
Longtemps marginalisée, la réparation semble enfin retrouver une place dans le paysage de la consommation responsable. Entre désirabilité et réalités du marché, focus sur un modèle en construction.
Votre lave linge a rendu l’âme. Vous allez donc vous en faire livrer un nouveau ! Ça, c'est ce qu'on aurait fait au siècle dernier. Aujourd’hui, entre la montée en puissance des préoccupations écologiques, la pression législative et l’évolution des comportements des consommateurs, la réparation est en vogue. Pourtant, malgré l’essor du marché de la seconde main, l’économie de la réparation se structure doucement et peine à s’implanter à grande échelle en France.
« Les freins sont connus depuis des années : coût, accessibilité et confiance. On sait qu’il faut réparer, encore faut-il savoir où et comment », explique Anne-Charlotte Bonjean, coordinatrice réparabilité à l’Agence de la transition écologique (Ademe). Alors, quels dispositifs existent pour encourager la réparation et pourquoi restent-ils peu connus du grand public ? Comment les consommateurs peuvent-ils devenir acteurs du changement et favoriser l’auto-réparation ? Et quels sont les principaux obstacles posés par les industriels à la réparabilité des produits ?
Réparation : une filière invisible
Pour encourager le passage à l’action, l’État a mis en place des mesures incitatives comme le bonus réparation, destiné à réduire le coût pour le consommateur des interventions sur les appareils électroménagers et électroniques. Pourtant, selon une étude de l'association Halte à l'Obsolescence Programmée (HOP), moins de la moitié des consommateurs interrogés (47,3 %) en connaissent l'existence. De plus, 7 réparateurs sur 10 indiquent que, généralement, leurs clients ne sont pas informés de l’existence du dispositif. Un manque de visibilité qui ralentit l’adoption massive de la réparation.
Autre frein : la rareté des réparateurs qualifiés. "Un réparateur qui veut vendre sa boutique aujourd’hui peine à trouver un repreneur. De même, certains artisans, faute de relève, partent à la retraite sans être remplacés. Il faut revaloriser ces métiers qui ont beaucoup de sens", déplore l’ingénieure. En parallèle, les grandes enseignes de l’électroménager, de l’informatique et du textile tardent à développer des services de réparation accessibles et abordables. Résultat : beaucoup de consommateurs préfèrent encore remplacer plutôt que réparer. Selon le dernier baromètre SAV de Fnac Darty, 62 % des Français préfèrent racheter un nouveau produit tech plutôt que de le réparer.
Passer (enfin) du consommateur au « consomm-acteur »
Plutôt que de subir l’obsolescence des objets, il est possible d’adopter une approche plus proactive en matière de réparation et d’achat. À ce titre, Anne-Charlotte Bonjean souligne l'importance de l'implication des consommateurs dans le processus de réparation. En résumé, cela signifie qu'un consommateur averti ne se contente pas d'attendre un réparateur : « En quelques clics, tout le monde est capable de faire son propre diagnostic quand un objet tombe en panne », précise l’experte.
Et si on a besoin d’aide, pas forcément de faire venir le dépanneur : « L'auto-réparation est de plus en plus mise en avant. On a des entreprises labellisées et spécialisées là-dedans, avec du diagnostic et de l’aide à distance et de l’aide à la réparation à distance ».
Dernier volet de cette « consomm-action », l'entretien proactif des produits. « Aujourd'hui, quand on échange avec les SAV, une panne sur deux est liée à un problème d’entretien » indique Anne-Charlotte Bonjean. À notre échelle, le combat pour la réparation se joue donc parfois à quelques bons réflexes. Reste à savoir si l’industrie s’aligne sur ces nouvelles pratiques.
Mais que fait l’industrie ?
Pièces soudées ou collées, informatique récalcitrante… De nombreux dispositifs empêchent le commun des mortels de pouvoir soulever le capot de leurs appareils. La question de l’accessibilité des pièces détachées constitue par exemple un défi de taille : « Aujourd’hui, si on veut acheter un lave-vaisselle uniquement en pièces détachées, il va coûter deux à trois fois le prix d’un appareil assemblé », précise Anne-Charlotte Bonjean. L’un des enjeux majeurs de la réparation à grande échelle repose donc sur la volonté des industriels de concevoir des produits réparables.
Pour les inciter à changer, le législateur a conçu l'indice de réparabilité. Depuis 2021, il permet de noter les produits électroniques et électroménagers en fonction de leur facilité de réparation. À partir de 2024, il devrait évoluer en indice de durabilité, intégrant la robustesse et la disponibilité des pièces détachées. « Les fabricants ont pris conscience que la transition est nécessaire, mais il faut aller plus loin. Il faut intégrer la réparabilité dès la conception du produit », note Anne-Charlotte Bonjean. Tant que les industriels ne seront pas contraints à une véritable éco-conception, la réparation restera un combat d’arrière-garde.
L’économie de la réparation a gagné du terrain depuis la sortie de l’indice de réparabilité. Ce dernier a bousculé les lignes, et les fabricants suivent progressivement la cadence. Par exemple, du côté de la marque à la pomme, un effort a été fourni afin de réduire les étapes pour accéder à l’écran ou à la batterie en démontant un iPhone. « Si l’on compare un modèle ancien avec un plus récent, les deux démontés n’ont rien à voir » explique Anne-Charlotte Bonjean. De son côté, l’enveloppe allouée au bonus réparation devrait passer de 20 millions d’euros en 2022 pour atteindre 102 millions d’euros en 2027. Cette dynamique annonce des perspectives encourageantes, laissant entrevoir un avenir où le marché de la réparation rivalise avec l’industrie du neuf.
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