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« Obégiciel » : la surconsommation énergétique ne vient pas des data centers mais de notre poche

Le bilan économique, écologique et social n’est pas brillant. L’entrepreneur Frédéric Bordage propose de le regarder en face, et de passer à l’étape des solutions. ll partagera sa vision sur la scène de L’Echappée Volée, les 4 et 5 juillet 2018.

« La plupart des mots utilisés dans la tech nous laissent penser que le numérique n’a pas d’impacts. C’est tout le contraire. Le bilan existe. Il est lourd. Et il touche à peu près tous les registres : le social, l’environnemental et l’économique. » On ne peut pas franchement soupçonner Frédéric Bordage d’être technophobe. Au contraire. Il compte parmi les premiers à avoir plongé les doigts dans le numérique, et il y a occupé toutes les fonctions : de codeur à CTO… Mais il aura fallu un gros choc pour qu’il prenne conscience du problème. Quand le 11 septembre 2016 son parapente s’écrase au sol, il met plusieurs mois à se relever. Le temps de changer le cap. Il comprend : non, le numérique c’est pas du virtuel perché dans le cloud…

Frederic bordage

LES COÛTS DU NUMÉRIQUE FRAPPENT FORT

Tout ce que nous faisons en ligne a un coût. Chaque page consultée, chaque e-mail envoyé… peut se mesurer en centilitres d’eau et équivalent grammes de CO2. Vous voulez savoir combien consomme la recherche online d’une pizza ? Cela représente 9 grammes en CO2 et 12 centilitres d’eau. On pourrait penser que ce n’est pas beaucoup… mais le cumul de toutes nos actions devient faramineux. Le calculer n’est pas trivial. Heureusement, Frédéric Bordage connaît bien l’arrière-boutique du numérique, et cela lui permet d’être précis. Il n’oublie rien. « On réalise un inventaire du cycle de vie de chaque action pour comptabiliser tous les éléments fonctionnels sollicités – du smartphone au serveur de l’entreprise, en passant par les réseaux des opérateurs –, puis on calcule le prorata temporis de chaque étape. » La méthode est assez unique et, sans vouloir tomber dans les superlatifs, Frédéric Bordage est sans doute l’un des meilleurs experts mondiaux sur le sujet. On peut s’en réjouir… mais pourquoi diable serait-il utile de se préoccuper d’une telle question ? Parce que le numérique représente déjà en matière de dépenses énergétiques l’équivalent d’un 7e continent, et que notre insatiable appétit pour la chose annonce que ce n’est sans doute que le début…

On a beaucoup fustigé les data centers (...) mais le gros de la consommation n’est pas là.

OÙ SE CACHENT NOS DÉPENSES ?

On a beaucoup fustigé les data centers. Frédéric souligne qu’ils ne sont pourtant que l’arbre qui cache la forêt. « Dans les faits, ils ne représentent qu’un quart du problème. Le gros de la consommation n’est pas là. Il est dans la fabrication et l’activation de nos terminaux (smartphone, ordinateur, objet connecté…), puis dans le réseau. L’utilisation de la 4G a un impact énergétique très lourd, 20 fois plus élevé que l’ADSL. Celui du Cloud est aussi très énergivore alors que la plupart des échanges de flux ne sont que des allers-retours totalement inutiles. »

Côté utilisateurs, on peut résumer nos efforts à trois actions. Limiter autant que possible l’utilisation des services Cloud en 4G, éteindre notre box, et allonger la durée de vie de nos équipements.

ALORS MAINTENANT, QU’EST-CE QUE L’ON FAIT ?

