Jim Carrey dans The Truman Show

Le libre arbitre n'existe pas : nous ne sommes jamais responsables de nos actes

© The Truman Show

Robert Sapolsky, neurobiologiste à Stanford, estime que nous n'avons aucun réel contrôle sur nos actions. Accepter l'idée rendrait selon lui nos sociétés plus justes.

Vainqueur de la mythique « bourse des génies » attribuée par la fondation MacArthur, Robert Sapolsky à 66 ans, la barbe d'un ZZ Top et une solide réputation parmi ses pairs. Après plus de 40 ans d'études menées sur les hommes et les primates, le chercheur explique dans son tout récent ouvrage Determined: A Science of Life without Free Will que nous ne contrôlons pas plus nos comportements que la division de nos cellules ou les battements de notre cœur. « Cela implique d'accepter l'idée qu’un homme qui tire sur une foule n’a pas plus de contrôle sur son sort que les victimes qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Cela signifie traiter les conducteurs ivres qui foncent sur les piétons, tout comme les conducteurs qui subissent une crise cardiaque soudaine et quittent leur voie », résume le Los Angeles Times.

« Arrêtez de nous attribuer des choses qui ne sont pas là »

« Le monde est vraiment foutu et rendu bien plus injuste par le fait que nous récompensons les gens et les punissons pour des choses sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle. Nous n’avons pas de libre arbitre. Arrêtez de nous attribuer des choses qui n’existent pas », déclare Robert Sapolsky, bien conscient que sa position radicale ne fait pas l'unanimité. En effet, la plupart des neuroscientifiques et des philosophes estiment que les hommes possèdent au moins un certain degré de libre arbitre. En réponse, le neurobiologiste explique que si l'analyse du comportement humain à travers le prisme d’une seule discipline laisse place à la possibilité que les gens choisissent leurs actions, sa longue carrière interdisciplinaire l'a conduit à une conclusion inévitable : le libre arbitre est un mythe, et plus tôt nous l’accepterons, plus vite notre société pourra devenir moins injuste. Nous sommes des machines, affirme le chercheur, exceptionnelles dans notre capacité à percevoir nos propres expériences et à ressentir des émotions à leur sujet, mais des machines tout de même. Et on ne peut blâmer une machine pour ses échecs.

Dans l'histoire, nous sommes les limaces de mer

Nous savons que notre constitution est influencée par les gènes hérités d’ancêtres lointains et par la santé de notre mère pendant sa grossesse, et que nous prenons des décisions moins pertinentes lorsque nous sommes affamés, stressés ou effrayés. De nombreuses études indiquent que les personnes ayant grandi dans des foyers marqués par la violence et la pauvreté percevront le monde différemment de ceux ayant vécu dans un environnement stable. Beaucoup de choses importantes échappent à notre contrôle. « Mais genre, tout... ? Nous n'avons aucun contrôle significatif sur nos choix de carrière, partenaires romantiques ou projets de week-end ? Si vous tendez la main maintenant et prenez un stylo, même cette action insignifiante était-elle d’une manière ou d’une autre prédéterminée ? », interroge le média américain. Oui, répond inlassablement le scientifique.

Dans son précédent ouvrage Behave: The Biology of Humans at Our Best and Worst (2017), Robert Sapolsky décomposait les influences neurochimiques qui contribuent aux comportements humains, analysant les millisecondes ou les siècles précédant l'action en question, qu'il s'agisse d'appuyer sur une gâchette ou de caresser amoureusement le bras de quelqu'un. Avec son dernier livre, le scientifique va plus loin, expliquant que s’il est impossible pour un seul neurone d’agir sans l’influence de facteurs indépendants de sa volonté, il ne peut y avoir de place chez les individus pour le libre arbitre.

D'après le scientifique, sa théorie n’exclut pas les revirements de trajectoires. Lui-même est devenu scientifique et athée après avoir été élevé dans une famille juive orthodoxe de Brooklyn. Le changement est toujours possible, affirme-t-il, mais il provient de stimuli externes. Les limaces de mer peuvent par exemple apprendre à reculer par réflexe après un choc électrique. (Et oui, dans cette métaphore, nous sommes les limaces de mer.) Par les mêmes processus biochimiques et l'exposition à des processus externes, les humains peuvent voir leurs comportements se transformer.

