Non, ce n'était pas mieux avant ! : tel est le titre, en forme de cri du coeur, de Johan Norberg. Ce militant du libéralisme multiplie chiffres et analyses scientifiques pour démolir l'idée selon laquelle nous assisterions à un grand déclin. Et si demain était bien ?
Propos recueillis par Alexandre Kouchner.
Dans votre dernier livre, vous vous appuyez sur une approche très statistique pour démontrer que, comme son titre l’indique : « Non ce n’était pas mieux avant ». Quelles sont, selon vous, les avancées les plus notables ?
JOHAN NORBERG : L’augmentation de l’espérance de vie est un très bon exemple car elle repose sur des progrès en médecine et en nutrition, le développement économique, l’alphabétisation… Il y a deux cents ans, l’espérance de vie ne dépassait pas 40 ans dans tous les pays du monde, même les plus riches. Aujourd’hui, nulle part elle n’est inférieure à 40 ans. Depuis 150 ans, nous « gagnons » 3 mois de vie supplémentaire chaque année ! La réduction de la pauvreté est un autre exemple. Il y a deux cents ans, 90 % de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, 90 % de la population mondiale vit au-dessus de ce seuil.
Notre passé était donc terrible. Mais notre présent en est-il nécessairement heureux ?
J.N. : Pas nécessairement mais nous devons lutter contre la nostalgie ambiante. Nous devons avoir une meilleure mémoire : la vie n’était pas plus facile avant, bien au contraire ! Vivre plus longtemps et mieux ne signifie pas que nous sommes nécessairement plus heureux. Mais si l’on regarde les indicateurs de bonheur (un sentiment difficile à mesurer), ils semblent le plus progresser là où l’on produit le plus de richesses et de bien-être. Ne plus avoir à se battre tous les jours pour sa survie mais pouvoir s’éduquer, travailler et avoir des loisirs contribue grandement à notre bonheur.
Cet article est paru dans la revue 12 de L’ADN : Ordre et Chaos. A commander ici.
Il y a dans votre livre une corrélation entre libéralisme, développement économique et progrès. Ce système ne produit-il pas de grandes inégalités, et donc une grande instabilité ?
J.N. : Il y a un lien entre la production de richesse et l’accroissement des inégalités. Mais il nous faut nous demander ce que nous préférons avoir. La pauvreté me semble pire que les inégalités. Il y a trente ans, la Chine était très égalitaire mais 80 % de sa population vivait dans l’extrême pauvreté. Ce pays est aujourd’hui terriblement inégalitaire mais il existe une large classe moyenne et moins de 10 % de ses habitants vit dans l’extrême pauvreté. Préféreriez-vous vivre dans la Chine des années 1980 ou celle d’aujourd’hui ? Les inégalités en Occident sont bien moindres qu’avant. Si vous n’apparteniez pas au bon groupe social, vous viviez moins longtemps et la moitié de vos enfants mourait avant leurs 5 ans. Grâce aux avancées technologiques et sociales, les choses les plus importantes dans nos vies sont plus égalitaires même si nous n’avons pas tous autant d’argent.
Ces inégalités créent de fortes tensions : populisme, regain des nationalismes… Cette instabilité n’est-elle pas une menace au progrès ?
J.N. : On surestime la part des inégalités matérielles dans ces réactions. Les électeurs des populistes sont moins inquiets économiquement que culturellement. Les sondages auprès des électeurs du Front national suggèrent que ce n’est pas la comparaison objective de leur situation par rapport à celle de leurs parents qui les motive mais leur sentiment subjectif de recul. Il n’est pas ici question d’inégalités mais de psychologie, d’un sentiment d’insécurité culturelle plus que d’insécurité matérielle.
Johan Norberg
Est-ce la même chose pour la mondialisation ? Dans votre livre, vous la décrivez comme l’accélérateur de création de richesse et donc de progrès. Pourtant, elle est parfois vue comme une menace.
J.N. : Le monde occidental bénéficie de la mondialisation mais d’autres en ont profité encore plus : la Chine, l’Inde ou le Viêtnam ont radicalement changé. Cela nous donne l’impression d’être perdants. Nous pensons que le gain de l’un est forcément la perte de l’autre. Ce mythe d’une « économie à somme nulle » pose problème. Il est contraire à la nature même d’une économie de marché ouverte où les échanges ne peuvent se faire que sur la base d’un enrichissement mutuel.
Malgré nos progrès, il reste de grands défis : le réchauffement climatique, la crise migratoire… Allons-nous voir un monde riche mais fragile ou plus stable ?
J.N. : Nos sociétés sont déjà plus stables et durables. Ces défis sont moins menaçants qu’avant. Le risque de mourir d’une catastrophe naturelle a diminué de 90 % grâce aux progrès techniques et médicaux. Irma et Harvey sont des catastrophes mais les dégâts sont majoritairement matériels. Le dérèglement climatique est un vrai défi mais il nous faut le comparer avec les problèmes environnementaux passés : sécheresses et famines, empoisonnement de l’air. Avant l’électricité, nous devions brûler du bois ou du fumier. C’est encore la cause de millions de morts chaque année. Comparativement, nous sommes technologiquement mieux équipés pour faire face au défi climatique. C’est notre perception de ces dangers qui a changé. Avec la révolution des nouvelles technologies de l’information, nous pouvons voir en temps réel chaque catastrophe. Cette immédiateté nous donne un sentiment de menace et d’urgence. Nous progressons dans de nombreux domaines mais pas dans notre perception de la réalité.
