un couple à la plage

Les engagements verts des influenceurs sont-ils voués à être bidons ? (Oui)

© Sans filtre

Prêcher le respect de l’environnement tout en incitant à la consommation, le triste destin des créateurs de contenus.

Dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès intitulée Les habits verts des influenceurs, Mises en scène de soi « écolos » au service des imaginaires consuméristes, Erica Lippert, docteure en analyse du discours environnemental de l'Université libre de Bruxelles, décortique la manière dont les influenceurs prônent une consommation dite durable sans bousculer le système. Il ne faudrait pas non plus tirer une croix sur les partenariats commerciaux et le lancement de produits dans l'ensemble plutôt inutiles. Et ce même si un nombre croissant de penseurs et scientifiques souligne l'incompatibilité entre écologie et capitalisme.

Sauver la planète, un code promo à la fois

Face à ce constat, nul besoin pour les influenceurs d'être gênés aux entournures. En 1999, les sociologues Luc Boltanski et Eve Chiapello démontraient dans Le nouvel esprit du capitalisme que toute critique du capitalisme aboutissait invariablement à une reformulation de ce dernier, assurant la pérennité du système. Et tous les pans de la consommation y passent. En 2009, le théoricien britannique Mark Fisher expliquait dans Le Réalisme capitaliste. N'y a-t-il aucune alternative ?, que les objets culturels mus par une volonté d'émancipation (le rock, les films montrant les riches comme d'affreux parasites...) ont vocation à être réabsorbés et exploités par une l'industrie capitaliste du divertissement.

Récemment, l'anthropologue Fanny Parise, spécialiste de l’évolution des modes de vie et de la consommation, allait plus loin en expliquant pourquoi la consommation responsable, en s'imposant en tant que culture dominante, ne résoudrait aucun enjeu écologique. « L’incitation à la consommation passe désormais aussi par des arguments écologiques, qui gomment les attributs industriels des produits. Les influenceurs employant des arguments écologiques s’inscrivent généralement dans le modèle environnementaliste, qu’ils confortent et façonnent en retour », résument Raphaël Llorca et Benoît Heilbrunn en avant-propos de l'étude de la Fondation Jean Jaurès. Pour émerger sur les réseaux, la posture écologique fait office de « stratégie banalisée », à base de publicités déguisées, de storytelling plus ou moins faisandé et de labels verts en carton destinés à plébisciter une consommation vertueuse. Celle-ci s'exprime principalement au travers du recyclage ou de l'achat de produit bio ou fabriqués en France, et se décorrèle de toute forme de discours politique.

La durabilité après la désirabilité

Pour analyser le phénomène, Erica Lippert s'est penchée sur les publications d'influenceurs français populaires, comme Tibo InShape ou EnjoyPhoenix. Pour la chercheuse, les publications de cette dernière faisant la promotion des produits de sa marque de soins de la peau s’appuient sur des arguments dits « environnementalistes » : « Ils véhiculent un imaginaire hygiéniste de l’environnement, étant donné que les ressources "naturelles" (on ne sait pas lesquelles) deviennent ici pourvoyeuses de soin, de beauté et de bien-être. La protection environnementale est engagée par un achat permettant aux consommateurs d’accéder à la fois à un produit qualitatif, bon pour eux d’abord, et à un acte moral ensuite : l’exonération de produits synthétiques et une nature protégée par des labels "bio" ». En arrière-plan, l'idée que « la consommation peut devenir une "arme" contre la dégradation environnementale. »

La chercheuse a aussi passé au crible les publications de créatrices ayant placé l'écologie au cœur de leur contenu. Au programme : « expression d’émotions positives suscitées par la consommation de produits vertueux et efficaces », pub subjectivisée à l'excès plaçant la consommation et l’expérimentation du produit par l’influenceuse avant l'écologie, et rapport anthropocentré à la nature, qui se retrouve dans un rapport d’exploitation ou d’instrumentalisation pour servir bien-être, plaisir ou santé. Bref, à de rares exceptions près (Camille Girl Go Green...), les influenceurs ne remettent guère en cause le paradigme socio-économique contemporain. « La consommation et l’acte d’achat s’avèrent les seuls leviers de changement possible. C’est aussi le "petit geste" qui prime, tant qu’il ne brusque pas les consommateurs (...). Le « vert » est désormais une couleur attrayante, de l’ordre de l’esthétique : il s’agit d’un enrobage plus que d’une application », résume Erica Lippert.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Aurelien Terrassier dit :

    Cela est risible. Même en prônant une écologie de façade, un influenceur reste un influenveur et prône toujours autant le consumérisme numérisé et carbonisé qui est un fléau! Le but de l'influencerie est de mettre en avant leur petit vedettariat qui ne peuvent pas forcément avoir sur le petit écran dont les annonceurs sont parfois moins tentés que sur internet. Si des militant.e.s vraiment écologistes nous parlent de certains produits innovants sans les vendre tout en fustigeant le consumérisme qui est un nouveau fondalisme là je prends.

Laisser un commentaire