Bienvenue chez les déterministes

Pour les adhérents aux doctrines déterministes, le livre de Robert Sapolsky est salutaire. « Qui nous sommes et ce que nous faisons est en fin de compte le résultat de facteurs indépendants de notre volonté et, de ce fait, nous ne sommes jamais moralement responsables de nos actes dans le sens où nous méritons vraiment des éloges et des reproches, des punitions et des récompenses. Je suis d’accord avec Sapolsky sur le fait que vivre sans croire au libre arbitre est non seulement possible mais préférable », a déclaré Gregg Caruso, philosophe à SUNY Corning. Dans cette optique, le philosophe promeut la prévention des activités criminelles futures plutôt que l'attribution de responsabilités. Pour lui, se concentrer sur les causes des comportements violents ou antisociaux au lieu de répondre à un désir de punition permet d’adopter des pratiques et des politiques plus humaines et plus efficaces.

Embrasser l'illusion

Pour Peter U. Tse, auteur du livre « The Neural Basis of Free Will » (2013) et neuroscientifique à Dartmouth, Robert Sapolsky est à la fois « extrêmement brillant et complètement dans l'erreur ». Selon lui, l'activité neuronale est très variable. Des entrées similaires entraînent souvent des réponses non identiques chez les individus et les populations, et ce, même si l’éventail des résultats potentiels est limité. Pour Peter U. Tse, le positionnement de Robert Sapolsky est potentiellement dangereux, un avis partagé par des chercheurs qui estiment pourtant que la biologie limite nos choix.

Parmi eux : Saul Smilansky, philosophe à l’Université de Haïfa en Israël et auteur du livre Libre arbitre et illusion, qui rejette l’idée selon laquelle il est possible de transcender toutes les contraintes génétiques et environnementales. Mais si nous voulons vivre dans une société juste, nous devons y croire. « Perdre toute croyance dans le libre arbitre et la responsabilité morale serait probablement catastrophique », a-t-il noté. Une étude de 2008 montre par exemple que les personnes ayant lu des textes rejetant l'existence du libre arbitre étaient ultérieurement plus susceptibles de tricher lors d’un test. D'autres études ont montré que les personnes qui ont le sentiment d’exercer moins de contrôle sur leurs actions se soucient moins de commettre des erreurs dans leur travail, et que rejeter le libre arbitre conduit à plus d'agressivité et moins de serviabilité. Conscient des enjeux, Robert Sapolsky cite Ted Chiang, auteur de fiction spéculative. Dans la nouvelle What's expected of us (Ce qui est attendu de nous), le narrateur dit : « Il est essentiel que vous vous comportiez comme si vos décisions comptaient, même si vous savez qu’elles n’ont pas d’importance ».

Robert Sapolsky sait que sa théorie ne séduira pas tout le monde. « Il est difficile de convaincre les personnes qui ont subi des préjudices que les auteurs de ces actes méritent moins d’être blâmés en raison de leur histoire de pauvreté. Il est encore plus difficile de convaincre les riches que ce qu'ils ont accompli mérite moins d’éloges en raison de leur histoire privilégiée », résume le média angelin. Avec son travail, le scientifique espère toutefois nous rendre plus compatissants, en faisant par exemple mieux comprendre comment les traumatismes précoces peuvent parfois reconfigurer les cerveaux. « Il est logiquement indéfendable, ridicule et dénué de sens de croire que quelque chose de "bon" puisse arriver à une machine, écrit-il dans son livre. Néanmoins, je suis certain qu'il serait bon que les gens ressentent moins de douleur et plus de bonheur. »

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar mme padrosa dit :

    mon avis .
    c est une vision pessimiste sans espoir de s en sortir dans la vie, qui renforce le destin des personnes défavorisées à la base et qui n incite pas les enfants à faire des études ou à faire des projets d avenir si en fait on n a pas d'avenir..si on connait à l avance la destinée sans issue de sa vie..
    Bref tes parents, tes origines défavorisées "conditionnent" implacablement ta vie alors cela pousse au désespoir et à sombrer dans la délinquance, la drogue et le suicide.
    je préfère ne pas y penser et ne pas me mettre ces idées en tête même si on peut être d accord globalement

