Une main derrière un tissu rouge fait son empreinte

L'érotisme augmenté, entre libération et nouvelles pathologies

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« Le futur des mondes persistants sera cybersexuel ou ne sera pas », prône l’artiste Yann Minh. Est-ce bien vrai ? Réponses avec Cathline Smoos, sexologue, psychologue et spécialiste de la VR.

À la croisée du soin, de la recherche et de l’expérimentation, Cathline Smoos s’intéresse à la manière dont les nouvelles technologies – réalité virtuelle (VR), réalité augmentée (AR) et environnements immersifs comme VRChat – transforment nos représentations, nos pratiques et nos expériences sexuelles. À la fois clinicienne, sexologue de formation, et exploratrice du cyberespace, elle partage son temps entre les consultations en cabinet et des formats plus nomades – en VR notamment. Depuis cinq ans, Cathline Smoos est spécialiste de l’impact des technologies immersives sur le corps, le désir et le lien à l’autre. À travers ses recherches, elle sonde les usages émergents du cybersexe et nous ouvre les portes d’un futur inclusif et décomplexé, dans lequel s’impose, entre autres, la plateforme VRChat.

En quoi l’erotic roleplay (ERP) auquel on peut s’adonner sur une plateforme comme VRChat diffère-t-il de la pornographie en VR ?

Cathline Smoos : L’ERP et le porno VR n’ont pas les mêmes buts. L’ERP est une interaction sociale, accessible gratuitement. On y vient pour avoir un contact à l’autre, même s’il n’est pas toujours aisé de trouver le ou la bonne partenaire de jeu. Il conserve l’aspect amoureux, c’est un excellent outil pour les relations à distance. Par ailleurs, dans ce type de sexualité, il y a un aspect ludique. On peut exprimer d’autres formes de soi, à travers des jeux de rôle qui permettent de s’ouvrir, de s’observer, de se penser à travers son avatar. On ajoute une forme théâtralisée et un anonymat qui nous donne le sentiment d’être protégé. Cela peut être une forme de réparation. Pour des patients qui ont l’imaginaire bloqué, ça marche très bien, c’est un espace où ils peuvent penser par eux-mêmes. La dynamique du porno en VR est très différente. La charge érotique est d’emblée forte et littérale. Il s’agit d’environnements où on n’est que consommateur de contenu, sans interaction possible. Le porno VR séduit souvent des personnes plus âgées, alors que l’ERP attire des publics très jeunes. Sur VRChat, passé 30 ans, on est vieux !

L’utilisation d’avatars pour étendre nos expériences sexuelles, est-ce si nouveau ?

C. S. : La cybersexualité connectée commence avec le sexto. Mais les mondes virtuels immersifs comme VRChat ajoutent vraiment une nouvelle dimension. Désormais, les corps physiques s’hybrident avec les corps numériques. Se vivre dans les caractéristiques de son avatar, c’est un moyen de se réapproprier les codes culturels et de se raconter des histoires. Si une femme est habillée en domina BDSM, elle associe sa tenue à des réflexes et à des attitudes. Puis, peu à peu, elle se précise dans son rôle, qui devient moins caricatural, elle dépasse ces attributs. C’est ce qui est intéressant, notamment dans l’ERP furry (personnage animalier anthropomorphique, inspiré de l’anglais « fur », qui désigne la fourrure, ndlr), quand la perception du corps est complètement modifiée selon que l’on incarne un loup, un monstre ou un objet. C’est une exploration intéressante, qui nécessite de dépasser parfois des codes moraux.

On entend souvent que 50 % des personnes pratiqueraient le cybersexe. Pourtant, on a tendance à considérer qu’il serait une version pauvre de la « vraie » sexualité. Qu’en pensez-vous ?

C. S. : C’est méconnaître la créativité que les mondes virtuels autorisent. Le cybersexe ne remplace pas la relation au corps, mais ajoute une nouvelle réalité, très créative, et qui éveille des choses en nous. La technologie va soutenir la sexualité et permettre de nouvelles excitations extraordinaires, de déployer de nouveaux fantasmes qu’on ne pourrait pas avoir dans la vraie vie. Elle nous fait penser l’érotisme différemment. Dans des mondes comme VRChat, les jeux de rôle favorisent une sexualité hybride entre les réalités physiques du corps et le fait de prendre un autre corps dans le numérique. On explore alors le lien avec la limite, avec une forme de toute-puissance.

L’anonymat possible dans les ERP aide-t-il à dépasser certaines formes d’autocensure ?

