Charli XCX

Quand Peter Thiel, le milliardaire de la tech, finance une scène pop-réactionnaire

© Charli XCX par Harald Krichel

Un bruit court depuis 2021 : Peter Thiel financerait l'émergence d’une contre-élite artistique néoréactionnaire, aidé par son ami Curtis Yarvin.

Depuis qu’il a financé un festival de ciné anti-woke à New York en 2021, le NPCC, l’ombre du milliardaire techno fasciste Peter Thiel plane sur Dimes Square, cette scène artistique de jeunes branchés de l'ultradroite. La baseline du festival ? « Le pire reste à venir », écrite sur des T-shirts qui représentaient aussi la Statue de la Liberté pendue. On y croisait les animatrices du podcast antiféministe Red Scare interviewant le réalisateur John Waters, surnommé le « Pape du trash », ou encore Curtis Yarvin, l'âme noire de la pensée néoréactionnaire, lisant de la poésie au milieu de jeunes artistes edgy et très connectés aux élites artistico-médiatiques new-yorkaises. On y croisait les podcasteuses du podcast réactionnaire Red Scare interviewant le réalisateur, le « Pape du trash », John Waters, ou Curtis Yarvin, l'âme noire de la pensée de l'alt right, lisant de la poésie. Les rumeurs prétendent que Peter Thiel a continué de financer cette scène underground qui partage ses idées. Le mème des « Thiel bucks » (l’argent de Thiel) est né de cette rumeur joyeusement reprise par les membres de la scène dite de Dimes Square, qui s’amusent à entretenir le doute pour accentuer leur côté sulfureux – ou mieux se couvrir.

Substack & Thiel Foundation

« Il y a sans aucun doute de l’argent de Peter Thiel qui circule, mais les Thiel bucks sont devenus synonymes de l’argent noir de tout oligarque d’extrême droite en général », explique le journaliste Mike Crumplar. Thiel garde un œil sur la scène. Lui comme d’autres voient dans ce monde un véhicule idéologique. Ils en parlent comme de la création d’une contre-élite culturelle compatible avec le nouveau régime. » Dans un article de Vanity Fair de 2022, le président de la Thiel Foundation Blake Masters démentait à demi-mot : « On finance des choses [...] Mais on ne finance pas une armée de posteurs de mèmes », et quand on lui demande si Red Scare a reçu de l’argent, il répond : « Peut-être, oui [...] On finance des choses bizarres avec la Thiel Foundation. » Il existe en tout cas des photos des animatrices de Red Scare devant les bureaux de Palantir ou aux côtés d’Eric Weinstein, directeur de Thiel Capital. « Certains ont reçu de l’argent de Thiel, Marc Andreessen, ou d’autres oligarques, parfois via Patreon ou Substack, où on peut faire des donations anonymes. J’ai déjà rencontré un podcasteur que personne n’écoute qui avait reçu 10 000 dollars de donation », explique Matthew Donovan, ancien coanimateur du podcast Neoliberalhell et figure de la scène positionnée à gauche – des rumeurs disent que Thiel finance aussi ses contradicteurs pour mieux les contrôler. Le très influent collectif Remilia n’est pas de ceux-là.

Remilia Corp. & « network spirituality »

Omniprésent dans la scène, Remilia est un projet situé entre crypto et art contemporain, qui a créé la série de NFT Milady – ces personnages dépressifs en animé japonais que Musk a fait décoller sur X en 2023, et qui sont utilisés comme photo de profil sur Twitter ou Insta comme signe d’appartenance. De l’aveu – semi-ironique – du fondateur de Remilia, qui se fait appeler Charlotte Fang, « Milady a reçu des SUBVENTIONS, et non des "paiements", de la Thiel Foundation, techniquement financée par Peter Thiel. Les subventions servent à financer des dépenses qui n'ont rien à voir avec la politique. La Fondation Thiel a été une fervente défenseure du compte Twitter de Milady. » Remilia est également une sorte de secte en ligne qui promeut l’anorexie, l’automutilation ou des idées suicidaires auprès d’une audience de jeunes créatifs isolés, opérant via ce que ses membres appellent des « Warholian group chats ». Un projet de « network spirituality » ou de « corporate surrealism », où créer un réseau devient une œuvre collective et multijoueur selon la formule « the network is the art » . Et cet art de créer un réseau influent d’artistes shitposters – aussi porteur d’idées néoréactionnaires inspirées par l’accélérationniste technologique Nick Land — ne se passe pas qu’en ligne. Car Remilia sponsorise ou organise nombre d’évènements qui mélangent les acteurs de la scène de New York à l’univers « thielo-yarvinien ». 

