Peinture intitulée  - Chasse Sauvage -  de Wladyslaw Czachórski

Le trouble de la rêverie compulsive : la nouvelle maladie des réseaux sociaux

© Peinture intitulée "Chasse Sauvage" de Wladyslaw Czachórski

Sur les forums, des milliers de jeunes partagent leur expérience d’un problème de santé mentale méconnu : le TRC.

Ben étudie l’histoire dans une grande université israélienne. Passionné de musique, c’est un joueur de guitare depuis qu’il est tout petit. Adolescent, Ben pouvait passer des heures à jouer devant des camarades de classe admiratifs. Sauf que cette scène n’avait pas lieu entre les murs d’une salle de concert, mais dans sa tête. Ben fait partie de la première étude thérapeutique sur le trouble de la rêverie compulsive (TRC).

« Le TRC est un problème de santé mentale qui se traduit par une rêverie excessive et immersive. » En plus d’être le thérapeute de Ben, Eli Somer est la référence sur le TRC. C’est lui qui a découvert ce phénomène en 2000, lorsque six de ses patients lui ont raconté des états de rêverie excessivement longs. Le TRC pourrait être un phénomène plus commun qu’on ne le pense. Dans une étude, des chercheurs ont estimé qu’un participant sur quarante remplissait les critères associés à cette condition mentale. Comme Ben, les personnes concernées souffrent généralement d’anxiété ou de problèmes d’attention.

Escapism : l'envie d'une autre réalité

Dans ses rêves, Ben est un musicien accompli qui sort avec la « petite copine parfaite ». Mais tandis que ce scénario constitue une source de plaisir extrêmement addictive, c’est sa vie réelle qui s’écroule autour de lui. Ben a des problèmes de santé mentale, une vie sociale en berne et ne parvient plus à suivre le rythme imposé par ses études.

« Trop souvent, je me retrouve à éviter les tâches quotidiennes importantes, comme prendre soin de moi ou faire le ménage parce que la fantaisie est juste plus attrayante. » Le forum Reddit Maladaptive Daydreaming compte 123 000 membres qui racontent chaque jour des histoires similaires. Dans un post, Ana explique comment une rupture amoureuse l’a précipitée sur le site Character.AI – qui permet aux utilisateurs de nouer des relations avec des bots. Elle tombe immédiatement accro à l’avatar d’un acteur de cinéma. « C'est arrivé de nulle part ! C'était comme si j’avais été renversée par un train. Soudain, j'en avais complètement fini avec mon ex. » Ana développe une telle obsession pour son personnage qu’elle n’arrive plus à dormir, et estime passer 80 % de son temps à rêver d’une autre réalité.

Pour Eli Somer, le TRC s’apparente à un escapism, un mot anglais qui désigne la tendance des humains à fuir la réalité et son lot de désagréments. Oublier une rupture amoureuse, relever la tête face au harceleur du lycée ou s’inventer une vie sociale, les raisons ne manquent pas pour s’immerger dans une réalité alternative. Mais cette stratégie aurait tendance à aggraver la santé mentale plutôt qu’à l’améliorer d'après le spécialiste.

Mon petit TED Talk à moi

De quoi rêvent les personnes souffrant de TRC ? D'après un sondage, ils fantasment généralement vers une version idéalisée d’eux-mêmes. « Je préfère rêver d’attention et d’éloges plutôt que de recevoir de l’attention dans la vraie vie », raconte l’un des membres de la communauté qui s'imagine en train de captiver le regard en affrontant des personnages de jeu vidéo. Dans le même thread, un utilisateur lui répond : « Mes TRC impliquent souvent des scénarios dans lesquels je partage mes opinions et je reçois des éloges. J'appelle ça mon TED Talk interne. » Un autre raconte : « Je m’imagine sous mon meilleur jour, en train de recevoir l’attention des autres. J’ai le sentiment que ça vient de mon besoin de validation, de ma solitude et de mon manque de confiance en moi dans la vie réelle. »

Pour Eli Somer, l’utilisation intensive des réseaux sociaux pourrait alimenter ce type de vulnérabilités. « C’est un miroir numérique déformant, qui modifie la perception de soi et de la réalité. » Les jeunes seraient donc plus enclins à fantasmer et à développer un sentiment d’infériorité, qu’ils compenseraient en créant des réalités alternatives. Comment affronter un phénomène aussi méconnu que le TRC ? Pour aider Ben à sortir de l’addiction, Eli Somer a dû créer une thérapie sur mesure. Utilisateur compulsif de réseaux sociaux, Ben est parvenu à réduire son temps d’écran et a découvert la méditation de pleine conscience. Avec des résultats encourageants : trois mois après le début de la thérapie, Ben a rencontré une fille sur le campus de sa fac.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Un article tout à fait passionnant et qui met au jour un phénomène d'une banalité telle qu'on pourrait dire qu'il s'agit d'une pathologie sociale, et même mondiale dans la création d'une communauté planétaire alimentée par les réseaux sociaux. Cette non confrontation au réel au travers de la création d'un autre soi qui lui à la maitrise sur sa propre réalité permet tous les possibles en matière de gouvernance et cela n'a pas échappé aux politiques et au milliardaires digitaux de la planète.

  2. Avatar Anonyme dit :

    Impressionnant et inquiétant : que seront donc leurs espérances quant à leur vie, leur avenir ?

  3. Avatar Anonyme dit :

    J'ai le TRC et je suis sur des forums de comunote et je peux affirmer avec certitude qu'il n'y a pas de rapport avec les resaux sociaux (en tout cas pour moi).

  4. Avatar Stéphanie dit :

    Encore un nouveau concept qu’on croit découvrir juste maintenant et et la facilité d’aller chercher la cause dans les réseaux sociaux.
    Je comprends donc que j’en ai souffert a l’adolescence avec même des réminiscences par la
    Suite. Pas besoin d’internet pour cette pathologie

  5. Avatar Léa dit :

    Je vis cela depuis mon adolescence, Facebook venait à peine d’arriver. Cela n’a rien à voir avec les réseaux sociaux. Un livre, une histoire écoute, une série, un animé/manga, un film suffisent pour démarrer son univers alternatif. La plupart du temps, la porte en entrée pour ce plongée dans son univers alternatif c’est la musique. Moi c’est le cas, je passe des heures dans mes rêves éveillés sauf que ça me bouffe la vie. La réalité est fade et triste par rapport à l’univers que l’on peut vivre dans notre tête. C’est un échappatoire qui prends le pas sur notre réalité et c’est ça le problème.

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