  2. Avatar Philippe Lévi dit :

    c'est un sujet provocateur! mais il n'y a pas lieu de penser que les enfants n'en seront plus incités à étudier par exemple! ...
    comment ça se passe aujourd'hui? exactement comme vous le décrivez: les enfants des classes défavorisées savent intuitivement (en général) qu'ils n'auront pas la vie des enfants des classes plus favorisées. Dans la plupart des pays du monde, si vous naissez noir vous savez que cela va être beaucoup plus difficile pour vous, si vous naissez femme également, vous savez que même en vous battant cela sera compliqué d'avoir la rémunération d'un homme pour la même tâche (et dans beaucoup d'endroits d'avoir même accès à des études). ... donc le sentiment de prédetermination est déjà très fort. Mais il est souvent niés (tous les hommes sont égaux ... même si on rajoutait que certains le sont plus que d'autres! 🙂 )
    si on prend correctement en compte le type de prédétermination de l'auteur, prédétermination qui s'inscrit dans un contexte, on pourra plus facilement agir sur ce contexte et, de ce fait, changer cette prédétermination. Car elle est lié aux conditions externes comme il le fait remarquer.
    Ensuite ... la prédertermination dépend du degré de connaissance/ignorance que l'on a tant du sujet que du contexte. un enfant né dans une famille pauvre est condamné à la pauvreté. c'est déterminé si l'on se situe à un niveau global, statistique. mais si on prend un enfant en particulier cela ne fonctionne plus. il n'y a aucune raison que cet enfant soit représentatif de la moyenne.

  3. Avatar Nicolas Carras dit :

    Si je tape un enfant une fois et qu'il a mal, je me rends compte qu'il a mal. Si je le tape une deuxième fois, je sais qu'il va avoir mal à nouveau. Donc je peux décider de ne pas le faire, et si je le fais, c'est en ayant conscience, car c'est imprimé dans mon cerveau, qu'il va à nouveau avoir mal. Donc je peux décider de ne pas lui faire du mal, et même si cela vient d'une pulsion, je peux décider de contrôler cette pulsion violente, car j'ai bien conscience qu'elle engendre du mal. "Le libre-arbitre n'existe pas : nous ne sommes jamais responsables de nos actes" ... Vous racontez n'importe quoi. Le cerveau humain à la capacité, contrairement au cerveau animal, d'engendrer un espace virtuel multidimensionnel. C'est un espace de création, de réflexion, dans lequel je vais agencer les idées, créer des boites, créer de la musique, entendre la musique que je crée, me projeter sur un piano jouant cette musique, changer les notes, etc. Projeter des images, projeter des images sur ce que je vois. C'est dans cet espace virtuel que se situe ce que l'on a nommé le libre-arbitre, c'est là qu'il se manifeste. Il n'est en rien une illusion. Si je projette la Joconde sur un paysage que je regarde, c'est bien réel dans mon cerveau, l'acte est réel, je vois bien la Joconde, et je peux aussi projeter toute sorte de choses, c'est de mon libre-arbitre, c'est moi qui choisis, qui décide. C'est là où je peux prendre telle idée qui est bonne, ou telle idée qui est mauvaise, et décider de les appliquer ou non dans ma vie. J'ai dans l'idée de voler dans un magasin, j'ai dans l'idée que c'est mal de voler, voire dangereux, que je pourrais me faire prendre et aller en prison, je peux donc décider de ne pas le faire, et si j'ai faim, décider de faire la manche, de demander de l'argent aux gens dans la rue pour m'acheter à manger. J'ai bien vu que des gens qui avaient faim, ne volaient pas et faisaient la manche, je peux faire la même chose. Ça s'agence dans cet espace virtuel, dans lequel je vais même pouvoir me projeter en train de me faire prendre, en train de voler, marcher dans le magasin, voir la police, me voir en prison. Je suis dans cet espace, libre d'agencer les idées, les sentiments, les pulsions, les impressions, comme bon me semble, comme je le veux. Je peux décider de ne pas penser certaines choses, car j'estime que ce sont de mauvaise pensées. Même les pensées qui viennent toute seule, je peux en faire ce que je veux, car elles se projettent bien dans cet espace, je peux les classer, les ranger dans des boites virtuelles. J'ai un pouvoir dans cet espace, le pouvoir de me dire : "j'ai une pulsion, je veux taper cet enfant, mais il a mal quand je le fais, donc je ne le fais pas". C'est ça le libre-arbitre. D'où ça vient, le comment du pourquoi, qui le sait ? Personne ne sait comment fonctionne exactement le cerveau, la pensée humaine. Le fait est qu'il y a bien quelque chose, un phénomène qui a été nommé libre-arbitre. Comme il y a bien des choses qui ont été nommées l'âme, l'esprit, la conscience. Ce que sont ces choses exactement, nous n'en savons strictement rien. Nier l'existence du libre-arbitre, c'est nier l'existence de l'espace virtuel multidimensionnel dont je parle et dans lequel je peux classer les choses : ça, c'est bien, ça, c'est mal. Un malade, qui fait du mal sans raison valable, sait qu'il est malade et peut décider de se faire soigner. Il a le choix. Il sait qu'il existe des gens qui peuvent l'aider, des médecins. Mais il fait le choix de ne pas le faire, car il a un plaisir à faire le mal, et que ce plaisir, il ne veut pas s'en débarrasser. Un violeur sait qu'il a fait du mal quand il a violé la première fois une femme, il a bien vu que ça la faisait souffrir, c'est inscrit en lui, limage de cette femme hurlant, pleurant, existe bien en lui, il peut la projeter dans son espace virtuel multidimensionnel, comme un film également. C'est juste qu'il peut décider de la mettre dans une boite, afin que ça ne le dérange pas, et violer à nouveau. Il va dire au juge : "Je me suis fait violer quand j'étais enfant.".. Mais le juge va lui dire : "Ok, mais vous avez bien vu que ça vous faisait du mal, et que vous faisiez du mal à la première femme que vous avez violé, femme qui a hurlé, et vous avez continué à la violer, à en violer d'autres, en sachant que cela faisait du mal. Vous auriez pu décider de vous faire soigner en admettant que vous êtes malade, d'aller vous-même au commissariat de police pour avouer et demander de l'aide, à ce que l'on vous arrête, pour que ça cesse. Mais vous ne l'avez pas fait. Vous avez donc en toute conscience fait du mal, vous êtes bien coupable d'avoir fait du mal, le mal que vous avez fait est bien réel"...