Sovereign House & DOGE kids

Au-delà d’organiser des Milady rave parties à New York avec le rappeur 2Hollis ou les chantres de l’Indie Sleaze The Hellp, ou encore des after parties de Fashion Week avec la designeuse post-woke Elena Velez en septembre dernier, Remilia était aussi l’un des principaux sponsors du bal d’inauguration de Trump en début d’année, où étaient présents Steve Bannon ou Curtis Yarvin, quelques semaines après avoir organisé à Dimes Square une watch party pour le résultat des élections, sponsorisé cette fois par Polymarket, un site de pari controversé, et lui aussi financé par Thiel. La soirée se tenait au QG de la scène, nommé Sovereign House, un lieu artistique ouvert en 2023 par un certain Nick Allen, et qui a fermé juste après l’élection de Trump. « Nick Allen avait de l’argent du bitcoin pour ouvrir Sovereign House, mais ils ont rencontré la Thiel Foundation à plusieurs reprises, pour infuser du capital, explique le photographe Nick Dove, un habitué de Sovereign House. Nick Allen a créé un symposium pour cette étrange sous-culture qui mixe des artistes hipsters de New York avec des opérateurs idéologiques et politiques liés à la new right d’Internet. Son idée était d’accélérer cette énergie de dark hipsters et de créer une petite avant-garde marrante. »  D’un reading néoréac de l’eugéniste Steve Sailer à une after party des e-girls branchées de Forever Mag, on y croisait aussi bien les futurs DOGE kids que le photographe Cobra Snake, star des années Kate Moss qui traîne avec Charli XCX, ou Curtis Yarvin – le premier évènement de Sovereign House ayant été la sortie d’un ouvrage compilant ses écrits. Le nom du lieu fait référence au livre The Sovereign Individual sorti en 1997, bible pour libertariens dont Thiel a écrit la préface de la réédition en 2022. Après la fermeture, Nick Allen a ouvert un espace à Washington, et organisé début 2025 une soirée pour les DOGE kids où Elon Musk était présent. Il est aussi impliqué dans le projet de Freedom City de Trump, un projet de techno-cités dérégulées et inspiré des écrits de Yarvin. Des sous-sols « kétaminés » de Dimes Square à Washington, il n’y a qu’un pas. Sur la bannière Twitter de l’associé de Nick Allen, qui se fait appeler « Future Moldovan Citizen », on peut lire « Art + Politics = Power » .

Urbit : l’accélérateur de connexions

Aller séduire les investisseurs de la tech et propager ses idées néoréactionnaires en visant les leaders d’opinion, Yarvin connaît bien le principe. Après avoir retourné le cerveau des dirigeants de la Silicon Valley en faveur d’une droite dure et techno-solutionniste dans les années 2010, il s'emploie désormais à faire de même avec la culture et l’art. Depuis 2021, il s’emploie à transformer son entreprise Urbit, un projet d’internet décentralisé dont personne ne comprend rien, en un cercle social qui met en relation les artistes edgelord de New York, avec le monde des mécènes issus de la tech qui veulent financer un art dissident. Véritable accélérateur culturel, Urbit est évidemment financé par Thiel et Andreessen. Si le projet était quasi-dormant jusqu’en 2021, il a réémergé juste avant le festival anti-woke NPCC. Lors d’une Urbit Assembly à Austin, Honor Levy et Walter Pearce du podcast Wet Brain étaient invités avec d’autres pour tourner un épisode de leur podcast. Wet Brain fera après ça une promo intensive des idées de Yarvin, présentant Urbit comme un truc ultrabranché, qui deviendra effectivement hype à New York dans la foulée. Un premier acte de communication concluant qui se poursuivra en 2022, quand d’autres Urbit Assembly seront organisées, l’une à Miami, l’autre à New York pendant la Fashion Week, avec des événements organisés par le podcast Wet Brains, par l'agence de mannequin No Agency, ou encore par le théâtreux star de la scène, Matt Gasda. Tout un tas d'événements branchés où se croisent des musiciens, des nerds, des venture capitalists, des e-girls, ou des opérateurs politiques, couverts et amplifiés par voie de mèmes, par la presse, ou par le Substack de Mike Crumplar. On y croise tout un tas de nerds et d’e-girls – le but de Yarvin étant de « sexifier » le monde des tech bros. En 2023, c’est à Lisbonne que sont défrayés le photographe Nick Dove, l’écrivaine et it-girl de Dimes Square Cassidy Grady ou le collectif Remilia. Un moment qui a lancé la carrière de Nick Dove à New York. « Après ça, j’ai commencé à être payé pour shooter ici ou là, je n’avais pas anticipé faire une carrière de ça, ou que ça deviendrait un projet artistique. Aujourd’hui je suis devenu un documentariste de la scène. » Car au-delà de son talent pour trouver des financements, Curtis Yarvin a surtout celui d’embarquer des gens dans son écosystème. Tlon, le nom de la société mère d’Urbit, fait d’ailleurs référence à une nouvelle de sci-fi de 1940 dans laquelle une société secrète d’intellectuels mène une conspiration pour transformer la réalité et faire advenir un nouveau monde…, en l’écrivant. Sauf qu’aujourd’hui, l’histoire s’écrit par voie de mèmes sur Insta et de shitposting sur Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Marilou dit :

    Bonjour, c’est quand même très malhonnête d’utiliser une photo de Charlie XCX pour cet article. Je comprends que ça doit vous apporter des clics mais vous perdez massivement en crédibilité.

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