
Aller à la rencontre des citoyens qui ont voté RN. Depuis 10 ans, c’est le travail que mène le photojournaliste Vincent Jarousseau. Et les raisons de la colère sont plus complexes qu’on pourrait le croire.
Depuis 2014, Vincent Jarousseau part à la rencontre de la France qui vote RN. Avec sa nouvelle enquête Dans les âmes et les urnes parue aux Arènes, le photojournaliste se concentre sur quatre villes – Denain, Hénin-Beaumont, Beaucaire et Hayange – qui ont donné leur mairie au RN. Avec les témoignages de leurs habitants, on découvre toutes les nuances du vote RN de la désindustrialisation jusqu’aux sentiments d’abandon et de déclassement.
Avec ce livre, vous poursuivez votre enquête initiée il y a 10 ans sur les raisons de la montée du vote d'extrême droite. Qu’est-ce qui a changé ?
Vincent Jarousseau : Lorsque j’ai démarré ce travail avec l’historienne Valérie Igounet, je sortais d’une expérience d’élu local parisien. Mon engagement remonte aux années 1990 dans la gauche du PS. Ce n’était pas naturel pour moi : j’ai grandi au sein d’une famille de classe moyenne peu politisée – mon père était ouvrier et ma mère, femme au foyer – dans une zone pavillonnaire de province. En 2014, les réseaux sociaux explosent et le débat public s’y invite. Ça a affecté la manière dont on fait de la politique.
À l’époque déjà, la montée de l’extrême droite m’interroge : le FN venait de remporter plusieurs mairies et était parvenu à prendre la tête des élections européennes. L’idée de cette première enquête était de mettre de côté mes convictions, d’aller à la rencontre des gens sans porter de jugements moraux, attitude que je pouvais reprocher à la politique au contact des réseaux sociaux. En dix ans, je n’ai jamais tout à fait quitté le terrain. Ce qui s’est accentué – et mon précédent livre, Les racines de la colère me l’a confirmé – c’est l’importance du travail dans ce vote RN. Un des ressorts centraux du mouvement des ronds-points de novembre décembre 2018 se nourrit du sentiment d’injustice par rapport à la hiérarchisation du travail.
Et en quoi cette question du travail est-elle centrale ?
V. J. : On observe sur 50 ans une évolution socio-économique importante : on est passé d’une société de production où à peu près 6 salariés sur 10 étaient investis dans l’industrie ou l’agriculture, contre aujourd’hui moins de 2 sur 10. Notre société, désormais basée sur le service, a beaucoup individualisé le travail et les rapports sociaux. Les corps intermédiaires ont été affaiblis : les ouvriers et les employés ont disparu des représentations en tant que corps sociaux constitués collectivement. Or, il est plus compliqué de se défendre individuellement et on sait que les emplois de service sont en moyenne moins bien rémunérés.
Vous évoquez la perte de l’entreprise comme une entité protectrice et nourricière…
V. J. : Oui tout à fait. Dans Les racines de la colère, je raconte le cas d’Usinor (entreprise sidérurgique basée dans le nord de la France, ndlr), qui était vu à Denain comme une usine nourricière, installée dans la ville même. Les salariés vivaient à proximité. Le nouveau prolétariat masculin – c’est un peu moins vrai pour les femmes – doit se déplacer beaucoup plus loin pour travailler. Je ne glorifie pas pour autant le paternalisme social. Il reste avant tout intéressé. Mais le capitalisme du Nord, familial et social, a cédé la place à un capitalisme du Sud, de captation, du service et des prestations.
Sur les 50 dernières années, on a failli à la promesse que tout un chacun peut s’en sortir par le travail. En 1985, Jean-Pierre Chevènement fixe l’objectif de mener 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac. Le bac pro a été créé en ce sens. Et effectivement, il y a dans cette période une massification de l’enseignement supérieur, avec une promesse déçue : même diplômés, ils n’arrivent pas à s’en sortir. Et de l’autre survient pour les autres un sentiment d’injustice : qu’est-ce qu’on valorise ? Valorise-t-on le fait de créer, de produire des choses, ou de l’abstraction ? (métiers du service, de la communication, ndlr).
La mesure du revenu universel d’existence, qui figurait dans le programme de Benoît Hamon aux présidentielles de 2017, est souvent jugée indigne. Comment expliquer ce rejet ?