  4. Avatar E. Berlherm dit :

    Personne n'a demandé à exister et cela seul devrait annuler la responsabilité de ce que nous faisons pendant notre existence (nous sommes innocents d'exister en permanence). L'univers est "aresponsable" (sans responsabilité), car ce n'est qu'un mécanisme. Ce mécanisme a engendré la matière puis la vie et nous les humains. Comment un grand mécanisme peut-il engendrer autre chose que des mécanismes ? Nous sommes un assemblage de 37 mille-milliards de cellules vivantes qui sont toutes innocentes de leurs actes. Comment l'assemblage de ces milliards de cellules peut-il résulter en un ensemble qui devient responsable? C'est absurde. La responsabilité est une invention pour "déresponsabiliser" les parents et la société dans la fabrication de l'existence de leurs enfants et dans l'éducation. C'est plus facile de se débarrasser de sa pseudoresponsabilité en inventant le "libre arbitre". Un petit coup de baguette magique (abracadabra!), et voilà Pinocchio devient responsable de ses actes... Facile ! Nous sommes tous des Pinocchio...

  5. Avatar E. Berlherm dit :

    L'invention du libre arbitre a des conséquences très négatives sur l'humanité. Le libre arbitre est un fait ou pas. C'est à la Science d'en faire la démonstration. Mais jusqu'à preuve du contraire, il ne peut pas être considéré comme existant, car dans le cas contraire chacun peut inventer n'importe quoi et prétendre à son existence, ce qui serait très commode. Une personne ne possédant pas un libre arbitre ne peut pas être éduquée comme si elle en possédait un. Une personne qui aurait un libre arbitre peut être punie ou récompensée (selon la Justice, mais pas selon moi puisque nous avons tous été contraints d'exister, fabriqués et éduqués par autrui), dans le cas contraire, c'est absurde. L'invention du libre arbitre permet de mettre les gens en prison, de les punir de mort, etc. Elle permet surtout à ceux qui ont accumulé de l'argent ou qui ont du pouvoir sur les autres de prétendre qu'elles le méritent. Sans libre arbitre elles ne peuvent avoir cette prétention. C'est d'ailleurs avec les personnes qui veulent que leur mérite soit reconnu, que l'humanité a le plus gros problème, car elles détiennent le pouvoir gouvernemental et le pouvoir de l'argent ; pourquoi voudraient-elles abandonner ces avantages sur leurs esclaves que nous sommes tous ? Il y a d'autres manières de démontrer l'impossibilité du libre arbitre que j'ai avancé ci-dessus ; par exemple le fait que nous naissons vierges de toutes informations culturelles à la naissance ; par exemple, que n'importe qui peut "écrire" n'importe quoi dans notre cerveau ; par exemple que ce n'est pas nous qui activons nos neurones ; par exemple que nous ne savons pas où se situent les idées, les mots, les fonctionnalités, qui se trouvent pourtant dans notre cerveau et que nous utilisons pour agir, pour parler, pour avoir des buts, des choix, exprimer nos pensées (en fait les pensées qui s'activent toutes seules, et le contraire serait absurde)..., etc.

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