Il y a donc un paradoxe : nous sommes plus informés que jamais et pourtant moins objectifs. Pourquoi croyons-nous que l’état du monde empire ?
J.N. : Notre évolution nous conditionne à faire attention aux mauvaises nouvelles : nous devions nous concentrer sur les menaces pour survivre. Nous mémorisons mieux une perte qu’un gain. Quand cet état d’esprit évolutionnaire rencontre l’information en continu, nous sentons une menace permanente. Cela éclipse les faits et les tendances de fond positifs. La presse aurait pu titrer « Aujourd’hui, 146 000 personnes se sont extraites de l’extrême pauvreté » tous les jours depuis vingt-cinq ans. Le taux d’homicides a diminué de plus de moitié en Occident. Mais vous ne le verrez que dans les statistiques, pas dans les médias car il y aura toujours un meurtrier en fuite. Ça fera les gros titres car c’est ce qui nous intéresse. Donc plus nous recevons d’informations, pires sont les nouvelles et plus nous nous sentons menacés.
Cette approche statistique est-elle suffisante ? Dans le cas des mutilations féminines par exemple, la baisse de la proportion masque une augmentation du nombre de femmes affectées. L’approche quantitative permet-elle vraiment de décrire notre monde ?
J.N. : L’approche quantitative ne suffit pas mais tout le monde fait des analyses qualitatives ! La presse le fait tous les jours en ne s’intéressant qu’aux cas individuels. Nous devons faire attention aux individus mais nous devons aussi prendre du recul pour apprécier les changements de notre monde.
Même si cela vous mène à écrire que le xxe siècle n’est pas le plus meurtrier malgré les « pics ponctuels » qu’ont été les génocides ?
J.N. : Si nous voulons comprendre la vie d’un humain moyen (au sens statistique), nous devons parfois adopter une approche statistique brutale. Nous devons comparer les chances de mourir d’une catastrophe naturelle, d’une épidémie ou d’une guerre par rapport au passé. Le xxe siècle apparaît alors comme une période paisible ! Cette notion est évidemment choquante. Elle illustre les limites de la méthode statistique. C’est pour cela qu’il nous faut des analyses quantitatives et qualitatives pour comprendre les évolutions sur le long terme.
Quels sont donc nos plus grands défis et les futurs obstacles ?
J.N. : Le dérèglement climatique et la transition énergétique sont des défis immenses mais nous sommes sur la bonne voie. Les progrès technologiques nous ont déjà permis de résorber le trou dans la couche d’ozone et de réduire nos émissions de CO2. Le plus grand risque est politique ou militaire. Une réaction populiste ou autoritaire pourrait stopper nos progrès en fermant les frontières, en interdisant la libre pensée, et en provoquant des conflits. Nous sommes notre plus grand risque.
Vous faites le portrait des héros méconnus du progrès comme Norman Borlaug, le « père » de la Révolution verte et prix Nobel de la paix en 1970, ou Beate Sirota Gordon, militante pour les droits des femmes connue pour avoir introduit le principe d’égalité des sexes dans la Constitution du Japon en 1946. Voyez-vous une telle figure émerger aujourd’hui ?
J.N. : Il y a aujourd’hui plus de gens que jamais ayant accès aux connaissances et au capital nécessaires pour devenir des « héros du progrès ». Je ne peux que pointer vers certaines disciplines prometteuses. Les biotech pourraient nous permettre de nourrir toute la planète et de diminuer la pollution. La science des matériaux fait des avancées fascinantes comme le graphène qui va révolutionner le secteur énergétique. L’intelligence artificielle peut aussi nous amener à des solutions que nous n’avons encore jamais imaginées.
Vous évoquez une « vitesse d’évasion » à partir de laquelle, le progrès est autonome et continu. Y sommes-nous parvenus ?
J.N. : Le progrès n’est pas automatique mais c’est la tendance actuelle. Tous les jours, de plus en plus de gens ont accès à l’éducation, au savoir et aux opinions. Nous avons de plus en plus cerveaux qui collaborent pour résoudre nos défis. Nous ne reposons plus sur les épaules de géants mais sur les épaules des uns et des autres. Nous serons donc mieux armés pour résoudre les problèmes environnementaux, sanitaires et sociaux. Les bases du progrès sont plus solides que jamais.
PARCOURS DE JOHAN NORBERG
Écrivain suédois militant pour la défense du libéralisme, du capitalisme, de la mondialisation, de l’immigration et des libertés individuelles. Il a suivi des études de philosophie, de littérature, de sciences politiques à l’Université de Stockholm avant d’être diplômé d’histoire des idées en 1999. Il est l’auteur du best-seller international Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste publié en 2003 et traduit en 20 langues dans lequel il répond à un grand nombre d’arguments courants utilisés dans les milieux antimondialistes et altermondialistes.
À LIRE
Johan Norberg, Non ce n’était pas mieux avant, 10 bonnes raisons d’avoir confiance en l’avenir, Plon, 2017.
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