V. J. : Je pensais qu’elle serait bien accueillie dans les villes les plus sujettes à la pauvreté. Mais non, il n’y a pas d’aspiration à vivre de l’aumône républicaine, m’ont expliqué les gens à qui j’en ai parlé. Ils veulent s’en sortir par eux-mêmes. Et c’est là qu’on en revient aux idées développées plus tôt : l’individualisation des rapports sociaux avec la disparition des structures collectives d’encadrement et d’accompagnement. C’est paradoxal. D’un côté, une partie de l’électorat RN est en quête d’une protection quasi maternelle en la personne de Marine Le Pen, en quête d’un État fort ; de l’autre, il ne compte pas sur l’État pour s’en sortir.
D’ailleurs, je ne crois pas que l’électorat espère véritablement s’en sortir grâce à Marine Le Pen. C’est ce qui explique ses propositions extrêmement dépolitisées sur le champ économique et social. Marine Le Pen se pose en candidate de la consommation. Dans ses mesures économiques et sociales, elle est un peu la Michel Edouard-Leclerc de l’arène politique. Pour répondre à la thématique du pouvoir d’achat, elle propose des promotions : la baisse des taxes sur l’essence, la baisse de la TVA sur les produits de nécessité, contrairement au NUPES, puis le NFP, qui défend une augmentation sensible du SMIC.
Début janvier, Mark Zuckerberg a annoncé abandonner sa politique de modération. Cela pourrait-il avoir une incidence ?
V. J. : Tout d’abord, il a annoncé cette mesure pour les États-Unis. Ça pourrait ruisseler sur l’Europe, mais on ne le sait pas encore. Par ailleurs, la modération est d’abord opérée sur de l’écrit. Or, de ce que j’observe, les gens partagent de l’écrit intégré dans des images. Je suis assez circonspect sur l’importance des réseaux sociaux dans le vote RN. Il y a des facteurs beaucoup plus puissants. J’ai évoqué les conséquences des évolutions socio-économiques, mais il y a aussi le vide politique et l’incapacité des partis traditionnels à proposer autre chose. Emmanuel Macron a tenté quelque chose de différent en 2017, mais en siphonnant à la fois la gauche et la droite républicaine, il a créé les conditions d’une radicalisation aux deux extrémités du spectre politique. Ça a accentué une polarisation du débat et, pour ça, on n’a pas eu besoin des réseaux sociaux. En outre, le fait qu’une partie de la classe politique reprenne des éléments du programme du RN – la question de l’uniforme, la déchéance de nationalité ou la loi immigration – participe à la légitimation du discours RN.
Le vote RN est-il encore un vote de colère ?
V. J. : En discutant avec les électeurs, en dix ans, l’évolution est très nette. Au départ, les gens étaient en colère. Le RN rassemble alors grosso modo 20 % des votes. Si le vote de colère existe toujours, le vote d’adhésion, d’espoir a pris plus de place en nettoyant, en levant un certain nombre de réticences. Une grande partie de l’électorat RN a oublié le FN de Jean-Marie Le Pen. Mais si le RN a de grandes ambitions pour les années à venir, il va faire face à des difficultés. Par ailleurs, la dépolitisation générale qu’on constate amène une grande volatilité de l’électorat, qui pourrait donc reporter son vote vers d’autres partis demain.
Comment est ce possible d’écrire un article sur ce sujet sans parler des flux migratoires, de l’augmentation des crimes et des délits, des meurtres de jeunes français, de l’islamisation de notre société et de toutes les implications sur nos valeurs républicaines, des attaques terroristes à répétition sur le territoire français depuis 2015 visant des professeurs, des enfants, des journalistes… perpétrées au nom de l’Islam….
Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
À quand un article de l’ADN sur la propagande et l’enrôlement islamiste sur les réseaux sociaux en France ? Un peu de courage
Merci pour cet article ;
Les métiers de la transition écologique (transition énergétique, agriculture...) sont des métiers du 'faire' et pas de l'abstraction.
Serait-ce une voie pour réembarquer et revaloriser une partie de cette population qui se sent abandonnée ?
Merci !
Peut-être que les obsessions de l'extrême droite ne sont pas celle de la majeure partie des français. Nous sommes l'un des pays au flux migratoire le plus faible d'Europe. Mais les médias qui pousse cet agenda politique n'ont généralement rien à faire des faits...