
L'heure de la purge est arrivée. Cette année, ils n'auront pas le droit de mettre la main au porte-monnaie.
« Le no buy, c'est apprendre ce qui est réellement essentiel pour chacun. Il ne s'agit pas de se punir ou de se priver, mais d'apprendre à regarder sa vie et son argent différemment, et d'apprécier ce qu'on a. (...) La question est : qui êtes-vous sans la dernière tendance ? Sans les faux ongles ? L'alcool ? Les services de streaming ? (...) Les livraisons quotidiennes d'Amazon ? Avec le no buy, vous aller le découvrir », affirme la youtubeuse Cinzia DuBois. Le principe du no buy est simple : ne rien acheter sur une période limitée. Et sur les réseaux fleurissent des vidéos expliquant pourquoi elles ont décidé cette année de réduire leurs dépenses au strict minimum.
Pourquoi le no buy ?
Pour trouver ces contenus, taper « No buy 2024 » sur YouTube ou suivre le #nobuy sur TikTok. Ce dernier sera régulièrement accompagné des expressions #nospendchallenge (le défi non-dépenses) ou encore #intentionalspending (dépenses conscientes). Ici, les internautes partagent conseils avisés, comptes rendus rigoureux, craquages en règle (le plus souvent, une razzia Vinted) ou la satisfaction éprouvée après avoir tenu bon. Dans sa version moins radicale, le no buy se transforme en low buy (#lowbuy) : une interprétation qui autorise une consommation récréative mais raisonnée, et se pratique sur une durée plus courte. Le #nospendmonth entérine par exemple le sevrage sur un mois. (Notons que les pratiquants du no buy sont des personnes décidant sciemment de se passer d'achats, et non des personnes aux revenus limités pour qui le fait de restreindre les dépenses s'impose par défaut.)
Pour se lancer, les raisons ne manquent pas. Entre la détox digitale et le minimalisme, le no buy permet surtout de faire des économies. S'il est surtout question de regonfler son livret A, il s'agit également de se recentrer sur l'essentiel après avoir dressé un état précis de sa consommation. En ligne de mire, l'idée de reprendre la main sur son temps, ses pensées, ses finances et son énergie. Un concept qui, dans un contexte d'incertitudes, de crise économique et de fatigue informationnelle, séduit de plus en plus. La youtubeuse américaine Grace Nevitt entend se serrer la ceinture pour rembourser son prêt étudiant et apprendre à ne pas céder à ses impulsions (#impulsebuyer). De son côté, Cinzia Dubois veut financer son doctorat tout en s'assurant que son bonheur dépend le moins possible de ses ressources financières : « Je veux créer des souvenirs mémorables sans avoir à dépenser de l'argent », souligne la jeune femme. Pour Chelsea Fagan, spécialiste des questions liées à l'argent, le no buy permet de reconfigurer la manière dont son cerveau réagit à la consommation. Pour d'autres, de minimiser son impact environnemental. Souvent citée aussi, l'étude universitaire menée par des psychologues américains : « When what one has is enough : Mindfulness, financial desire discrepancy, and subjective well-being » (Quand ce que l’on a suffit : pleine conscience, divergence des désirs financiers et bien-être subjectif), qui analyse les bénéfices psychiques d'un autre rapport à ses possessions.
La purge : à chacun son cahier des charges
Que recouvre le fait de « ne rien plus acheter ? » Chacun fixe ses règles. Le principe de base : se limiter à payer le strict minimum (crédit immobilier, panier de courses et facture d'électricité). Pour à peu près tout le monde, cela signifie : n'acheter aucune fringue, aucune céramique pastel, aucun meuble Ikea. Pour certains, il s'agit aussi d'oublier Netflix, Spotify et Audible, billets de train et places de théâtre. À chacun ensuite d'affiner son système : si l'on reçoit des bons d'achat pour un anniversaire, est-il possible de les dépenser l'année même ? Est-il acceptable de remplacer ses cosmétiques une fois le flacon vide ? (À ce niveau, il semblerait qu'un consensus émerge : oui à la crème hydratante et au rouge à lèvres fétiche érigé en extension de son âme, non aux sérums et parfums). Peut-on faire des exceptions pour un rendez-vous Bumble ou faut-il remplacer par une activité gratuite le traditionnel cocktail à 15 euros dans un bar tamisé ? Même principe appliqué aux moments passés avec ses amis : au lieu d'aller au cinéma ou au restau, les adeptes du no buy préféreront se rendre ensemble à la bibliothèque, se promener dans un parc, ou s'inviter les uns les autres pour jouer à des jeux de société.
