Ruba Alabed, architecte, nous livre sa vision de la ville de demain. Ses maîtres mots : bon sens et économie circulaire.
À quel moment décide-t-on de rallier la démarche HQE® (Haute Qualité Environnementale) en tant qu’architecte ?
Ruba Alabed : En tant que bâtisseur et acteur du territoire, je pense qu’il est primordial d’avoir un engagement environnemental d’autant plus que la construction, après le secteur des transports, est en grande partie responsable de l’augmentation des gaz à effet de serre. Nous avons désormais le devoir de penser la ville d’une manière durable : il est temps d’agir, de montrer que l’on est capable de construire différemment, et de mettre en place des projets qui puissent être exemplaires. Avant de prêter serment à l’ordre des architectes, j’ai eu l’occasion de rencontrer des bureaux d’études spécialisés dans le domaine de l’eau. Cela m’a sensibilisée à l’importance de son impact sur l’environnement, et donné une connaissance du monde végétal via la biologie, l’ingénierie environnementale ou l’agronomie.
Le bâtiment doit-il désormais être pensé plus au regard de son utilité et moins comme une œuvre portée par son créateur ?
R. A. : Je ne crois pas à cette façon de réaliser des bâtiments phares, posés comme un geste architectural, comme ont pu l’être les œuvres, certes exceptionnelles, de Jean Nouvel ou de Frank O. Gehry… Nous pensons au contraire que lorsque l’on construit, il faut être le plus discret possible et impacter au minimum le milieu naturel ; et si ce dernier n’existe pas, n’est-on pas capable de le restaurer ? Avant la friche, il y avait forcément quelque chose. Chaque projet doit reposer sur une forme d’économie circulaire où tout est utile, réutilisable et peut retourner à la terre… Par exemple, les pays nordiques, contrairement à nous qui imperméabilisons nos villes, ont toujours construit des toitures végétales.
Quelle est la valeur ajoutée des nouvelles technologies dans ce domaine ?
R.A.: Nous devons concevoir des bâtiments intelligents à faible consommation énergétique, conçus en fonction du climat et de leur environnement. Ils doivent être bien isolés, bien orientés par rapport à la course du soleil et des vents, construits avec des matériaux pérennes. Un bâtiment bien pensé énergétiquement dès le départ est « presque » capable de s’autosuffire. AR Architectes a été sollicité par une ville qui s’est développée grâce à l’essor des usines de verre au début du xxe siècle. Aujourd’hui, les ouvriers sont partis, et la ville doit repenser son tissu urbain. Nous réalisons une étude sur la manière de récupérer l'énergie produite par les industriels et qui, à ce jour, ne l’est pas. Elle pourrait tout à fait l’être pour générer du chauffage urbain ou des eaux sanitaires. Si nous menons ce projet à son terme, à moyen terme, cela pourrait créer une forme d’interactivité énergétique, une sorte d’économie circulaire entre le tissu industriel et celui de l’habitat de manière à pérenniser leur coexistence.
Y a-t-il une véritable prise de conscience de cette nécessité de repenser l’espace ?
R.A.: En France et dans les pays occidentaux, c’est le cas, mais cela prend du temps. Dans les pays du Golfe par exemple, ils sont plus en retard. Là-bas, l’éclairage fonctionne 24 heures sur 24, et ils ne sont pas près de vouloir réduire leur consommation énergétique. Bien qu’ils soient confrontés aux problèmes de la rareté de l’eau, Masdar City, qui se veut être la ville écologique du futur à la pointe de la domotique, des nanotechnologies et des technologies alternatives, a pourtant été construite en plein cœur d’un désert. Rien n’a été pensé durablement pour faire venir l’eau potable qui est puisée dans la mer puis désalinisée, ou pour assainir in situ les eaux usées. Leur priorité est de montrer qu’ils sont capables de faire leur conversion énergétique d’ici vingt à trente ans, de remplacer le pétrole par une énergie renouvelable. Effectivement, Masdar City, grâce à ses panneaux solaires, est la plus grosse centrale de création d’électricité par chauffage solaire à condensation. Elle a privilégié ce système aux panneaux photovoltaïques qui, à cause du sable, nécessitent un entretien régulier à l’eau. La Floride se lance également dans la construction d’une première ville verte aux États-Unis. Les pays entrent en compétition… mais il n’est pas sûr que cela débouche sur des villes vraiment écologiques. Nous pourrions revenir aux sources et construire les villes comme autrefois, en fonction des vents, de la présence des cours d’eau... Ce fut le cas de la vieille ville de Dubai avec son architecture vernaculaire qui continue d’exister timidement face à l’architecture écrasante des tours d’aujourd’hui.
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