C. S. : On peut explorer facilement quand on est caché. On s’adresse à l’avatar et non à la personne derrière. À travers lui, premier garde-fou, on ne ressent pas le non-verbal et on n’est pas confronté au rejet. On perd donc des informations corporelles importantes, mais on gagne en qualité de communication. Il est difficile, par exemple, de jauger l’âge des personnes, d’autant que certaines modifient leur voix. Cela peut être super, comme dramatique, lorsqu’il s’agit de personnes malfaisantes. Les pédocriminels existent aussi dans ces univers, et savent jouer avec les codes et les avatars. 

Dans VRChat, 80 % des hommes utilisent des avatars féminins, souvent ultrasexualisés. Pourquoi ?

C. S. : Tout le monde pratique la fluidité de genre et personne ne le conteste. C’est le monde de l’imaginaire. Ça permet d’expérimenter des interactions inaccessibles dans la réalité physique et de se libérer des inhibitions sociales. Par ailleurs, il y a quelque chose de narcissique dans la sexualité, il y a l’idée de s’autofantasmer — de choisir un avatar pour le sexualiser selon ses propres désirs sexuels. Mais la raison principale est logique : au même titre que les personnes qui aiment se travestir, les joueurs aiment la profusion d’accessoires et de possibilités qu’offrent les skins de femmes. Les avatars masculins sont plus pauvres en matière de tenues et de fantaisies.

En 2023, une étude indépendante démontrait que les hommes représentaient 82 % des utilisateurs de VRChat. Et 7 % de joueurs et joueuses se revendiquent trans ou confient souffrir de dysphorie de genre. Quelles conclusions peut-on en tirer ?

C. S. : On comprend aisément ce que les personnes trans peuvent trouver en ce qui concerne les libertés et l’exploration dans le cyberespace. Dans la thérapie grâce à la VR, il y a un relâchement du corps, une posture plus détendue, une forme de cohérence avec un corps qui nous convient mieux. On peut soigner l’anxiété sociale, chatter avec des gens, les personnes vont se livrer plus rapidement et plus facilement. C’est ce que l’on appelle « l’extimité », ce besoin de livrer une partie de son intimité sur les réseaux alors qu’on ne l’aurait pas fait dans la vie.

La « sexualité cybernétique » imbrique la fiction et la réalité, jusqu’à faire atteindre des états de conscience modifiée exceptionnels. Y a-t-il des limites, des dangers à cela ?

C. S. : Si les possibilités sont vertigineuses, il convient d’être vigilant et de ne pas dépolitiser ces espaces numériques. La technologie s’immisce pour soigner un problème que la société ne prend pas en main. L’isolement social, si on le prenait en compte avec des moyens alloués à la thérapie, les gens ne se tourneraient pas forcément vers des IA mais vers des professionnels. Et puis qu’est-ce que ça dit de notre société et de la difficulté d’être soi-même dans la sexualité, si l’on a besoin de se réfugier dans les espaces numériques pour être libre ?

Quant aux risques, effectivement, certaines personnes finissent par ne se vivre qu’à travers leur identité numérique et ne vont même plus investir leur soi réel. On peut considérer que c’est une nouvelle forme de pathologie, qui peut apporter des problématiques telles que la dysmorphophobie, donc des souffrances. Mais ce sont des cas extrêmes. C’est un peu comme les filtres Insta : si la moitié de sa vie, on ne se voit qu’à travers un filtre, on finit par rejeter sa personne réelle. 

Qu’en est-il des IA girlfriends ou des robots ?

C. S. : Là encore, ça pointe la problématique d’une société où on ne prend pas assez soin des autres. Donc, on se tourne vers les IA. Le problème, c’est « l’ami du point de vue unique » : l’algorithme ne va jamais nous contredire, il ne fait que valider nos croyances. Dans ce lien numérique avec un ami qui dit oui à tout, tout en procurant des conseils parfois assez bons, on ne va jamais se confronter à d’autres réalités — et on va donc rester dans sa bulle de satisfaction. Plus on sera dans ce rapport-là, plus on va livrer son intimité pour peut-être trouver une communauté qui nous ressemble. À l’inverse, on peut créer un rapport à la sexualité très objectifié : « Je veux que tu correspondes à mon critère », avec un aspect de consommation des êtres humains plutôt que de construction de relations. Et quand le numérique se confronte à la réalité, « je te dégage ». Il y a toujours une question politique systémique du numérique. Il est conçu pour susciter notre intérêt et nous rendre accro. Il est facile de se trouver embrigadé là-dedans.

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commentaires

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  1. Avatar Maitre Tékà dit :

    Très intéressant comme articles. J'aurai pas penser que un sexologue puisse étudier coté VRChat. C'est une bonne chose, sa montre que même les professionnels prennent aux sérieux VRChat qui selon moi reste le meilleur metavers à l'heure actuel.

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