Encouragés par d'éloquents gourous pour qui l'argent, c'est de la bonne énergie, les parieurs « Main Street » réinventent notre rapport à l'argent et s'imposent comme des acteurs incontournables du monde de la finance.
Classique pyramide de Ponzi ou nouvelle poule aux œufs d'or ? Une chose est sûre, maintenant que tout un chacun s'amuse à jongler avec les Bitcoins, Ethers et autres cryptomonnaies, notre rapport à l'argent est en train de drôlement se désinhiber. Un peu comme la révolution sexuelle en son temps, mais avec une application de trading entre les mains.
Michael Burry est à la finance ce que Batman est à la justice. Un super-héros !
À la différence près que Burry n’est pas seulement un personnage de film (en l’occurrence The Big Short) interprété par Christian Bale. Burry, c’est aussi ce financier tout à fait réel qui a compris avant tout le monde que la crise des subprimes allait éclater, et qu’elle allait faire des ravages. Depuis, Michael reste avant tout un spéculateur affûté. Mais il a gardé ce côté chevalier blanc qui dénonce les failles du système financier (les gouffres, devrait-on dire). Et quand il tweete, rarement, c’est toujours pour jouer les oracles.
Alerte aux petits porteurs !
Le 17 juin 2021, Michael Burry publiait un tweet – détruit depuis. Il mettait en garde les investisseurs individuels. En cause, l’instabilité dangereusissime du cours des cryptomonnaies. « Tout le battage médiatique / spéculation est fait pour attirer la vente au détail, avant que ne se déchaîne la mère de tous les accidents. Lorsque la crypto chutera de milliers de milliards de dollars, ou que les stocks de mèmes tomberont par dizaines de milliards, les pertes de #MainStreet approcheront celles d’un pays. L'histoire n'a pas changé. »
Burry n'est pas le seul à alerter les petits porteurs. En France, l’économiste Jacques Mistral, membre du Conseil d'analyse économique, ancien conseiller de Michel Rocard puis de Laurent Fabius... pas franchement un lapin du semestre, donc, ne décolère pas contre les cryptomonnaies et leur caractère hautement spéculatif. Dans le numéro du 1 du 23 juin 2021, il déclarait tout de go : « En langage savant, cela s’appelle une pyramide de Ponzi – cela monte tant qu’il y a des gens qui veulent acheter – et en langage commun, cela s’appelle une arnaque. » Et bim ! dans ton Bitcoin !
Si en 2021, t'as pas ton portefeuille de cryptos, t'as raté ta vie !
Mais les experts ont beau aboyer, la caravane des « cryptofans » passe, galope même, et ses rangs ne cessent plus de grossir. Rien, ni personne, ne semble pouvoir arrêter ces nouveaux adeptes de la spéculation. Wall Street a maintenant son pendant – « Main Street » – composé de ces traders amateurs plus ou moins éclairés – qui à la faveur des confinements se sont découvert une passion pour la Bourse. Et ils sont maintenant des millions à spéculer sans vergogne.
(...) les années 2020 s'attaquent à une autre zone autrement plus interdite : l'argent.
En avril 2021, l’application Robinhood, qui permet aux particuliers de jouer les traders, et Coinbase, la plateforme d'échange de cryptomonnaies, occupaient aux États-Unis les deux premières places du podium de l’App Store – généralement trustées par TikTok et Instagram. En France, Binance, l’appli de trading, connaissait une hausse de 650 % au premier trimestre 2021, selon App Annie, avec 335 000 téléchargements.
La révolution monétaire is the new révolution sexuelle
Pourquoi un tel emballement ? Il y a évidemment l’appel des cryptomonnaies qui promettent de devenir millionnaire en quelques clics. Mais les motivations sont plus complexes que ça. Il y est question de plaisir, de jeu, de sociabilisation aussi, mais surtout d’empowerment. Comme les années 1970 s’attaquaient au tabou du sexe avec la révolution sexuelle, les années 2020 s’attaquent à une autre zone, autrement plus interdite : l’argent. Le défi que lance Main Street à Wall Street est plus punk qu’il n’y paraît. Les petits porteurs réclament leur part du butin. Ils veulent arrêter de subir un système financier imposé par les grands experts et les grands banquiers. Et, à force de vouloir comprendre comment ça marche, au passage, ils ont pigé que la monnaie n’était qu’une convention.
Qu’on pouvait la remettre en cause. Se l’approprier. Créer la sienne. Jouer avec les cours. S’organiser ensemble pour les faire fluctuer. Après la révolution sexuelle des corps, la révolution monétaire des portefeuilles ? Oui, c’est bien de cela dont il est question. Et à ce petit jeu là, est-ce que Michael et Jacques ont les réponses : qui a le plus à y gagner ? Qui a le plus à perdre ?
Ce papier de cadrage est issu de la revue 27 disponible ici.
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