Sur les réseaux sociaux et ailleurs, des polyamoureux s’interrogent sur le concept d’infidélité, qui n’est plus défini par l’acte sexuel, mais par le fait de ne pas respecter une forme de contrat.
Qu’est-ce que l’infidélité en 2023, lorsque le polyamour, les trouples et d’autres formes de relations plus ouvertes existent ? Sur TikTok, ils et elles sont nombreux à prendre la parole sur le sujet et à redéfinir les codes de l’amour et notamment de la fidélité. « La tromperie n’est pas liée au sexe, mais au fait de se mentir, se décevoir, de ne pas respecter un accord », explique par exemple @Chillpolyamory. Sur son compte, la jeune femme qui se définit comme une « mentor » du polyamour donne des conseils et expose sa philosophie. Elle répond aussi aux interrogations de ses abonnés, dont beaucoup portent sur l’infidélité.
Tout le monde aime les « poly »
La question pourrait paraître anecdotique. Mais selon différentes études, de plus en plus de personnes sont ou souhaitent être dans une relation plus ouverte. Selon un sondage YouGov et Gleeden de juillet 2022 mené auprès de couples hétérosexuels, 33 % des personnes interrogées disent vouloir essayer une relation non-exclusive (échangisme, plan à trois, polyamour…) et 18 % d’entre elles ont déjà testé. En 2021, une étude publiée dans le journal Frontiers in Psychology rapportait qu’un Américain sur 6 voulait être « poly ». Et sur TikTok le sujet intéresse les foules : le hashtag « polyamorous » cumule plus de 2 milliards de vues. Le couple classique reste toutefois la forme de relation la plus privilégiée, et le polyamour concerne surtout des individus politisés, éduqués et plutôt non racisés, pointe la sociologue Stéphanie Tabois, professeure à l’Université de Poitiers, sur le site The Conversation.
Le rapport à l’infidélité varie en fait d’une relation à une autre. Le polyamour lui-même n’ayant pas une forme très standardisée, il est souvent bricolé par les personnes au cœur de la relation. « Le polyamour revêt de multiples formes, explique Stéphanie Tabois. Il peut s’agir d’un couple « socle » sur lequel se greffent des relations périphériques, d’un « trouple » (un « couple » de trois personnes), de relations plurielles non hiérarchisées, cohabitantes ou non, etc. Les modalités du lien s’inventent en fonction des configurations. » La sociologue distingue par ailleurs la relation polyamoureuse des configurations libertines ou ouvertes, dans lesquelles les relations extraconjugales sont plutôt envisagées comme des actes sexuels dépourvus de sentiments amoureux. Pour la chercheuse, le polyamour n’est pas qu’un schéma amoureux, il implique souvent une critique sociale du couple, et donc d’une réflexion sur ses codes, dont l’infidélité.
La règle des 100 miles
En polyamour, certains estiment que la personne est trompée lorsque l’on ne l’informe pas d’une autre relation, d’autres lorsque l’on tisse des relations sexuelles mais non amoureuses, quand pour d’autres encore c’est l’inverse. Dans le livre La Salope Éthique (écrit en 1997), reconnue comme une sorte de guide en la matière, les autrices Dossie Easton et Janet Hardy présentent la règle des 100 miles (150 kilomètres). Elle stipule que les partenaires ont le droit de tisser des liens amoureux avec d’autres, à condition que celles-ci se trouvent à une certaine distance (100 miles/160 km ou plus) du couple principal. L'idée derrière est de réduire les éventuelles complications émotionnelles.