Bonne nouvelle. Il existe de vraies solutions, et elles sont toutes relativement simples à mettre en œuvre. Côté utilisateurs, on peut résumer nos efforts à trois actions. Limiter autant que possible l’utilisation des services Cloud en 4G, éteindre notre box, et allonger la durée de vie de nos équipements. « Si vous faites cela, vous aurez fait 80 % du job ! »

Côté entreprise, Frédéric Bordage recommande une conception responsable des services numériques. La méthode est peu pratiquée et c’est fort dommage car elle est extrêmement reposante à imaginer et très efficace quant aux économies réalisées. Son principe ? Couper tout le gras de nos services numériques. Comment ? En ne mettant en ligne que ce dont les utilisateurs ont besoin. Pour comprendre, figurez-vous la page d’accueil de Yahoo! d’un côté, celle de Google de l’autre. D’une part, des informations qui clignotent façon sapin à Noël, et qui n’ont jamais été demandées par les internautes, de l’autre, uniquement les éléments dont les internautes ont besoin.

DÉCOUVREZ LES « 3P » DE LA SOBRIÉTÉ NUMÉRIQUE !

« La sobriété numérique consiste à envisager les services dans leur ensemble pour lutter contre ce phénomène “d’obégiciel”, l’obésité des logiciels, le mauvais gras numérique, pour se concentrer uniquement sur le besoin essentiel des utilisateurs. » La recette se veut vertueuse et se résume en trois P : planet, people, profit. « Penser un site Web dont l’accès ne proposerait qu’un seul champ consomme peu de ressources, répond souvent beaucoup plus justement au service véritablement attendu, coûte infiniment moins cher, et rapporte souvent plus. » Frédéric Bordage pousse parfois le principe à son extrême : « Il m’est arrivé de conseiller à certaines entreprises de faire disparaître des pans entiers de leur site au profit de simple envoi d’e-mails. » Radical ? Oui. Vous doutez encore ? Il vous suffit de revenir à la comparaison Yahoo! versus Google. Qui des deux géants n’a pas survécu ? Après des années à se laisser fasciner par le potentiel du numérique, il est temps de revenir à la source de nos intérêts et de nous concentrer sur les actions réellement bénéfiques. « Il faut arrêter d’écouter les sirènes du marketing et des geeks, pour se remettre à la place des utilisateurs qui veulent des services simples, qui fonctionnent vite et efficacement… On n’arrête pas de parler de développement durable mais c’est à se demander si les gens ont vraiment compris l’urgence de la situation. » Alors, chiche, prêt à basculer dans le numérique équitable et la conception responsable de vos services numériques ?


Frédéric Bordage participera à l’édition 2018 de L’Échappée Volée.

Demandez le programme !

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Je dirige la rédaction de L'ADN depuis sa création : une course de fond, un sprint - un job palpitant.

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commentaires

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  1. Avatar B6 dit :

    Si je like cotre article... Je pollue, c'est ça?
    Quelle alternative réelle pour changer? S'isoler?

  2. Avatar b6 dit :

    Si je like votre article je pollue? Comment envisager une résilience réelle sans couper court à toutes les suggestions de consommation et d'échanges polluants?

  3. Avatar olivier dit :

    n'oublier jamais
    1) il y a moins de 30 ans il était possible d'avoir des relations non électroniques.
    2)il faut baisser de 25 % la consommation d'énergie si l'on veut rester digne non devant la glace mais devant l'avenir de nos enfants
    3) - 25 % d'énergie, c'est possible: comme dans les années 60. j'étais jeune et...heureux

  4. […] La réalité est là : des millions d’utilisateurs utilisent chaque jour des solutions trop gourmandes et pas suffisamment optimisées, et l’impact environnemental est conséquent. Et contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les data centers, mais les terminaux utilisateurs qui ont le plus d’impact : ils sont en tête des chiffres dans tous les domaines (déchets, gaz à effet de serre, énergie, …) sauf pour l’eau, où les data centers et les infrastructures réseaux prennent la première place. Il est donc primordial de repenser les solutions, afin de prolonger la durée de vie des terminaux, et de limiter l’utilisation de leurs ressources, tout en gardant en tête que l’on peut également agir en parallèle sur les serveurs et donc les data centers (en savoir plus). […]

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