
Aux États-Unis, un nombre croissant de jeunes hommes se tournent vers l’Église orthodoxe, attirés par sa rigueur, ses traditions et une certaine idée de la masculinité.
« C’est pendant le Covid que j’ai commencé à explorer les racines de ma foi, et l’orthodoxie est apparue… Comme un sous-marin surgissant de nulle part pour me sauver », écrit @dr.dannygentry7823, en commentaire sous une vidéo de la chaîne YouTube Roots for Orthodoxy. Aux États-Unis, Danny est loin d’être un cas isolé : ces trois dernières années, nombreux sont ceux qui ont emprunté le même chemin.
En 2022, les conversions à l’Église orthodoxe ont bondi de 80 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Certains spécialistes évoquent un véritable « tsunami de conversions » pour décrire ce phénomène qui touche principalement des hommes âgés de 20 à 30 ans. Beaucoup d’entre eux disent avoir découvert cette version du christianisme grâce à des figures influentes en ligne, comme le père Truebenbach ou Emmanuel Castillo. Ancien lutteur et père de deux enfants, ce dernier partage quotidiennement sa foi avec ses 6000 abonnés sur Instagram.
L’exercice de la foi comme nouveau challenge
Converti depuis 2019, l’homme, qui publie des photos de son corps athlétique accompagnées de versets bibliques, assure que la hausse des conversions à l’Église orthodoxe est en grande partie due à un rejet de la « féminisation » des autres confessions. Une idée qui revient régulièrement sur les comptes des nouveaux orthodoxes et dans les commentaires des influenceurs prêcheurs. À leurs yeux, l’Église catholique serait devenue trop féministe, trop progressiste, trop « woke ». Et a contrario, la religion orthodoxe leur apparaît comme plus authentique, plus traditionnelle, « avec de vraies valeurs familiales », défend un jeune homme sous un post de Castillo.
Elle est aussi perçue comme plus masculine. Si cet adjectif peut sembler flou, c'est un concept qui prend tout son sens pour ces nouveaux adeptes. « Les dirigeants des églises sont des hommes bons et forts, on a envie de leur ressembler », clarifie Kevin, dans un thread Reddit sur le sujet. Pour ces jeunes disciples, la virilité se retrouve aussi dans la discipline stricte et les rituels physiques draconiens de la pratique religieuse. Les périodes de jeûne, par exemple, sont centrales dans la vie spirituelle orthodoxe. Il y en a plusieurs sur une année, et ceux de Carême et de la Nativité durent 40 jours. « C’est très dur, mais c’est ce dépassement de soi que j’adore et qui me rapproche de Dieu », affirme un autre utilisateur, qui se vante aussi de ses nombreux bains d’eau glacée partagés avec d’autres adeptes.
Une dynamique qui nourrit les dérives
Le père Paul Truebenbach, qui a une chaîne Youtube avec des dizaines de vidéos, estime que les jeunes hommes sont attirés par l’Église orthodoxe car ils « veulent être masculins, dans le sens le plus positif du terme ». Le père Timothy Pavlatos, pasteur de l'église grecque orthodoxe Sainte-Katherine en Arizona, confirme que c’est cette rigueur exigeante associée au « défi » que représente cette religion qui attire autant les nouveaux adeptes. Ce mouvement, reflet des tensions idéologiques qui traversent actuellement le pays, s'inscrit dans une dynamique plus large de « christianisme musclé », une approche du christianisme valorisant la santé et la virilité.
Aujourd’hui, plus de 60 % des fidèles sont des hommes célibataires. Le nombre quotidien de services a dû être augmenté et les prêtres parlent d’ouvrir de nouvelles paroisses rapidement. Sans surprise, les dérapages idéologiques de cette vision de l’Église orthodoxe, que certains aiment à décrire comme une « religion d’hommes forts », émergent rapidement. « Nous ne croyons pas en la nouveauté », défend John. En ligne, de nombreux convertis ne se cachent pas pour tenir des propos sexistes et LGBTQ+phobes, sous couvert de lutte contre une « époque où tout va trop vite ».
L’utilisation de la religion pour attaquer une supposée montée du « wokisme » s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la politique de soft power et de subversion que mène la Russie dans son contexte de guerre hybride. Depuis le premier mandat de Donald Trump, un rapprochement, prévisible mais stratégique, s’opère entre les religieux conservateurs américains et l’Église orthodoxe russe (ROC). Ennemis déclarés des élites libérales occidentales, ils trouvent dans cette alliance une cause commune, avec des figures clés comme l'évangéliste pro-Trump Franklin Graham. Qui se ressemble s'assemble.
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