Pour Julia (le prénom a été modifié), 33 ans, la condition posée par son partenaire était d’avoir des relations extérieures uniquement avec une personne du même genre. « Globalement cela voulait dire que je n’avais pas le droit de coucher avec d’autres mecs, et cela lui permettait d’explorer sa bisexualité. J’étais d’accord avec cela sur le principe. Sauf qu’une fois qu’on ouvre les vannes du désir, on ne choisit pas forcément où on atterrit, et dans mon cas c’était sur un mec », raconte la trentenaire, dont le couple est revenu à un schéma plus classique et exclusif. « Mais cela reste en construction, en renégociation. »
Peu importent les règles fixées, la notion de communication revient souvent dans les témoignages de polyamoureux. Ne pas être clair avec son partenaire serait donc la principale ligne à ne pas franchir. Ce fut le cas pour Sébastien*, 35 ans, et Chloé* (les prénoms ont été changés), 30 ans. Ce couple d’ex-parisiens récemment pacsé et installé à la campagne, a décidé de revenir à un schéma de couple exclusif après des relations polyamoureuses peu concluantes qui les ont chacun fait souffrir. « Je voulais une relation polyamoureuse et mon ex-partenaire a accepté par peur de me perdre, raconte Chloé. Finalement, il a eu une relation avec une autre mais sans me le dire. Et ce manque d’honnêteté était un peu le problème. » Pour elle dans ce cadre « la tromperie n’est plus sexuelle, mais morale. »
Sébastien, lui, s’est trouvé dans une relation polyamoureuse en rencontrant une fille qui était elle-même déjà en relation polyamoureuse avec un autre. « Je pense que l’essentiel est d’entendre les besoins de l’autre, de poser un cadre, de l’accepter et même d’être enthousiaste avec ce cadre, explique-t-il. Ce qui est difficile c’est qu’il peut y avoir le même type de tensions que dans une relation classique. On peut ressentir de la jalousie, même si certains polyamoureux arrivent à ressentir ce qu’ils appellent de la gratitude pour les autres relations de leurs partenaires. Parfois, on fait des promesses – comme d’affirmer que l’on n’aura pas de relation amoureuse mais uniquement sexuelle – que l’on brise et cela crée beaucoup de souffrance. Quand j'ai rencontré le copain de ma copine lors d'un "café poly" (sorte de café-conférence où des polyamoureux échangent), je ne savais pas s'il fallait rigoler ou se taper dessus. » Pour lui la limite était d’imaginer sa copine tomber enceinte, et ne pas savoir comment trouver sa place dans cette configuration.
Marianne Johnson, une thérapeute de couple américaine interrogée par Refinery29, explique que la tromperie peut être définie comme une forme de non-respect du contrat et des règles fixées, peu importe que ces règles soient explicites ou non. Les relations non monogames nécessitent davantage de communication pour renégocier les termes du « contrat », car les membres du polycule (toutes les personnes liées par leurs relations à un ou plusieurs membres d'un groupe polyamoureux) peuvent faire évoluer leurs besoins et désirs », précise-t-elle.
C'est aussi ce type de renégociation permanente qui a freiné les velléités de Chloé. « Ce type de relation demande aussi de l'organisation, et du temps. Aujourd'hui je suis très prise par ma vie professionnelle, et s'investir dans une seule relation demande déjà des efforts. »
La tromperie, c’est un état d’esprit monogame
Le tiktokeur TyrDoesntTikTok a une approche plus frontale de la chose. Pour lui, les tromperies existent bien au sein de la polyamorie, mais elles sont par définition antithétiques avec ce type de relations qui repose sur une communication transparente avec son partenaire. « La personne qui trompe est toujours dans un état d’esprit monogame », affirme-t-il.
Julia estime que « l’un des écueils du polyamour, quand il n’est pas installé dès le départ, c’est que souvent l’un des deux est partant et l’autre non ». Elle aspire toujours à une non-monogamie consensuelle, estimant qu’il est illusoire d’attendre qu’une seule personne comble tous ses besoins affectifs, alors que son partenaire a beaucoup de réticences. « C’est très difficile, cela demande un fort pouvoir de remise en question personnelle. Comme toutes les dynamiques qui questionnent l’ordre social, c’est épuisant. »
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