L’intelligence organoïde est un nouveau champ de recherche qui pourrait permettre aux ordinateurs d’être plus efficaces même si pour le moment la technologie reste rudimentaire.
Les ordinateurs ont des capacités de calcul plus importantes que les nôtres, mais ils sont bien plus gourmands en énergie. Pour réaliser un calcul de 1 exaflop, il faut un superordinateur de 21 mégawatts. Un cerveau humain peut faire le même calcul, avec seulement 20 watts. Humain 1, machine 0. C’est en partant de ce constat que des chercheurs de l'université américaine Johns-Hopkins ont lancé en février un appel dans Frontiers of Science pour développer des machines à base de neurones vivants. Des bio-ordinateurs en quelque sorte. Dans son dernier numéro, Sciences et Avenir fait état de ce nouveau champ de recherche fascinant appelé « intelligence organoïde ». L’idée est de développer une nouvelle forme d’intelligence artificielle, qui repose sur les performances des neurones.
Pour ce faire, des scientifiques développent des organoïdes, c’est-à-dire des structures cellulaires en trois dimensions cultivées en laboratoire à partir de cellules souches. Ces structures mélangent des neurones et d’autres cellules soutiens. Des puces leur envoient des signaux électriques afin qu’ils opèrent des calculs, puis leurs réponses sont renvoyées, avant d’être analysées par une intelligence artificielle. Les scientifiques imaginent faire fonctionner ces organoïdes en réseau pour mimer le fonctionnement du cerveau, sans en recréer toutefois l’entière complexité.
À peine capable de jouer à Pong
Pour le moment, la technologie est peu avancée. Les organoïdes déjà expérimentés se sont révélés très erratiques. Des scientifiques de Melbourne ont demandé à une intelligence organoïde composée de 800 000 cellules cérébrales de jouer au jeu Pong (l'un des premiers jeux d'arcade où l’on s’envoie une balle à l’aide d’une barre), au bout d’un certain temps et après plusieurs échecs, le système est parvenu à rattraper la balle plusieurs fois de suite. Mais il la ratait en majorité. Les chercheurs tentent de savoir si un tel système peut reproduire la capacité d’apprentissage des neurones humains. Lorsque nous sommes enfants, nos connexions neuronales sont très nombreuses mais elles se rationalisent au fil du temps et de nos interactions avec l’environnement.
Science et Avenir pointe également la difficulté de reproduire les différentes zones du cerveau, ou encore de mesurer convenablement « l’intelligence » de ces systèmes, c’est-à-dire les signaux électriques qu’ils envoient. La technologie fait en tout cas miroiter de belles promesses. Car au-delà de calculs complexes, les organoïdes pourraient servir à tester des médicaments, sans passer par des modèles animaux. Léna Smirnova, autrice de l’article dans Frontiers of Science, estime que dans une dizaine d’années l’IO devrait connaître de grandes avancées.
Le fantasme de la machine consciente repart de plus belle
Cette technologie émergente ravive les débats autour de l'avènement d’une machine consciente (déjà très présents suite au succès de ChatGPT), puisqu’ici elle serait de plus dotée d’éléments vivants. Interrogé par CNET à ce sujet, Thomas Hartung, professeur à l'université Johns-Hopkins en charge de ces travaux, estime que tant que l’humain garde le contrôle, nous n’avons rien à craindre des bio-ordinateurs. Dans une chronique pour Forbes au sujet de l’intelligence organoïde, le biologiste William A. Haseltine coupe court à l’idée d’une machine consciente, estimant que cette technologie, tout comme l’intelligence artificielle classique, réalise des tâches mais n’est pas capable de « ressentir » ni de « penser ». Mais il soulève une autre question importante, celle de la propriété intellectuelle de tels systèmes. Car pour développer des organoïdes, des cellules souches de donneurs volontaires sont nécessaires. Qu’en sera-t-il des prouesses techniques réalisées grâce à leurs cellules ?
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