Une fille aux cheveux bleus mendie

« Go woke, go broke » : le slogan trumpiste qui voudrait faire peur aux entreprises

La guerre culturelle que mène l'extrême droite américaine contre le wokisme se transforme en guerre économique.

Quel est le point commun entre Caterpillar, Ford, Molson Coors, Harley-Davidson, Tractor Supply ou John Deere ? Ces grosses entreprises américaines de véhicules ont été contraintes d'abandonner leur politique de Diversité, d'Égalité et d'Inclusion (DEI) et leurs programmes sociétaux et environnementaux (RSE) sous la pression de gros influenceurs d'extrême droite qui appellent au boycott. Cette méthode qui se résume dans le slogan Go woke, go broke ( « devenez woke, faites faillite » ) montre que la guerre culturelle du trumpisme tente de gagner du terrain dans le monde du travail ainsi que dans le domaine de la communication.

Une stratégie centrée sur le boycott

L'expression remonte à 2018. Elle aurait été inventée par l'auteur d'anticipation et de thriller militaire John Ringo lors d'une interview donnée à un média d'extrême droite qui l'interrogeait sur son éviction d'une convention de science-fiction au début des années 2000. L'organisation avait préféré annuler la venue de l'auteur après l'émergence de polémiques autour de ses personnages ayant des pulsions de viol. Entre-temps, la convention a périclité ; un échec économique interprété par les médias et l'auteur comme les conséquences du rejet des auteurs et des membres organisateurs conservateurs.

Dès qu'elle est apparue, la catch phrase a été utilisée comme une arme pour déstabiliser les marques qui voulaient s'emparer des combats progressistes dans leur communication. En 2018, la campagne de Nike centrée autour du sportif et militant Colin Kaepernick (le quarterback qui s'était agenouillé en 2016 en hommage à George Floyd) a servi de terrain d'expérimentation pour cette campagne de boycott. Malgré la pression (et les critiques de Donald Trump qui était au pouvoir à ce moment), la marque a tenu bon et ses chaussures se sont même mieux vendues. L'année suivante, c'est la campagne critique envers la masculinité toxique de Gillette qui a été attaquée. Cette fois-ci, la marque a connu une baisse de 8 milliards de dollars de son chiffre d'affaires. Si la compagnie a expliqué cette baisse par des enjeux économiques plus complexes, les tenants de la rhétorique Go woke, go broke y ont vu leur première victoire.

D'autres exemples sont utilisés par les conservateurs pour montrer l'efficacité supposée de leur campagne. En 2023, Target a été la cible d'un appel au boycott après la publication d'une fake news selon laquelle le magasin vendrait des maillots de bain pour petites filles trans permettant de cacher leur pénis. Si la valeur de ses actions a connu une chute temporaire de 10 %, la valorisation de l'entreprise cette année et la suivante s'est stabilisée à la hausse. C'est en fin de compte le boycott de la marque Budweiser en 2023 qui s'est avéré être l'action la plus efficace. Après avoir fait appel à l'actrice transgenre Dylan Mulvaney pour promouvoir une nouvelle boisson, le brasseur a connu une baisse des ventes de 1 %, mais surtout une chute de sa valeur boursière de 28 %, notamment après la mise en congé administrative de la vice-présidente marketing, Alissa Heinerscheid.

Faire tomber les boîtes de l'intérieur

En septembre dernier, une première étude réalisée pour le compte de l’industrie publicitaire suggère que la stratégie Go woke, go broke ne fonctionne pas vraiment et peut même donner un avantage au produit. Basée sur l'analyse de 392 marques dans 58 pays, l'étude, qui se veut la première du genre, indique l'impact positif de la publicité inclusive sur les résultats, avec une augmentation de près de 3,5 % des ventes à court terme et de plus de 16 % à plus long terme. C'est sans doute pour ce manque d'efficacité que les campagnes de boycott se sont plus accentuées sur les changements de politique interne aux entreprises plutôt qu'aux publicités.

Cette nouvelle stratégie s'est mise en place à partir de 2022 sous l'égide du fonds d'investissement 1789 Capital, monté par le banquier Omeed Malik. Pour la petite histoire, Malik était un cadre de Bank of America Merrill Lynch, licencié en 2018 après avoir été cité dans de sordides affaires d'agression sexuelle en pleine campagne #MeToo. À présent, il emploie une partie de sa fortune pour financer les héros de l'anti-wokisme comme Tucker Carlson, dont il a subventionné le média à hauteur de 15 millions de dollars. Plus récemment, c'est l'influenceur Robby Starbuck, ancien directeur artistique et soutien inconditionnel de Donald Trump, qui a pris le relais pour dénoncer auprès de ses 632 000 abonnés les entreprises jugées trop woke. C'est à lui qu'on doit le retournement de Harley-Davidson en juillet dernier après une parodie de procès organisée sur X, sous l’égide complaisant d'Elon Musk. Sur le banc des accusés : un e-learning interne de sensibilisation sur l’inclusion des personnes LGBTQI+, un « mois de l’inclusion » pour les collaborateurs ou bien des soutiens à des ONG, qui auraient fait perdre l'identité de la marque de motos. L'argumentaire était faible, mais suffisant pour faire plier les patrons ne voulant pas fâcher une clientèle qu'ils estiment anti-woke. Comme s'accordent à dire les experts, le succès du boycott dépend surtout de la réponse de l'entreprise. Si cette dernière plie sous la pression même symbolique ou la peur de perdre des clients, le combat des conservateurs sera gagné.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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