l’IA, comme la programmation, sont effectivement en ligne de mire. En octobre, le même laboratoire indique toutefois que ses données et celles d’autres études montrent que l’impact global de l’IA sur l’emploi est « probablement faible », à l’exception des mêmes jeunes diplômés qui voient leur embauche gelée pour le moment.
Interrogé par CNBC, Peter Cappelli, professeur de management à la Wharton School et directeur de son centre des ressources humaines, explique que les chercheurs font aussi face à un manque de données. « Nous consacrons beaucoup de temps à examiner attentivement les entreprises qui tentent de mettre en œuvre l’IA, explique-t-il. Il existe très peu de preuves qu’elle entraîne des suppressions d’emplois à l’échelle dont nous parlons. Dans la plupart des cas, elle ne réduit pas du tout les effectifs. »
Faire plaisir aux investisseurs avant tout ?
Pour le journaliste spécialisé sur la Silicon Valley, Brian Merchant, l’argumentaire tournant autour de ces pertes d’emplois est en fait biaisé par les mêmes entreprises qui vendent cette technologie. Ce phénomène, appelé « AI washing », consiste à mettre systématiquement en avant l’importance et l’efficacité des outils d’intelligence artificielle dans les licenciements afin de justifier des objectifs moins brillants, comme faire appel à une main-d’œuvre contractuelle moins chère ou tout simplement réduire les coûts face à une situation économique incertaine. « Si Amazon licencie 30 000 employés parce que sa technologie est si avancée que ses systèmes d’IA peuvent parfaitement les remplacer, les investisseurs seront bien plus satisfaits que si Amazon réduit ses coûts parce que, par exemple, qu’elle s’endette excessivement pour l’expansion de ses centres de données ou qu’elle s’inquiète de ses résultats », indique Brian Merchant.
Peter Cappelli porte exactement le même discours : « Les investisseurs veulent entendre dire que vous réduisez vos dépenses, car cela donne l’impression que vous agissez bien. Cela donne l’impression que vous gagnez en efficacité. » Dans un contexte où une large partie de l’économie américaine est tirée par un secteur de l’IA qui vient de connaître des mégacapitalisations (375 milliards de dollars en 2025 et une prévision de 500 milliards en 2026), les entreprises de la tech ont tout intérêt à faire passer l’IA pour un job killer.




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