
Pour surveiller les activités cybercriminelles ou terroristes qui se déroulent sur le Dark Web, la Direction générale de l’Armement utilise un moteur de recherche conçu par des Français.
Le Dark Web, cet univers crypté, lieu de toutes les libertés d'expression, mais aussi berceau de la criminalité, produit sa propre légende. Trafics d’armes et de drogues, blanchiment d'argent et pédocriminalité y prospèrent bel et bien, dans une obscurité numérique où les lois de l'État semblent suspendues. Pour accéder à ces sites non indexés, il faut en réalité une fine connaissance des protocoles et des adresses racines. Or, ces éléments sont impossible à trouver dans un moteur de recherche classique comme Google.
Les cartographes de l’extrême
C’est en partant de ce constat que les ingénieurs informatiques Nicolas Hernandez, Antoine Bonamour, et l’institutrice Céline Haéri ont créé en 2012 un projet d’exploration de cet Internet sombre : Aleph GM Search. Ce qui était à la base une idée un peu geek de cartographie et de vulgarisation de cet espace méconnu est devenu une véritable mission de cybersécurité vitale. Tandis que les résultats du moteur russe Yandex ou du répertoire The Hidden Wiki (une sorte de Wikipédia du Dark Web) restent partiels et fragmentés, Aleph GM Search, lui, cartographie les flux d’informations et les transactions de ces sites cachés, offrant aux autorités une vue d’ensemble des abîmes en quelques mots-clés (et dans 70 langues).
En 2015, après l'attentat contre Charlie Hebdo, la startup attire l'attention de la Direction générale de l’Armement –qui décèle en cette technologie un pouvoir de défense majeur. Peu après, Aleph réussit à extraire du Dark Web la liste des membres de Daech, découverte dans un scan en arabe. Dès lors, les trois compères travaillent pour l’État en pénétrant les ventes d’armes en ligne, les tutoriels de crime (des “tutos viol” pour 10$, vraiment ? ) ou les sites pédocriminels.
Le voir pour le croire
Pour Nicolas Hernandez, tant que les pouvoirs décisionnaires n’auront pas été confrontés aux images d’horreur, ils ne pourront pas combattre efficacement les réseaux criminels. « On ne peut lutter que sur ce que l’on est capable de voir », explique-t-il sur le plateau de TV5 Monde. « Nous mettons à disposition des États de la vraie matière. Il faut que les politiques acceptent de regarder l’horreur pour vouloir agir. Il a fallu regrouper des députés dans une salle à part et les mettre devant des vidéos pour qu’ils comprennent et engagent des plans de lutte. »
Le voir pour le croire, c’était aussi l'ambition de Félix Lemaître, journaliste musical et auteur, qui sort cette année son enquête d’utilité publique sur la soumission chimique : La nuit des hommes, mettant en lumière la facilité d’obtention sur Internet des « drogues du violeur » (GHB, anxiolytiques, etc.). Pour comprendre le modus operandi des criminels, l’auteur a fait appel à Nicolas Hernandez pour explorer les bas-fonds du Dark Web. « Avant de m'entraîner du côté obscur d’Internet, Nicolas me prévient, avec le sourire provocateur de ceux qui en ont trop vu : le réel est toujours pire que l’imagination », peut-on lire dans son livre. Ce dernier va être servi. « Mot-clé : GHB. Résultats : plus de 600 000. Les sites oscillent entre l’esthétique des pharmacies et celle du business. Ces assortiments qui proposent toutes les drogues possibles et inimaginables ne semblent pas connaître la crise. Ils passent par le Bitcoin, l’Ethereum, le Binance Coin, le Monero, mais aussi Mastercard. » Car s’il y a bien une nourriture dont le Dark Web raffole, c’est la monnaie électronique.
Not all criminels
Dans un livre blanc portant sur cet espace numérique, l’entreprise précise par ailleurs que, si le Dark Web est un espace qui ne connaît pas la censure, tous les sites du réseau Tor ne sont pas malveillants ou dangereux. « On trouve sur ce réseau des sites utiles au bien commun, d’autres farfelus ou en décalage complet avec l’image que l’on peut se faire du Dark Web. » C’est dans cet espace que se place par exemple la tendance des mystery boxes, ces boîtes contenant des objets non identifiés censés faire frissonner, et pour lesquels certains youtubeurs dépensent jusqu’à 850 dollars.
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