
L'émission Le Masque et la Plume sur France Inter met en scène les critiques face à un public. Comment manage-t-on une communauté de chroniqueurs habitués à l'entre-soi ? Interview de Jérôme Garcin par Eric Briones.
« Le Masque et la Plume » a 60 ans. Quel est le secret de sa longévité ?
Jérôme Garcin : L’émission défie toutes les lois : si j’écoutais les marketeurs aujourd’hui je devrais changer le générique, mettre des jingles, faire des plages musicales pour hacher l’attention de l’auditeur… Or, je fais exactement l’inverse et je pense que c’est ce qui explique que le succès de l’émission va croissant. Je la prépare à l’ancienne, comme un artisan : seul, à la main. J’ai une assistante au 1/10ème de temps, nous n’avons pas de bureaux, et je ne vais à la Maison ronde que pour l’enregistrement. Je concocte la liste des livres dont on va parler moi-même et je l’envoie aux critiques que j’ai choisis d’inviter. Je lis, je vais voir les pièces, je rédige mes fiches… J’ai des collègues qui animent sans lire, sans voir. Moi ça ne m’intéresserait pas. Évidemment, c’est un boulot énorme, fort mal rémunéré. Je ne prétends pas que nous soyons des juges d’exception mais la vie culturelle a besoin de débat et notre rôle est de l’enrichir.
Vous enregistrez l’émission en public. En quoi ce choix alimente-t-il sa dynamique ?
J. G. : L’émission est née avant la Maison ronde. À l’époque, elle était enregistrée dans des théâtres, d’où sa disposition. Il y a une dramaturgie propre au « Masque et la Plume » qui a besoin du public. La scénographie est essentielle. Elle est conçue comme une tribune : les chroniqueurs ne me regardent pas, ils regardent la centaine de spectateurs devant eux. Ils ne parlent pas entre eux, ils parlent pour et avec le public. D’ailleurs, les rares fois où je n’ai pas pu enregistrer en public, l’émission n’avait aucun intérêt : cela donnait une conversation entre critiques qui tournait en rond. Pour les intervenants, ce dispositif théâtral est très exigeant. Pour l’affronter, certains carburent au vin blanc, d’autres au Xanax, beaucoup perdent le sommeil… La première fois qu’ils viennent, j’ai l’impression de recevoir des malades. En effet, être assis à la tribune est un exercice redoutable : il faut être brillant, faire rire, s’adresser à l’animateur, au public, aux autres critiques… Certains matins, je me dis que nous faisons l’équivalent radiophonique du TNP, le Théâtre national populaire. Il y a vraiment un esprit de troupe dans lequel les auditeurs se sentent impliqués avec une certaine fierté : ils sont tous le cinquième critique de l’émission. On en revient toujours au débat : pour être juste, on ne peut tout simplement pas les exclure.
Ceux qui ont été écharpés dans l’émission sont sévères avec son esprit de famille.
J. G. : C’est clair : il y a des liens fraternels très forts entre nous. Parmi les critiques, certains sont rivaux, d’autres s’adorent. Ceux qui ne connaissent pas le principe de l’émission pensent croient que c’est moi qui dirige tout. C’est faux. Les intervenants disent ce qu’ils pensent : je ne sais pas ce qu’ils vont dire, je ne commande rien à personne. Je ne compte plus les réactions souvent très violentes d’écrivains, de comédiens, de cinéastes qui ont souffert des critiques. Beaucoup m’ont insulté. Je comprends pour une part, bien que j’ai du mal à admettre le niveau de violence atteint par quelques-uns.
« Le Masque et la Plume » pourrait-il être adapté pour la télévision ?
J. G. : Depuis 20 vingt ans qu’on me demande de le faire, j’ai toujours refusé. Je pense que c’est impossible. À la télévision, on ne peut pas s’exprimer librement, on est sous la coupe des programmateurs et les débats critiques ne peuvent pas y avoir lieu. Le média radio est le seul qui permette ce format.
Cet article est paru dans le numéro 5 de L'ADN revue.
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PARCOURS DE JÉRÔME GARCIN
Journaliste et écrivain français, Il dirige le service culturel du Nouvel Observateur, produit et anime l'émission « Le Masque et la Plume » sur France Inter et est membre du comité de lecture de la Comédie-Française.
À LIRE
Jérôme Garcin, Nos dimanches soirs, coédition France Inter et Grasset, 2015.
À ÉCOUTER
« Le Masque et la Plume », France Inter, tous les dimanches à 20 heures.
PARCOURS D’ÉRIC BRIONES
Planneur stratégique, coauteur de La Génération Y et le Luxe (Dunod, 2016), professeur chez Moda Domani Institute, créateur du blog tendanciel Darkplanneur.
Photo : RADIO FRANCE / CHRISTOPHE ABRAMOWITZ
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