Sur les réseaux, un protocole s'est mis en place. Au moment de débuter son année de no buy, les créateurs publient une vidéo annonçant leur intention. À l'instar de la youtubeuse Gemma McLean, la vignette de la vidéo montre souvent une internaute (la plupart des adeptes sont des jeunes femmes) affichant une mine inquiète et faisant mine de découper sa carte de crédit. C'est le moment de dérouler son plan d'action. Pour s'assurer de ne pas fléchir, Grace Nevitt s'est préparée avec minutie. Depuis septembre 2023, l'Américaine partage des vidéos dans lesquelles elle analyse sa démarche. Elle a classé ses dépenses en trois catégories : les vertes, les autorisées (médicaments, papier toilettes, légumes verts, nourriture pour chat) ; les jaunes, celles qui recouvrent les produits terminés qu'il est possible de remplacer ; les rouges : ce qui est absolument interdit (jeux vidéo, vernis à ongle, bouquins, tatouages). Et tout est question de nuances : Grace pourra acheter de quoi réparer et entretenir son appartement (elle pourra se fournir de quoi refaire ses joints de salle de bains) mais ne pourra pas acheter de quoi repeindre sa chambre dans la teinte de vert sauge qui lui plaît. Pour aider sa communauté, la jeune femme a partagé des documents (sur Excel et Notion) permettant à tous les curieux de classer, consigner et suivre leur dépenses. Contrairement à d'autres, Grace Nevitt a prévu d'investir dans des expériences, raisons pour laquelle billets de train et places de concert ne figurent pas sur sa liste rouge.
Le test ultime
« Début 2020, je suis passée en mode essentialisme et j’ai arrêté de faire du shopping pour une année entière. Et durant cette année, je n'ai rien acheté pour moi. Aucun café, verre d'alcool, vêtement, livre, objet de déco ; je ne suis pas partie en vacances et je n'ai fait aucun voyage ; je n'ai acheté aucun objet lié à mes hobbies, aucune plante, aucun bijou, je n'ai jamais commandé à manger ou acheté des tickets pour des concerts. (...) Oui, les règles étaient strictes, mais je m'y suis tenue. Et la règle principale était que je ne pouvais rien acheter pour moi », explique Cinzia DuBois. Elle s'autorise donc quelques exceptions : les dépenses liées à des activités sociales, limitées à une par semaine : un café avec une amie, un repas au restau par mois, mais jamais plus d'un verre par évènement. Le bilan à la fin de l'année : une amélioration significative de ses économies et une démarche qu'elle étire finalement sur trois ans.
En 2023, Cinzia reprend peu à peu une vie de consommatrice lambda. Elle s’octroie de temps à autre de menus plaisirs : un café en terrasse, un cupcake vegan à la pâtisserie du coin, une écharpe dans une boutique de seconde main. Après avoir bien entamé l’argent mis de côté (en quelques mois, elle perd près de 7 000 euros), elle décide de s'y remettre en septembre 2023. Pour elle, la période est plus propice que le début d'année : « Avec la rentrée, Halloween, Thanksgiving, Black Friday, Noël et le nouvel an, le capitalisme sera à pleine puissance. Les entreprises vont doper leur marketing au maximum. C'est donc le test ultime. » Cela autorise un sevrage progressif du shopping (il est possible d'acheter pour les autres) et permet de se fortifier à l'approche de la nouvelle année, où le blues d'après les fêtes (rappelons qu’apparemment les gens seraient au plus bas lors du Blue Monday, le troisième lundi de janvier) incite à s’octroyer une petite dose de dopamine ou ouvrant son porte-monnaie.
Le rangement par le vide
Le défi no buy est peut-être l'une des pratiques les plus radicales adoptées par celles et ceux qui entendent remettre de l'ordre dans leur vie et mener une existence plus « saine », moins « encombrée. » À ce titre, les contenus no buy s'inscrivent dans la sphère des vidéos anti-consuméristes, presque aussi populaires que leurs antithétiques « hauls » (on montre ses achats) et « unpackings » (on déballe des achats).
Parmi elles, les incontournables listes d'objets sur lesquelles on tire une croix, véritables marronniers des réseaux, qui se déclinent selon toutes les thématiques (50 choses que je n'achète plus en 2024, ou 30 choses que je n'achète plus pour mon bébé), les vidéos « declutter with me » (faites le vide avec moi), dans lesquelles des youtubeuses en legging passent au crible leurs possessions superflues pour s'en débarrasser, ou encore les conseils pour adopter un mode de vie plus frugal et vivre avec moins de 30 vêtements (3 étapes pour mettre au point une garde-robe minimaliste, j'ai testé une garde-robe minimaliste pendant un mois). Cette année, ce sont aussi les vidéos « reset » (mise à niveau) qui sont devenues très populaires. Au programme : bien se préparer pour l'année à venir, en établissant la liste de ce qui est in (on garde) ou out (on vire). Cette fois, l'enjeu n'est pas que matériel. Il s'agit de faire le tri parmi les pratiques et habitudes que l'on veut conserver et développer (se déplacer à pied, faire plus de lithographies, passer du temps sur Skype avec sa grand-mère) et celles dont il faut se dépouiller (faire des heures sup' non rémunérées, scroller sans fin sur Instagram, se coucher après deux heures du matin en semaine). En début d'année sur les réseaux, les bonnes résolutions se portent bien.
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